« Les lois-cadres d’équilibre des finances publiques déterminent, pour au moins trois années, les orientations pluriannuelles, les normes d’évolution et les règles de gestion des finances publiques, en vue d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques. Elles fixent, pour chaque année, un plafond de dépenses et un minimum de mesures nouvelles afférentes aux recettes qui s’imposent globalement aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Elles ne peuvent être modifiées en cours d’exécution que dans les conditions prévues par une loi organique. Une loi organique précise le contenu des lois-cadres d’équilibre des finances publiques et peut déterminer celles de leur dispositions, autres que celles prévues à la deuxième phrase du présent alinéa, qui s’imposent aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Elle définit les conditions dans lesquelles sont compensés les écarts constatés lors de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale. » (1)
Il existait dans le temps, et il existe peut être toujours, des chargés de TD qui considéraient que leurs étudiants de licence se devaient de connaître par coeur la Constitution de notre Ve République, et qui vérifiaient périodiquement l’état de leur connaissance à ce sujet. Or cet exercice, fastidieux mais salutaire, semble quelque peu condamné à terme par les évolutions de notre droit constitutionnel. Car c’est un fait, la Constitution s’allonge et se complexifie.
Arrêtons-nous sur ce texte cité en ouverture. Avez-vous reconnu le projet de loi constitutionnel relatif à l’équilibre des finances publiques, soit la fameuse « Règle d’or », soit La solution avancée par la majorité politique au problème de la dette publique ? C’est en tout cas le texte qui est issu de la troisième lecture devant l’Assemblée nationale, celle qui a permis à cette dernière et au Sénat de se mettre d’accord. C’est donc potentiellement la prochaine révision que pourrait connaître la Constitution de 1958, en son article 34 (si toutefois l’exécutif convoque le Congrès ou, plus hypothétiquement, un référendum). Le Premier ministre a d’ailleurs annoncé que des consultations allaient être menées à ce sujet. Toujours utile de consulter sur un projet déjà prêt et voté par les assemblées parlementaires. En tous les cas des consultations permettront de patienter le temps des élections sénatoriales. Et aux dubitatifs de comprendre (éventuellement) le texte et (toujours éventuellement) en quoi il serait une solution miraculeuse.
La Constitution a donc le temps de souffler et d’observer la nouvelle mutation qui se prépare. Une mutation qui soulève la polémique politique, chacun se renvoyant à la figure les mêmes accusations d’irresponsabilité et imputant à l’autre la responsabilité du déficit budgétaire. Une mutation qui soulève des espoirs économiques, les promoteurs du texte expliquant qu’il s’agit de rassurer les marchés financiers et d’éviter les foudres des agences de notation.
Toutefois, prise entre d’une part la polémique politique, et d’autre part l’emballement des marchés financiers, on peut se demander si notre Constitution est vraiment à sa place. Ou alors est on là devant un nouvel effet de la constitutionnalisation du droit, et de l’emprise croissante de la norme suprême ? En tout les cas, on peut se demander ce que le droit a à gagner à ce nouveau tricotage constitutionnel.
ORIGINES D’UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE
L’encadrement juridique des finances publiques est un phénomène en progression, et au plus haut niveau désormais. Ce mouvement s’inscrit depuis plusieurs années dans un contexte de dégradation des finances publiques dont les symptômes sont connus. Budgets en déficit et endettement croissant. Pour faire face à des dépenses que les gouvernants ont bien du mal à maîtriser, on a décidé de s’en remettre au droit, et à un encadrement juridique plus rigoureux. Les différentes normes mises en oeuvre sont notamment énumérées par M. Alventosa dans sa contribution au premier numéro 2011 de la revue Constitutions (2). Ainsi, au plan européen, les règles du Pacte de stabilité prévoient que le déficit public ne doit pas dépasser 3% du produit intérieur brut, et la dette publique 60%. Mais la crise économique semble avoir mis en sourdine des règles européennes que personne ne semble avoir à coeur de respecter ou faire respecter.
Au plan national, après la fameuse LOLF de 2001 (loi organique réformant les lois de finances), une révision constitutionnelle de 2008 a (déjà) fait inscrire à l’art 34 de la Constitution que les lois de programmation des finances publiques doivent s’inscrire dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. En application de cette révision a été prise une première loi de programmation en 2009. Avec les résultats que l’on sait, permettant à M. Alventosa de conclure que « le dispositif de conduite des finances publiques s’est révélé jusqu’à maintenant peu crédible ». C’est dans ce contexte que la majorité politique a décidé de « muscler » le dispositif constitutionnel.
D’une manière plus générale, on est ici dans la recherche d’un nouveau rapport entre droit et finances. Et, selon ses promoteurs, ce nouveau rapport passe par la Constitution. Ainsi dans le même numéro de Constitutions, le professeur Bouvier note que l’on assiste à une coexistence « entre la logique économique/gestionnaire et la logique politique/juridique », précisant qu’il s’agit ici « d’intégrer deux cultures, la culture juridique et la culture économique » via la « constitutionnalisation des normes financières ». Ainsi le droit nouveau, s’adaptant à un univers où le marché a vu sa place grandir, doit s’adapter. L’adaptation passe aujourd’hui, selon les promoteurs de la Règle d’or, par des normes plus strictes en matière de finances publiques, pour mettre un terme à certaines dérives. Et l’inscription de ce nouvel équilibre, pour atteindre ces objectifs techniques et symboliques, devrait prendre place avec la Constitution au sommet de notre hiérarchie des normes. Etrange équilibre d’ailleurs, que celui où le politique devrait se lier les mains par le droit pour satisfaire à une logique gestionnaire. Il faudrait brider le politique par le droit, pour sauver nos finances. Toutefois cette proposition ne fait pas l’unanimité dans le monde des juristes.
ECUEILS D’UNE REVISION CONSTITUTIONNELLE
Illusion et instrumentalisation sont les deux risques de toutes réformes en cette période d’activisme constitutionnel. Hélas le projet de réforme semble ne pas devoir échapper à ces dérives.
ILLUSION JURIDIQUE
Le professeur Avril le notait dans une contribution récente à la revue Pouvoirs (3), notre histoire constituionnelle semble avoir repris à son compte le titre de Austin « Quand dire, c’est faire ». Comme si alourdir la Constitution de plusieurs lignes allait répandre la confiance au sein des marchés financiers, et résorber miraculeusement la dette. Ce nouveau dispositif venant complexifier une Constitution de plus en plus dense ne fera, à l’instar du ruban tendu autour des Tuileries censé effrayer les révolutionnaires décrit par Mme de Staël, peur à la vilaine dette que pour autant que nos responsables le prendront au sérieux.
Le sénateur Marini le relevait lui-même dans le numéro susmentionné de la revue Constitutions, « en matière de discipline budgétaire, aucune règle ne remplacera jamais la volonté politique des gouvernants ». En écho Michel Bouvier note que « faire figurer [les nouvelles normes financières publiques] dans un article de la Constitution ne suffit pas à leur donner une réelle effectivité ». M. Alventosa note toutefois que la révision constitutionnelles « donnerait le poids maximum au nouveau système dont la violation serait plus périlleuse ».
Pourtant les normes européennes ne sont en rien quelque chose de facultatif, ayant en tous les cas une valeur supérieure aux lois ordinaires en vertu de l’article 55 de la Constitution. Or les autorités françaises ont fait leur possible pour contourner le Pacte de stabilité. Et comme le note le professeur Pascal Jan (4), les autorités européennes font preuve d’un certain « laxisme » pour enclencher des procédures de sanction. Quant à la précédente révision constitutionnelle de 2008, elle s’était révélée sans effet sur les finances publiques malgré la modification apportée à l’art 34. Enfin l’existence de la Règle d’or dans la Loi fondamentale allemande n’a pas exonéré ce pays de dérives budgétaires.
Tout cela pourrait interpeller. Avant de produire de nouveau des normes supplémentaires, a fortiori au plus haut niveau, ne serait-il pas bon de faire respecter le droit qui existe déjà ? Inventer, comme semble le faire le projet de révision, une nouvelle catégorie de loi (« les lois-cadres d’équilibre des finances publiques »), nécessite vraiment une énième révision constitutionnelle ? Préparer l’existence d’un nouveau contentieux financier devant le juge constitutionnel est il réellement le chemin le plus simple pour que nos gouvernants réussissent à régler le problème de la dette ?
Pourquoi tous ces détours ? Comme le soulève le professeur Jan, « l’exécutif et le Parlement ne peuvent-ils pas assainir les finances publiques en dehors de toutes contraintes juridiques » ? En effet, c’est là « avant tout une question de volonté politique, de responsabilité politique, et non de droit ». Tenir ce discours n’est nullement simpliste, et depuis Montesquieu il est patent que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Dans ces conditions, on peut s’interroger sur le bien-fondé d’une énième instrumentalisation constitutionnelle…
INSTRUMENTALISATION JURIDIQUE
Comme l’écrit le professeur Jan, « la norme constitutionnelle ne saurait et ne doit servir de faire valoir ». Si la Constitution est le texte visant l’organisation des pouvoirs publics, elle n’a pas vocation à servir de tribune politique pour l’affichage d’un programme politique, ou de suppléer au manque de courage politique de nos dirigeants.
L’inflation normative, après avoir fait des ravages dans l’activité législative, semble aujourd’hui, à la faveur d’un certain activisme politique qui compte les instruments qui lui restent en main, toucher la Constitution. C’est oublier que la Constitution n’est pas un outil aux mains du politique, mais un pacte aux mains de la nation française. Que si l’on s’en tient à l’art 89, la procédure de révision de droit commun est le référendum.
Or le politique voudrait, tenant le peuple à l’écart du processus de décision, se lier juridiquement les mains. Se libérer de la responsabilité qui lui a été confiée par un coup de baguette constitutionnelle. Lier ses successeurs et la nation entière sans que celle ci ne soit consultée. Comme l’écrit le professeur Jan, le référendum, au vu des enjeux et de la nature de la manoeuvre, s’impose ici.
Et si d’aventure le projet de révision, ne portant aucune « Règle d’or » véritable, se contentait de générer une nouvelle catégorie de loi de plan (comme il a l’air d’en prendre le chemin), alors il faudrait juger sévèrement ce nouvel apport inutile (et coûteux en lois organiques) à une Constitution en train de devenir « bavarde », à la fois désacralisée tout en restant hors de la portée d’une majorité de citoyens. Est-il nécessaire d’ajouter un nouveau ruban façon Mme de Staël à notre Constitution en espérant qu’il effraie la dette et rassure les marchés financiers ?
En conclusion, suivant le précepte de Montesquieu, puisse les politiques épargner la Constitution et les étudiants en droit d’une réforme nullement indispensable. Dire ce n’est pas faire, et bien que la parole soit souvent d’argent, il n’y a que le silence qui est d’or.
(1) http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0722.asp
(2) Constitutions, numéro de janvier-mars 2011, débat autour de la Règle d’or par messieurs Marini, Bouvier et Alventosa.
(3) Pierre Avril, « Enchantements et désenchantements constitutionnels sous la Ve République », Pouvoirs n°126
(4) http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/24/regle-d-or-et-irresponsabilite-politique_156236_7_3232.html
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J’ai bien peur que cette réforme ne parvienne à voir le jour, après le résultat d’hier aux élections sénatoriales … La probabilité d’obtenir les 3/5èmes de l’AN et du Sénat est plus que très faible…
En effet, la règle d’or vient d’être enterrée par le basculement du Sénat à gauche. Mais ça n’est pas la seule conséquence puisque le gouvernement aura beaucoup de mal a faire adopter les dernières lois qu’il souhaitait faire passer avant la fin des travaux parlementaires en février, les socialistes disposant maintenant d’une possibilité importante de retarder l’adoption de ces lois. Si les lois de finances (LFI + LFSS) seront adoptées a temps en raison des dispositions constitutionnelles qui régissent leur examen, il sera beaucoup plus dur pour la droite, en pleine campagne présidentielle, de faire adopter des textes de reforme importants. « L’année utile » que désirait le Pdt Sarkozy semble bien loin aujourd’hui…