En période de rigueur, la croissance des AAI ne faiblit pas.

La CNIL, la première AAI

Au vu des différents projets de loi présentés en Conseil des ministres, il semble que nous puissions bientôt souhaiter la bienvenue au club très tendance des Autorités administratives indépendantes à deux nouvelles venues.

Des travaux d’été du gouvernement sont donc sortis deux projets promettant de renouveler le paysage administratif français. Le premier concerne le remplacement de l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) par « l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé » (1). Le second, provenant du ministère de l’écologie, prévoit la création d’une « Agence nationale des voies navigables » (2). Ces deux projets confirment (s’il était besoin d’une confirmation) la bonne santé du modèle de l’autorité administrative indépendante, organisme ad hoc indépendant du gouvernement, qui tend à remplacer dans les domaines économique et des libertés publiques le modèle classique de l’administration hiérarchique, tout en représentant le vecteur organique de la notion de régulation, qui tend à remplacer la notion de règlementation.

Le modèle de l’AAI nous vient en grande partie du modèle anglo-saxon, et notamment les « Agencies » fédérales américaines. Le modèle a aussi connu un fort développement dans le Royaume-Uni Tatchérien avec le programme « Next Steps » de 1988 (3). D’une manière générale, il s’agit de garantir à l’administration, via la création d’agence ad hoc, l’indépendance à l’égard de l’institution politique (sous l’influence notamment des théories économiques de l’Ecole du « Public Choice ») ainsi qu’une plus grande liberté de gestion (dans le cadre de la « contractualisation » de l’activité administrative).

Le modèle a connu un vif succès en France, que l’on peut faire débuter en 1978 avec la création de la Commission nationale informatique et libertés. Aujourd’hui, si l’on s’en tient aux chiffres du rapport Dosière-Vanneste rendu en octobre 2010, il existerait en France plus d’une quarantaine d’AAI (4). Sans doute un peu moins depuis, dans la mesure où le Défenseur des droits a réuni notamment le Médiateur de la République, la HALDE, la Commission nationale déontologie et sécurité, ainsi que le Défenseur des enfants. Ou un peu plus, avec les deux créations aujourd’hui projetées…

Toutefois ce mouvement « d’agencification » de l’action publique n’est pas sans soulever un certain nombre de questions.

D’une part l’origine du pouvoir règlementaire attribué à certaines AAI a toujours semblé mystérieux à l’étudiant novice qui découvre que le Conseil Constitutionnel a trouvé dans l’art 21 de la Constitution (« Sous réserve des dispositions de l’art 13, [le Premier ministre] exerce le pouvoir règlementaire ») le fondement de l’attribution d’une partie du pouvoir règlementaire aux AAI dont l’article 21 ne dit pas un mot (5).

Surtout le rapport Dosière-Vanneste a semblé constituer un réveil offensif des parlementaires à l’encontre d’un phénomène qui a largement échappé à leur contrôle. Constatant l’inflation des AAI, le rapport se montre particulièrement critique quand il estime dans sa synthèse que la multiplication des AAI échappant à tout contrôle est notamment le signe d’un « manque de courage politique », quand il ne s’agit pas d’une « simple opération de communication » (6). S’inquiétant de l’apparition d’un 4e pouvoir technocratique indépendant et irresponsable (puisque le responsable politique reste le ministre, mais que l’AAI est indépendante du ministre sans être responsable politiquement, qui reste responsable de quoi ?), le rapport Dosière-Vanneste fustige à travers le succès des AAI le risque d’affichage politique et de défausse du gouvernement de ses responsabilités sur des institutions qui n’ont que peu de comptes à rendre.

Toutefois, malgré l’existence de ce rapport parlementaire, l’engouement des pouvoirs publics pour la création de nouvelles AAI ne semble pas éteint. Les deux nouveaux arrivants échappent-ils aux travers stigmatisés par Messieurs les députés Dosière et Vanneste ?

Hélas rien n’est moins sûr.
La nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé viendra remplacer l’ancienne Afssaps. Outre le changement de nom la nouvelle autorité devrait certes bénéficier de pouvoirs accrus. Mais il s’agit surtout de solder ici les conséquences du scandale du Médiator. L’Afssaps, ayant fauté, se voit remplacé par une nouvelle agence dont l’intitulé vise expressément la « sécurité du médicament ». Exit la sécurité sanitaire, vive la sécurité du médicament. Difficile de ne pas songer au rapport Dosière-Vanneste stigmatisant les « opérations de communication ».
Quant à l’Agence nationale des voies navigables, son objectif officiel est de réaliser les objectifs du « Grenelle de l’environnement » en développant le transport de fret par le réseau fluvial. On peut se demander dans quelle mesure, en cette période de crédits limités, cette nouvelle agence sera mieux à même de mener à bien cette mission que les services antérieurement en charge du dossier. Ou bien peut être s’agit-il aussi d’une nouvelle séparation entre Etat opérateur et Etat régulateur, selon l’esprit insufflé par les directives européennes, appliqué ici au secteur du transport fluvial.

(1) cf. AJDA p1599
(2) cf l’extrait du Conseil des ministres du 31 août 2011
(3) cf. « Science administrative », Jacques Chevallier, pp 430-431
(4) cf. le rapport Dosière-Vanneste
(5) cf. Cons. Const. décision 17 janvier 1989, n°88-248 DC, CSA
(6) cf. l’Avant propos du rapport Dosière-Vanneste



Catégories :Actualités, Droit administratif, Droit public économique

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