Comme l’a proclamé haut et fort la modératrice de cette conférence, Madame le Professeur Karine Parrot, l’Université se doit d’être un lieu de savoir et de débats intellectuels. Et c’est bien pour participer à cette noble mission que les chevaliers des grands arrêts (à leur humble niveau d’auditeurs motivés) prennent à coeur de répercuter le résultat de la rencontre-débat organisée le lundi 3 octobre 2011 dans un des amphithéâtres du centre Panthéon, consacrée à l’intervention en Libye et organisée par l’Observatoire Juridique de la Vie Politique. D’ailleurs pour ceux qui n’ont pas confiance en mon audition, ou se méfient de mon compte rendu nécessairement partiel et partial, un enregistrement audio de la conférence devrait être sur le site de l’OJIV prochainement. Pour les autres, voici ce que vous avez malencontreusement loupé…
Etaient invités pour communiquer à ce sujet le Professeur Carlo Santulli, professeur de droit international public au sein de l’Université Panthéon-Assas, ainsi que Rony Brauman, ex-président de Médecins sans frontières et professeur associé à « Science Po » Paris. Le choix de ces deux invités pouvait d’ailleurs laisser perplexe l’étudiant venu sans a priori. En effet le Professeur Santulli ne s’est il pas distingué par son opposition à l’intervention militaire en Libye, tout comme… Rony Brauman dont l’opposition résolue au « droit d’ingérence » est de notoriété publique. Dès lors le « débat » promettait de prendre une étrange tournure, dans la mesure où les deux intervenants étaient tous deux d’accord sur le fond, sinon sur l’ensemble. Cette curiosité n’avait toutefois pas échappé à la modératrice du débat (dont le travail s’annonçait du même coup plutôt paisible), qui s’en est expliquée au cours de son propos liminaire. Cette dernière a en effet expliqué que l’ensemble des médias et personnalités médiatiques ou politiques de premier plan ayant soutenu l’intervention, les organisateurs du débat ont estimé pouvoir faire l’économie d’un point de vue déjà largement sur-représenté (selon eux). L’oratrice s’offrit d’ailleurs un succès d’estime en ironisant sur une éventuelle invitation de Bernard-Henri Lévy, déclenchant ainsi les rires d’un public venu relativement nombreux. Le décor était ainsi posé, et le sens de la conférence clairement affiché. Cela étant, si les organisateurs ont clairement expliqué un choix qui peut se justifier, on peut s’interroger sur la conception ici mise en oeuvre du « débat ». Réunir des tenants d’une même ligne tient plus de la « tribune » que du « débat ». Non pas que l’une soit forcément moins noble que l’autre, tout est sans doute question de circonstances, mais il y a tout de même une différence. Enfin on peut se demander si le débat (au sens large cette fois) a, autant que les organisateurs le décrivent, évincé les opposants à l’intervention. Rony Brauman notamment, n’est pas un inconnu des médias, où il a eu l’occasion de défendre sa position (par exemple au sein de l’hebdomadaire Marianne, certaines de ses prises de position sont d’ailleurs encore consultables sur le site Marianne2.fr).
La conférence en elle-même a débuté par l’intervention du Professeur Santulli. Ce dernier s’en est pris à ce qu’il appelle la « doctrine de l’affaire libyenne », c’est-à-dire la doctrine « officielle », celle qui dépeint une opération de protection visant à arrêter un « criminel sanguinaire massacrant son propre peuple », version soutenue par la chaîne qatarie Al-Jazeera, les pays du Golfe et les gouvernements occidentaux. Après un rapide rappel de la chronologie des faits, ainsi que de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies relatif à l’affaire libyenne, le Professeur Santulli s’est livré à deux séries d’objections à cette « doctrine officielle ».
La première série d’objections était d’ordre factuel. Ainsi le rapport d’Amnesty International pour l’est libyen aurait mis en doute l’existence de bombardements massifs des populations civiles, bombardements mis en exergue pour justifier l’intervention étrangère et notamment la zone d’exclusion aérienne. Le Professeur Santulli est d’ailleurs même allé jusqu’à mettre en doute la notion de répression, appuyant sur le caractère militaire de la rebellion, et sur le fait que l’un des hommes sous l’autorité duquel la répression aurait été mise en oeuvre, le général Younès, se retrouvera quelques temps plus tard à la tête des insurgés. Ainsi pour l’orateur, qui décidemment n’y va pas de main morte, il ne reste plus à l’idée de répression que la rhétorique violente du colonel Kadhafi (« on va nettoyer les rats »), ce qui selon lui ne serait pas plus violent que de parler de « kärcher » ou de « racaille ». L’allusion est ici suffisament transparente pour que l’on se garde de la commenter.
Le Professeur Santulli a aussi insisté sur le fait que la prise de position de la Ligue Arabe, qui avait accompagné celle de l’ONU, était (le décompte des votes à la Ligue Arabe le démontre) plus une opération soutenue par les monarchies du Golfe, le Qatar en tête, qu’une intervention réclamée par les immédiats voisins de la Libye. Or les monarchies de Golfe, notamment dans le cas du Bahreïn, ne se sont pas toujours montrées aussi soucieuses des progrès de la démocratie.
La seconde série d’observations était d’ordre plus juridique. Le Professeur Santulli a ainsi soulevé la question de la validité d’une résolution onusienne dans la mesure où il est selon lui démontré qu’elle repose sur des évènements qui n’ont pas eu lieu. Si les faits sont faux, voire frauduleux s’ils ont été disséminés en connaissance de cause, quelle conséquence peut en être tirée du point de vue de la validité de la résolution onusienne ? Comme souvent le droit international public apporte ici plus de questions que de réponses, l’orateur se contentant de soulever le problème. En tout les cas son point de vue est acquis, le mandat de l’Otan en Libye est fragile. Il est aussi méconnu, dans la mesure où il était censé réaliser un cessez-le-feu et que de toute évidence le Conseil National de Transition libyen est autorisé à poursuivre le combat. Mais à notre grand regret le spécialiste de droit public ne s’attarde pas sur les conséquences juridiques potentielles de cet état de fait.
Le Professeur a aussi émis des doutes concernant la compétence de la Cour pénale internationale saisie par la résolution onusienne. Mais là encore les objections qu’il formule sont plus d’ordre factuel que réellement juridiques. Ainsi met il en cause l’immunité prévue pour les éléments américains (et leur agents), ainsi que l’enquête à sens unique (visant uniquement le camp kadhafiste), et la présence d’un juge italien (dont le pays participe à la coalition anti-kadhafi) pour juger de la recevabilité de la requête. Une fois encore la religion de l’orateur est faite (la CPI n’est pas compétente), mais l’argumentaire est plus factuel que normatif. Tout cela n’a pas aidé votre dévoué rédacteur à appréhender la normativité du droit international public, qui pour lui, une fois dépassées des notions étroitements positivistes, a toujours été un mystère. Au final il est ici surtout question de faits et de diplomatie, et bien peu de droit, même international, même public.
Le Professeur Santulli a ensuite conclu magistralement et gravement son intervention, dénonçant que « pour éviter un bain de sang imaginaire, on en ait commis un réel », et concluant de ce « désastre » que « les démocraties sont guerrières, et non pluralistes au niveau de l’information ». Qu’en définitive « la démocratie à l’extérieur ne semble pas bonne pour les droits de l’Homme » et que « le sang libyen ne vaut pas très cher ».
A la suite de cette conclusion apocalyptique, la parole a été confiée à Rony Brauman. A la différence de l’ interlocuteur précédent, son intervention s’est révèlée moins factuelle, concernant plus le principe de l’intervention, principe qui le laisse selon ses propres termes profondément « sceptique ». Sceptique quant au « droit d’ingérence », comme quant à son avatar contemporain, la « responsabilité de protéger », les deux concepts (à la consistance juridique là encore incertaine) recouvrant une seule réalité, l’usage de la force à des fins humanitaires. Sans polémiquer sur l’existence factuelle des crimes de guerre ou assimilés, Rony Brauman s’en prend à ces interventions armées sur leur principe même.
L’orateur prend pour exemple la Somalie, que l’intervention militaire des années 1990 n’a nullement sauvé du cercle vicieux de la violence dans laquelle vingt ans plus tard elle est encore plongée. Concernant plus spécifiquement le cas libyen il voit là une réhabilitation de la « guerre juste » (serpent de mer du droit international public depuis toujours, pensons notamment à Grotius) et du « pieux mensonge ».
Pour Rony Brauman il n’y a rien à attendre de la guerre, et cet « impérialisme libéral » ne peut que nous ramener aux temps coloniaux et à la diplomatie de la canonnière. On ne peut imposer une démocratie que l’on voudrait « voulue de l’intérieur » par la force. Le temps n’est plus du proverbe maoïste selon lequel « le pouvoir est au bout du fusil ». Toutes ces « guerres civilisatrices » se sont finies sur des échecs. La conclusion de l’ex-président de MSF n’a d’ailleurs rien à envier en pessimisme à l’intervention précédente : si ces batailles livrées par l’Occident sont systématiquement gagnées, ces guerres sont systématiquement perdues. On lache des forces centrifuges et des armes que l’on est incapable de maitriser. En définitive « la guerre ne crée pas la démocratie, elle ne crée que la guerre ».
Pour ne rien perdre de la puissance de la conclusion de Rony Brauman, je fais grâce aux lecteurs des « débats » qui ont suivi… Bon allez puisque je sens que vous êtes curieux, je vous fais un topo rapide. Il a été question du complot de l’Occident pour détruire et exploiter le reste du monde en le réduisant à l’état de communes de la taille de Benghazi, de la « croisade réactionnaire et monarchique » du président Sarkozy, et de la possibilité pour le président du Niger de porter plainte contre l’OTAN. Vous le sentez bien, vous êtes passés à côté d’un grand moment de « débat ».
Plaisanteries mises à part, et quoi que l’on pense des points de vue exprimés au cours de cette conférence, on ne peut nier que l’intervention en Libye soulève un certain nombre de questions juridiques autour de la notion de « guerre juste », ou de guerre « autorisée », que le droit international public semble bien en peine d’élucider aujourd’hui par autre chose que la force de l’instant immédiat et la loi du plus puissant.
Catégories :Compte-rendu de colloque, Droit international public
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