Le droit de timbre nouveau est arrivé !

Une réforme est passée presque inaperçue dans l’actualité juridique française de ce début du mois d’octobre. Non, ce n’est bien sûr pas la réforme de la garde à vue, qui navigue encore en eaux troubles, critiquée par les policiers mais aussi par les avocats qui attendent beaucoup de la prochaine décision du Conseil Constitutionnel. C’est un petit article perdu au milieu de dispositions législatives consacrées au plan d’aide à la Grèce et à la lutte contre la crise financière qui n’a pas eu les honneurs des rédactions des grands journaux, aucun quotidien n’ayant jugé opportun de signaler l’information à ses lecteurs). Cet article dissimulé dans la 1ère loi de finances rectificative pour 2011 a réinstauré le droit de timbre et est passé « comme une lettre à la poste » ! Il faut dire que cette contribution pour l’aide juridique (puisque c’est son nom officiel) découle du changement du régime de la garde à vue. Entrée en vigueur le 1er octobre dans l’anonymat le plus total (ou presque, les avocats et les juridictions s’étant tout de même organisés en urgence pour que tout soit prêt le jour J), elle consiste en une taxe obligatoire de 35 euros pour tout justiciable qui introduit une requête devant un tribunal de l’ordre administratif ou judiciaire.

La contribution pour l’aide juridique, quésaco ?

La contribution pour l’aide juridique a donc été instituée par l’article 54 de la 1ère loi de finances rectificative pour 2011. Cet article a notamment inséré un article 1635 bis Q dans le Code Général des Impôts. Aux termes de cet article, « une contribution pour l’aide juridique de 35 € est perçue par instance introduite en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou par instance introduite devant une juridiction administrative ». Ainsi, toute requête, ou presque, déposée devant les juridictions administratives doit être accompagnée depuis le 1er octobre 2011 d’un timbre fiscal de 35 euros. Pour un changement, il n’est pas négligeable !

On compte tout de même de nombreuses exceptions. Ainsi, du côté du juge administratif, sont exonérés de ce droit de timbre « les recours introduits devant une juridiction administrative à l’encontre de toute décision individuelle relative à l’entrée, au séjour et à l’éloignement d’un étranger sur le territoire français ainsi qu’au droit d’asile », les référés-liberté, les recours présentés par les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et tous les recours initiés par l’État ! Ouf, les finances publiques sont sauvées. En effet, le bénéfice des sommes récoltées grâce à la contribution pour l’aide juridique ne va pas à l’État, il n’a pas pour but de réduire le déficit public, il revient au Conseil National des Barreaux. Le CNB, destinataire final de ces sommes, pourra ainsi financer les rémunérations versées aux avocats dans le cadre de la réforme de la garde à vue. Seuls les avocats qui assistent un bénéficiaire de l’aide juridictionnelle dans une procédure de garde à vue bénéficieront donc des sommes prélevées au titre de la contribution pour l’aide juridictionnelle. Ce sont donc les justiciables, et non l’Etat qui manque cruellement de fonds, qui paieront pour que les gardés à vue puissent bénéficier de l’assistance d’un avocat.

Le défaut de versement de cette contribution constitue une irrecevabilité. Le décret d’application du 28 septembre 2011 a remplacé l’article R. 411-2 du CJA par un double article R. 411-2 et R. 411-2-1. Ces deux articles règlent le régime applicable si le requérant ne verse pas la somme. La juridiction doit demander la régularisation avant de rejeter la requête comme manifestement irrecevable. Le requérant peut régulariser après l’expiration du délai de recours contentieux. Mais attention, si le recours a été introduit par un avocat ou si la décision attaquée précisait l’obligation de verser la somme, le recours peut être rejeté immédiatement, par ordonnance, sans demande de régularisation. Enfin, la contribution n’est due qu’une fois par instance : si la requête vise à exécuter ou à interpréter un précédent jugement et si le recours suit une décision d’incompétence (le requérant s’est trompé de tribunal) le justiciable ne doit pas s’acquitter une nouvelle fois de la contribution. Idem, s’il y a à la fois un recours en référé et un recours au fond portant sur les mêmes faits, il ne faut payer qu’une fois.

Comment payer ?

La loi prévoit que la contribution est versée par voie électronique ou par voie de timbre mobile (le timbre fiscal qu’on achète et qu’on colle sur la requête). La voie électronique est obligatoire si le recours est introduit par un avocat pour son client. Les requérants sans avocat ont le choix pour leur part. Mais bien entendu, la loi ayant été votée fin juillet, rien n’a pu être mis en place. Actuellement, tous les requérants doivent donc se procurer des timbres fiscaux. Et pour tout dire, ce n’est pas facile. Ainsi, l’Ordre des Avocats de Paris avait anticipé et commandé des timbres fiscaux de 35 euros. Ils sont partis en quelques minutes le premier jour. Rupture de stock… Peut-être aurait-il fallu différer l’entrée en vigueur de la réforme afin que tout soit bien en place ?

Fin septembre, les tribunaux eux-mêmes ne savaient pas vraiment à quoi s’attendre, le décret n’ayant été publié que le 28 septembre pour une entrée en vigueur au 1er octobre. Les circulaires ont été publiées dans la foulée. D’ailleurs, il y a eu une petite surcharge dans les tribunaux fin septembre : les avocats ont introduit leurs requêtes juste avant la date fatidique, afin de ne pas payer les 35 euros ! Un surplus de travail pour des greffes qui sont déjà surchargés : l’entrée en vigueur de la réforme du contentieux des étrangers avait déjà demandé un gros travail d’adaptation cet été.

S’il est fait droit à leur requête, les justiciables pourront néanmoins récupérer la somme engagée, dans le cadre des sommes versées sur le fondement de l’article L. 761-1 du Code de Justice Administrative.

Le droit de timbre, une fausse nouveauté

Cette nouvelle taxe n’est pas si nouvelle que ça. C’est un droit de timbre nouveau. Mais qu’est-ce que ce droit de timbre ? Les jeunes étudiants que nous sommes ont un peu de mal à croire que le droit au recours ait pu être conditionné par le paiement d’une taxe. Le libre accès à la justice n’est-il pas une règle de bon sens ? Il semble que non. Il existait déjà un droit de timbre avant 1977. Il faut souligner qu’à l’époque, les actes de justice étaient presque tous payants. Mais alors qu’il avait été supprimé, une nouvelle loi, entrée en vigueur le 1er janvier 1994, a rétabli le droit de timbre pendant près de 10 ans, jusqu’à l’ordonnance du 22 décembre 2003 qui l’a supprimé.

Ce droit ressemblait en tout point à la contribution pour l’aide juridique. Comme le souligne le professeur René Chapus dans son ouvrage Droit du contentieux Administratif (Domat Droit Public, Monchrestien, Lextenso Editions), le but du droit de timbre était de limiter l’encombrement de la juridiction administrative. Les travaux parlementaires d’alors montrent que les élus espéraient écarter ainsi les requêtes manifestement infondées et parfois abusives. Il est force de constater que l’expérience menée pendant 10 ans n’a pas porté ses fruits. Le professeur Chapus souligne également que « le sentiment de désapprobation qu’on peut éprouver à l’égard du droit de timbre ne pouvait qu’être fortifié par la constatation des perturbations qu’il a provoquées et auxquelles les juridictions ont consacré un temps qui aurait pu être mieux employé« . Ainsi, critiqué de toute part par les professeurs de droit, spécificité d’une justice administrative alors archaïque et dépassée, le droit de timbre a été supprimé logiquement en 2003.

Depuis les temps ont bien changé. La justice administrative a fait sa « révolution » et il peut paraître aberrant de rétablir ce vieux droit de timbre. Mais la crise des dettes publiques est passée par là, et c’est dans l’indifférence générale et sans véritable lever de bouclier que la contribution pour l’aide juridique a été adoptée pour toutes les juridictions, ou presque. Il faut le regretter. Si les besoins de financement induits par la réforme de la garde à vue sont légitimes, cette taxe est une atteinte au droit au recours et au principe de libre accès à la Justice. Le Conseil Constitutionnel n’a pas été saisi de cette disposition lors de l’examen de constitutionnalité de la loi de finances rectificative. Peut-être qu’une QPC lui permettra de statuer sur la question prochainement. En attendant, il faut espérer que les finances publiques de la France s’améliorent et que ces timbres ne soient plus qu’affaires de philatélistes…

Pour en savoir plus sur la contribution pour l’aide juridique



Catégories :Actualités, Contentieux administratif

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2 réponses

  1. et ensuite, la justice pour tous…..je subis une saisie attribution de mon compte, j’ai du aller à l’épicerie sociale pour faire manger mon fils et j’ai reçu une aide d’urgence de l’aasistance sociale. Je dois prendre sur cette aide, donc indirectement sur mon fils aussi, pour payer ce timbre fiscal pour démarrer la procédure. Les frais d’avocat étant avancé par mon employeur. Je précise qu’un avocat à refusé de prendre mon dossier car au début je n’avais rien comme avance et m’a dit dixit « je ne travaille pas gratuitement ». Et ceux qui n’ont pas d’employeur comme le mien, ils crèvent ? je suis un peu dubitative sur tout cela et me pose la question de la justice pour tous.

Rétroliens

  1. La contribution pour l’aide juridique devant le Conseil Constitutionnel « Les Chevaliers des Grands Arrêts

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