C’est à deux pas du jardin du Luxembourg, à Paris et non à Strasbourg, au 2 avenue de l’Observatoire pour être très précis, qu’il faut se rendre en ce moment pour assister aux oraux du concours externe d’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA). Il fallait au préalable s’inscrire sur le site Internet dédié, ce qui relevait tout bonnement du parcours du combattant, celui-ci ayant été pris d’assaut dès son ouverture le 10 novembre dernier. Le droit de pousser la lourde porte d’entrée se mérite. On longe alors un couloir dont les murs sont recouverts des photos des promotions précédentes. Quelques marches et nous voilà dans un petit hall en effervescence. Sur chaque table, un petit écriteau annonce la couleur : Entretien, Questions Internationales, Questions Européennes, Allemand et Finances Publiques sont au programme aujourd’hui.
Le premier oral est un oral technique de Questions Internationales. Il se déroule devant deux examinateurs, dans une petite salle. Seules 5 personnes sont autorisées à y assister. Le sujet tiré par le candidat porte sur « l’effondrement du bloc socialiste ». Après son exposé de 10 minutes, le candidat est bombardé de questions pendant 20 minutes. Si les premières questions suivent de près la trame de l’exposé – Quelle est la date exacte du Pacte de Varsovie ? Pourquoi si tard ? Quel est le profil sociologique des dirigeants actuels des pays de l’Est ? Y’a-t-il des poussées nationalistes dans ces pays ? – elles s’éloignent de plus en plus du sujet initial, pour arriver à des questions qui ressemblent presque à un quizz de culture générale – Quelles sont les frontières du Surinam ? Quelle est la différence entre les accords et les traités ? Quelles sont les problématiques qui touchent actuellement l’Azerbaïdjan ? Quels sont les principaux traits de la diplomatie giscardienne ? Que pensez vous de l’importance de l’art dans les relations internationales ? Le candidat sort lessivé de ces 30 minutes qui passent très rapidement. Du côté des examinateurs, pas de méchanceté, bien au contraire, ils sont plutôt bienveillants, les sourires sont présents et le contact est presque « chaleureux ».
Le deuxième oral est également technique. C’est un des oraux les plus redoutés : celui de Finances Publiques. La candidate a tiré un sujet d’actualité et plutôt commun : « La dette publique est-elle soutenable ? ». Encore une fois, après l’exposé initial, les membres du jury demandent à celle-ci de préciser certains points. À la moindre maladresse, ils s’étonnent, cherchent à obtenir des explications et poussent leur interlocuteur dans ses retranchements : Le taux d’intérêt auquel l’État emprunte ne reflète-t-il vraiment que la confiance des investisseurs ? Sait-on vraiment mesurer le retour sur investissement public ? La technique est éculée. Ils prennent le parti du candidat, le poussent à construire un raisonnement pour finir par le mettre face à ses propres contradictions. Déstabilisé, le candidat doit alors trouver une sortie sans se renier. C’est dans ces moments là que la différence se fait. Encore une fois, l’épreuve se termine par des questions plus générales, pour tester les connaissances de l’admissible sur d’autres sujets du programme : Quel est le déficit du régime d’assurance maladie ? Quelles mesures ont été mises en œuvre pour réduire ce déficit structurel ? Quelle est la marge de manœuvre de l’État sur les recettes de son budget ? Quel est aujourd’hui le taux réel de l’impôt sur les sociétés ?
Enfin, nous assistons à deux Entretiens. C’est l’ancien grand oral de l’ENA, épreuve d’admission qui détient le plus gros coefficient. Depuis quelques années, ce grand oral a bien changé. Il s’est transformé en entretien de recrutement. Quelques jours après les résultats d’admissibilité, le candidat transmet au jury une notice de 2 pages, qui est à mi-chemin entre le CV et la lettre de motivation. C’est sur la base de celle-ci que le candidat sera interrogé. L’oral se déroule dans une salle un peu plus grande. 12 personnes peuvent y assister, en plus des 5 membres du jury. Il est présidé par le Professeur Gaudemet cette année, bien connu des étudiants de droit public.
Tout commence par un exposé initial du candidat qui dure un peu moins de 5 minutes. Il y reprend les éléments de sa fiche, mettant l’accent sur certains points qu’il juge primordiaux. Pendant les 40 minutes suivantes, il est questionné sur tout ce qu’il a évoqué lors de cette présentation. Le jury vérifie qu’il est bien conscient de la réalité et de l’actualité du poste qu’il souhaiterait exercer à la sortie de l’Ecole. Le plus innocent des adverbes peut être prétexte à une question. Une métaphore hasardeuse et ce sont 5 minutes d’interrogations pressantes sur le sujet. La culture générale est toujours là : références littéraires, artistiques, philosophiques sont au programme. Elles sont néanmoins toujours reliées à un thème que le candidat a abordé. Le fait qu’il n’ait pas lu le dernier livre ou la dernière actualité sur le sujet n’est pas réellement pénalisé, le jury cherchant alors à connaître son avis sur le sujet. Le ton est plutôt décontracté, et il ne s’agit pas d’enfoncer inutilement un candidat. On sent chez les candidats une fatigue au fur et à mesure que le temps passe. Les réponses se font moins précises, les erreurs se multiplient. Heureusement, la sonnerie qui signale la fin des 45 minutes interrompt la discussion et le candidat peut enfin souffler.
On ressort de ces oraux avec un sentiment mitigé. Oui les oraux sont très difficiles. Les épreuves techniques sont précises et nécessitent des connaissances très poussées. Les programmes sont imposants. Et pour arriver aux oraux, il faut passer la redoutable sélection des écrits. Mais le mythe des oraux de l’ENA est aujourd’hui exagéré. Le grand oral n’est plus du tout ce qu’il était. Les candidats sont brillants mais n’ont rien de surhumain. En somme, si les exigences sont toujours là, assister aux oraux permet de démystifier un concours qui a tout de même perdu, un peu, de sa superbe.
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L’article est intéressant, mais la conclusion a un vague parfum d’amertume et de frustration…