La QPC connait actuellement un succès durable, et le Conseil Constitutionnel se retrouve de fait au centre de l’actualité. Et là n’est pas le malheur des constitutionnalistes, bien au contraire. Il faut toutefois penser à trier le bon grain des mauvaises graines, les décisions intéressantes de la jurisprudence ordinaire. Deux décisions récentes sont à signaler : la première est une QPC qui n’a pas encore été rendue mais c’est sa saisine qui intéresse car c’est un cas de « transmission automatique », la seconde est une DC qui a été rendue et qui approfondit le caractère constitutionnel du nouveau Défenseur des Droits.
La décision n°2011-206 QPC, la première « transmission automatique »
Le 17 octobre 2011, le Conseil constitutionnel a été saisi de la constitutionnalité de l’article 2206 du Code civil. La décision sera rendue très prochainement, mais ce qui peut paraitre frappant dans cette décision, c’est la raison de sa transmission au juge constitutionnel. Sur le site du Conseil, il est inscrit : « transmission automatique« . C’est une première depuis l’entrée en vigueur de cette procédure. L’article 23-4 de la loi organique du 10 décembre 2009 (LO n°2009-1523) relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution dispose que les juridictions suprêmes (Conseil d’état et Cour de cassation) ont trois mois pour se prononcer sur le renvoi ou le rejet d’une question prioritaire. Première constatation factuelle : « transmission automatique« , cela signifie que ce délai n’a pas été respecté. Il faut remarquer que la décision de la Cour de cassation n’utilise pas le terme de « transmission » mais celui de « dessaisissement« . La question pertinente serait donc de se demander pourquoi ce délai n’a pas été respecté.
Deux hypothèses semblent alors possibles: l’oubli par la Cour de cassation du délai tenant à cette question, ou bien le juge judiciaire a laissé les jours et les mois passer en connaissance de cause. Un oubli ? Pourtant, la Cour de cassation a toujours transmis ou rejeté les questions dans le délai des trois mois jusqu’à présent. Pourquoi aurait-il oublier cette fois-ci ? De plus, la Cour a vu son « erreur » le lendemain du dernier jour permettant la transmission. Cela parait louche. En effet, c’est la Cour qui l’a finalement transmise, arguant de l’oubli du délai, de l’oubli de cette affaire, trois mois et un jour après en avoir été saisie. Concernant l’autre hypothèse, elle apparait peu vraisemblable. Effectivement, elle aurait pu l’apprécier et considérer les critères comme réunis, afin de la transmettre au Conseil. Elle n’a pas statué dans le délai, donc la décision a été transmise de manière automatique au Conseil. Il apparait donc qu’il s’agit d’un oubli, même si cela peut paraître étrange.
La décision n°2011-626 DC : la place du caractère constitutionnel dans la définition du Défenseur des Droits
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 mars 2011 de la loi organique relative au défenseur des droits, en application des articles 46-5 et 61-1 de la Constitution. Le premier article dispose que les lois organiques ne peuvent être promulguées sans brevet de constitutionnalité décerné par le Conseil de la rue Montpensier. Le second article permet au Premier ministre (ainsi qu’au Président de la République, aux Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat ou à 60 députés ou sénateurs) de saisir le Conseil d’une loi non encore promulguée.
Ce qui est ici en débat, c’est l’article 2, premier alinéa, de la loi organique du 30 mars 2011. Celui-ci dispose que « le Défenseur des droits, autorité constitutionnelle indépendante, ne reçoit, dans l’exercice de ses attributions, aucune instruction« . Ce qui turlupine le Conseil, c’est de savoir si le défenseur des droits est une autorité indépendante qui est constitutionnelle, ou bien une autorité dont l’indépendance est constitutionnelle. Le Club des sages opte pour la seconde option. En effet, il s’agit d’une « autorité administrative dont l’indépendance trouve son fondement dans la Constitution« . Par conséquent, « cette disposition n’a pas pour effet de faire figurer le Défenseur des droits au nombre des pouvoirs publics constitutionnels« . Cette appréciation parait fortement discutable, du simple fait de la formulation de l’article. Il semble que « constitutionnelle » soit l’adjectif épithète du nom « autorité » ; en conséquence de quoi, ce qui serait constitutionnel, ce serait l’autorité, et donc le défenseur des droits. Toutefois, la solution retenue pousse à penser que le premier adjectif se rapportait au second adjectif. En effet, c’est l’indépendance qui est constitutionnelle, et non l’autorité. Il semble que le Conseil ait voulu donner des armes au Défenseur des droits en lui conférant une forte indépendance, mais qu’il n’ait pas souhaité le protéger suffisamment pour lui conférer un statut constitutionnel. Cette décision est donc fortement discutable, et le raisonnement parait hasardeux.
Catégories :Contentieux constitutionnel, Droit constitutionnel
Très étonnant cet oubli !!
En effet, cet « évènement » a frappé tout le monde. Un des membres du service juridique nous a confié qu’il s’agissait de la première transmission automatique, et que, selon les bruits des couloirs de la Cour de cassation, il ne s’agissait que d’un oubli. Personnellement, je n’en doute pas, mais c’est pour le moins étrange.
Attendons de voir si cela se reproduira ou non.
En fait, si on lit entre les lignes de la décision, on comprend bien ce qui s’est passé. Voici le texte :
« Attendu que l’examen de la question prioritaire de constitutionnalité, enregistrée le 22 juin 2011, a été fixé à l’audience du 21 septembre 2011 ;
Attendu qu’il apparaît que la transmission avait été reçue à la Cour de cassation le 20 juin 2011 ; »
Ce qui s’est passé, à mon avis, c’est que comme le dit l’arrêt, la QPC a été reçue à la Cour le 20 juin. Un tampon a été apposé sur la requête pour signaler cette date. Mais, parce qu’il y a eu un dysfonctionnement dans le greffe, ou juste parce que le service courrier a eu des retards, ou parce qu’il y avait beaucoup de courrier, la requête n’a été enregistrée que le 22 juin 2011. En l’enregistrant, le greffier, connaissant le délai de 2 mois, a mis l’audience au 21 septembre, soit pile avant la fin du délai, comme c’est la coutume, pour donner le plus de temps possible aux magistrats pour examiner la QPC. Il n’a pas dû vérifier la date de réception, pensant que la QPC avait été reçue le 22.
A ce moment là, les magistrats ayant communication de la requête, n’ont pas vérifié la date d’arrivée et le délai, puisque c’est l’affaire du greffe. Mais lorsqu’ils ont rédigé le projet d’arrêt et notamment les visas et les attendus, après l’audience du 21 juin 2011, ils se sont rendus compte de leur erreur et que la QPC avait été reçue dès le 20 juin ! Dès lors, connaissant le délai de 2 mois, ils ne pouvaient plus statuer, et ont été obligés de se constater leur dessaisissement. Bref, un oubli de greffe, qui arrive dans toute juridiction à un moment ou un autre. Mais dans ce cas, la portée est plus importante, et beaucoup plus visible !