Les Chevaliers des Grands Arrêts vous proposent aujourd’hui une nouvelle petite revue de presse constitutionnelle pour la semaine qui vient de s’écouler (11 au 18 décembre 2011), tant l’actualité constitutionnelle ne laisse aucun répit aux étudiants publicistes, même à la veille de la trêve hivernale.
Cette semaine l’actualité constitutionnelle a vu la question du statut pénal du chef de l’État mise au premier plan, « procès Chirac » oblige. Le 15 décembre, le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’ancien Président de la République à une peine de deux ans de prison avec sursis pour abus de confiance, détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêt. « Jugement historique », si on en croit l’éditorial que Le Monde a consacré à la question dans son édition papier du 17 décembre. Historique en effet, car c’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’un ancien chef de l’Etat se voit condamné par une juridiction pénale. Cette condamnation est la conclusion de quinze ans d’instructions et de rebondissements judiciaires à propos de faits remontant à l’époque où Jacques Chirac était maire de la ville de Paris. Et il faut reconnaître que les démêlés judiciaires du président Chirac ont fait beaucoup pour le droit en général et le droit constitutionnel en particulier. Songeons à l’arrêt Breisacher pris le 10 octobre 2001 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui est venue préciser une première fois la question du statut pénal du chef de l’État. Songeons encore à la commission Avril, présidée par le professeur de droit du même nom, réunie en 2002 pour plancher sur ce même sujet du statut pénal du chef de l’État. Songeons encore à la question prioritaire de constitutionnalité déposée en mars, dont certains puristes regretteront qu’elle ne soit pas arrivée jusqu’au Conseil constitutionnel, et qui a soulevé tant de questions sur la composition du dit Conseil. Quoi que l’on pense donc de l’opportunité de la condamnation de l’homme politique le plus populaire de France, il faut saluer, au crépuscule de cette affaire, son apport en matière de droit public.
Le mérite de cette condamnation est aussi d’avoir attiré l’attention de la presse généraliste sur la question de la réforme inaboutie du statut pénal du chef de l’Etat. D’abord sur la réforme en cours. Car même si on a tendance à l’oublier, cette réforme est en cours, depuis 2002 et le rapport de la commission Avril. Ensuite cinq ans se sont écoulés avant que cette réforme commence à prendre corps, lorsque le Parlement adopte en 2007, juste avant la fin du second quinquennat de Jacques Chirac, la réforme constitutionnelle relative aux articles 67 et 68 de la Constitution, fruits des travaux de la commission Avril. Mais par la suite, et de la même manière que la réforme constitutionnelle avait trainé, sa mise en oeuvre par la prise d’une loi organique va se faire attendre. Et aujourd’hui, on l’attend toujours. Il faut croire que cette réforme, prévoyant notamment une voie de destitution du président de la République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », est particulièrement complexe à mettre en oeuvre… Ou bien que, malgré son importance du point de vue de nos institutions, elle soit le cadet des soucis de nos responsables politiques. Exceptions faites des socialistes, qui ont déposé deux projets de loi organique, dont un qui a été adopté le 10 décembre dernier. Le gouvernement a toutefois répondu à cela qu’il était urgent d’attendre que l’Assemblée nationale se prononce sur son propre projet de loi organique. Cinq ans après le vote de la révision constitutionnelle, il serait en effet peut être temps…
Mais cette réforme n’est même pas encore finalisée qu’aux yeux de nombre d’observateurs du procès Chirac elle semble déjà caduque, organisant l’immunité judiciaire du président de la République le temps de son mandat (les délais de prescriptions étant toutefois cristallisés durant ce temps, ce qui laisse toute latitude aux instructions judiciaires de reprendre une fois le mandat achevé). Ce qui a l’inconvénient de voir le responsable jugé de nombreuses années après les faits. Alors faut il réformer le statut pénal du chef de l’État ? Le candidat socialiste à la présidentielle a dévoilé son projet de faire du président de la République un justiciable comme les autres pour les actes sans rapport avec son mandat qu’il aurait commis avant son entrée en fonction. Dans le même esprit, les députés d’Europe-écologie Les Verts avaient déposé le 1er décembre une proposition de loi constitutionnelle faisant du président un justiciable comme les autres pour les actes antérieures à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci. Proposition qui n’a pas fait long feu à l’Assemblée nationale.
Du point de vue de l’organisation judiciaire (chère aux publicistes sous l’appellation du service public de la justice), le procès Chirac met une fois de plus sur le devant de la scène la question de l’indépendance des magistrats du parquet. Il faut lire en effet les articles de Pascale Robert-Diard pour ressentir la gêne provoquée par les réquisitions d’un parquet obnubilé par la relaxe générale des prévenus. « Beaucoup de bruit pour rien« , avait dit à propos de cette affaire le procureur général de Paris, Jean-Claude Marin. Prédiction qui ne témoigne pas en faveur de sa lucidité. La situation sera-t-elle meilleure avec son futur remplaçant, François Molins, ex-directeur de cabinet du Garde des Sceaux Michel Mercier ? A noter aussi, toujours sur le même sujet du statut du parquet, la tribune signée d’une magistrate sceptique sur la prétention à l’impartialité de ses collègues de la magistrature « debout », et vraisemblablement peu partisane de l’unité du corps de la magistrature. Cette tribune réagit notamment à la publication, par une informelle « conférence » des procureurs de France, d’une résolution appelant à un nouveau statut garantissant leur indépendance. Le déroulement du procès Chirac ne peut que donner une saveur particulière à un tel appel…
Il n’y a toutefois pas eu que le procès Chirac pour nous tenir en haleine cette semaine. Par manque de temps, il va toutefois me falloir faire preuve de concision. Cette semaine, on a en effet assisté à la renaissance de la « règle d’or », qui tel le phénix, s’est relevée des cendres auxquelles la promettait la majorité socialiste au Sénat par la grâce d’un traité européen à venir. Ce dernier aurait notamment pour objet d’imposer à chaque Etat membre l’inscription de la règle d’or dans leur Constitution respective, sous contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Une règle d’or, oui mais laquelle ? Un contrôle de la CJE, oui mais comment ? Réponses prévues d’ici mars 2012, date à laquelle le futur traité devrait être prêt.
On a aussi assisté à de nombreuses propositions d’ordre constitutionnel. Ainsi l’essayiste Guy Sorman nous propose sa solution à la crise, qui consiste à une fusion économique entre la France et l’Allemagne. Toutefois dans l’étalage de ses lumières, l’économiste ne s’attarde pas sur les détails juridiques de l’opération qu’il propose. Dommage, ce serait sans nul doute intéressant… Louis-George Tin, président du Cran, milite de son côté pour l’instauration du vote obligatoire en France, dans le but d’enrayer l’abstention. Monsieur Tin trouve notamment injuste que le vote soit obligatoire pour les « grands » électeurs des sénatoriales, et non pour les élections au suffrage universel. Sans se demander d’ailleurs s’il n’y avait à cette différence de situation une raison. Mais comme il ne lui a pas échappé « qu’il ne suffit pas d’inscrire un principe dans la loi pour qu’il devienne une réalité« , il préconise qu’un certain nombre de sanctions soient mises en œuvre contre les citoyens peu assidus. Tout en excluant pénalités financières ou civiques, trop discriminantes à son goût. Non il faut trouver d’autres formes de sanctions. Cela appelle selon l’auteur « réflexion et débat »… Nous n’en doutons pas.
Enfin il ne fallait pas passer cette semaine à côté de la tribune signée dans Le Monde par Roger-Gerard Schwartzenberg, ancien ministre et président d’honneur du Parti radical de gauche. L’auteur y propose un certain nombre de réformes visant à accomplir ce qu’il nomme une « démocratie plurielle », afin de remplacer la « monarchie présidentielle« . On y trouve un certain nombre de propositions de réformes institutionnelles qui vont de l’établissement d’un statut parlementaire de l’opposition à l’élection par le Parlement des membres du Conseil constitutionnel, en passant par la constitutionnalisation du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Tout un programme… Mais parce que l’ancien ministre sait vraisemblablement faire preuve d’humour, on lui laisse le mot de la fin pour cette chronique : « Compter sur [les députés] pour animer le débat parlementaire, ce serait compter sur des trappistes pour organiser un tumulte« .
Catégories :Actualités, Droit constitutionnel, Droit parlementaire
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