La salle d’Assemblée du Conseil d’Etat étant en travaux, c’est dans un amphithéâtre de l’ENA, à Paris, qu’avait lieu jeudi 6 avril dernier une réunion d’information sur le concours de recrutement complémentaire des magistrats administratifs (concours TACAA). Etaient présents le président du jury, André Schilte, conseiller d’Etat, Président de la mission d’inspection des juridictions administratives, et ainsi que 3 autres membres du jury : Mme Caroline Martin, conseillère d’Etat, M. Benoit Delaunay, professeur des universités et M. Franck Etienvre, premier conseiller du corps des TA et CAA. Au cours de cette réunion, M. Schilte est revenu sur le concours 2011 qui s’est achevé en décembre, a détaillé les grandes lignes des réformes qui toucheront le concours en 2012 et 2013 et a répondu à l’ensemble des questions des candidats. Sans langue de bois.
Le concours 2011
L’exposé du jury
Le but n’était pas, lors de cette réunion d’information, de réciter le rapport du jury qui avait été diffusé il y a quelques semaines. Évoquant les commentaires de certains qui avaient décrit le concours comme plus difficile cette année, M. Schilte a tout d’abord revendiqué cet état de fait. Oui le concours était difficile et il doit l’être, puisqu’il donne accès à un corps accessible à la sortie de l’ENA. Il a également justifié cette diculté par celles que rencontrent chaque année les jeunes magistrats lors de leur prise de fonction après leur courte formation au CFJA de Montreuil (6 mois) : il faut donc des candidats de très bon niveau afin de pouvoir faire face rapidement à des situations qui sont parfois difficiles à gérer (audiences de contentieux des étrangers / présidence de conseils de discipline de fonctionnaires de la fonction publique territoriale).
Il a ensuite évoqué les grands traits du concours de l’an dernier. Tout d’abord, le nombre de candidats a légèrement diminué (cf. rapport du jury). Ensuite, l’épreuve sur dossier comportait un certain nombre de fausses pistes. Il a justifié celles-ci : il est assez fréquent d’en trouver dans les conclusions et c’est le travail du juge de savoir écarter rapidement les raisonnements qui sont manifestement erronés. En outre, il a également expliqué la présence de documents difficiles à lire parmi les documents du dossier : il s’agit de rapprocher encore plus le dossier proposé aux candidats du dossier classique que traite le juge administratif. Ainsi les candidats doivent apprendre à traiter les bons documents à leur disposition. Il s’est enfin félicité de la bonne présentation des copies, qui suivent la présentation classique d’une note de rapporteur, très peu de copies étant particulièrement fantaisistes sur ce point.
Il a laissé la parole à M. Etienvre qui est revenu lui aussi sur la note sur dossier. Il a décrit un dossier ordinaire sans difficultés particulières. Il a expliqué que les dossiers de garantie décennale étaient classiques pour un rapporteur en tribunal administratif et qu’il y en avait des dizaines chaque année. Il a détaillé les points forts nécessaires : une rapidité de lecture / une synthèse efficace des documents / une analyse pertinente des écritures. Pour terminer son propos, il a mis en garde contre le manque de rigueur dans le raisonnement : il faut faire attention à ne pas se positionner différemment sur un point dans les questions de recevabilité puis sur le fond du dossier.
M. Delaunay est revenu sur la dissertation. Il a pointé un manque de connaissances élémentaires dans certaines copies, notamment des controverses doctrinales historiques (Edouard Laferrière, Jean Rivero : « Le Huron au Palais royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir« , Dalloz 1962 chronique p. 37, décrit comme le meilleur article de doctrine par le jury). Il ne s’agit pas de procéder à une analyse doctrinale, mais il y a un manque de citations dans les copies. Le sujet était classique – « Le recours pour excès de pouvoir aujourd’hui » – et amenait à un traitement dynamique : hier / évolutions récentes / évolutions à venir ? Il faut ainsi s’interroger sur ce que « le sujet dit en creux« . Ici, c’était justement l’avenir du recours pour excès de pouvoir qui devait être abordé. Enfin, il a stigmatisé un manque de recul, une tendance à la récitation : les copies doivent porter une vraie réflexion, originale, après une analyse poussée du sujet. En deux mots : Rigueur et Vigueur.
Enfin, Mme Martin est revenue sur l’oral. Elle a expliqué que comme à l’écrit, les candidats doivent avant tout faire preuve de réactivité. C’est cette capacité de réactivité, de raisonnement qui intéresse le jury, plus que les connaissances pures et dures. C’est ce trait de la personnalité que recherche le jury car c’est ainsi que le magistrat administratif doit être : réactif pour trouver la solution au problème juridique posé. Ont également été évoqués le cas de candidats bombardés de questions à l’oral : en effet, c’est parfois le cas. Mais cela est dû au fait que les candidats ont tendance à répondre « au ras de la question« . Toute question s’inscrit dans un contexte et c’est ce cadre général qui doit être identifié par les candidats lors de leurs réponses. C’est dans cette optique que le magistrat judiciaire pose d’ailleurs ses questions, afin de vérifier que le candidat dispose d’une culture juridique qui ne se limite pas au contentieux administratif.
Les questions
- Le jury considère que les candidats passent trop de temps sur la recevabilité / la compétence / etc. En effet, se rassurer sur ces questions ne rapportent que peu de points : il faut surtout traiter le fond du dossier et donc se laisser le temps de le faire.
- Les moyens peuvent / doivent être requalifiés, même s’ils sont développés par un avocat.
- La présence de doctrine au dossier cette année était exceptionnelle : elle s’explique par la spécificité du cas de garantie décennale.
- Il n’y a jamais de piège sur la compétence géographique.
Le concours 2012
Le président Schilte a tout d’abord pointé la modification de l’article L. 233-6 du Code de Justice Administrative : depuis le 12 mars 2012, celui-ci a été modifié et prévoit l’organisation d’un concours externe et d’un concours interne. Cependant, en l’absence de décret d’application, cette année, un seul concours sera organisé, selon les modalités anciennes du concours. Les épreuves écrites se tiendront les 11 et 12 septembre 2012.
Le nombre de places ouvert au concours sera de 35 cette année (contre 40 en 2011). Les épreuves seront donc les mêmes : dissertation / note de rapporteur / oral. Cependant, lors de l’oral, une part plus importante sera réservée à des questions qui porteront sur la motivation du candidat, sur sa personnalité et sur la déontologie des magistrats administratifs (à ce titre, une charte de déontologie des membres de la juridiction administrative a récemment été adoptée et diffusée par le Conseil d’Etat). Les questions porteront ainsi sur la connaissance du métier par le candidat : que fait un conseiller de TA au quotidien ? Il n’y aura pas de CV particulier, ni de documents différents de ceux dont il dispose déjà (il n’a connaissance que des diplômes du candidat lors de son passage à l’oral). Cette partie a vocation à préparer la transition avec la réforme mise en place pour le concours 2013.
Le concours 2013
C’est en 2013 qu’aura lieu la grande réforme. Le président Schilte a bien précisé qu’en l’absence de tout décret d’application publié, ses propos n’avaient qu’une valeur indicative et qu’il pouvait y avoir des évolutions.
Le premier point est donc la création de deux concours : un concours externe, un concours interne. Il y aura une proportion de postes entre les deux concours (60 % externe – 40 % interne). Le jury pourra basculer des postes d’un concours à l’autre dans une limite de 20 %. M. Schilte a cependant prévenu qu’il était peu probable que le nombre de places augmente pour les prochaines sessions du concours et que rien n’assurait un maintien du nombre de postes ouverts autour de 30-40 en raison des difficultés budgétaires de l’Etat.
Le deuxième point, et qui est certainement le plus important, est la remise à zéro de tous les compteurs. Ainsi toute personne qui aura déjà passé à 3 reprises le concours TA CAA, dans son ancienne version, pourra de nouveau passer le concours à 3 reprises (tout concours confondu). Ainsi, si un candidat qui n’est pas lauréat a passé le concours en 2010, 2011 et 2012, il pourra de nouveau passer 3 fois le concours à partir de 2013, les compteurs étant remis à zéro. Il pourra alors présenter le concours externe en 2013, 2014 et 2015 ou le concours interne en 2013, 2014 et 2015 s’il remplit les conditions pour le concours interne, ou le concours externe en 2013 et l’interne en 2014 et 2015, etc.
Le concours interne sera ouvert, selon l’article L. 233-6 : « aux fonctionnaires ainsi qu’aux magistrats de l’ordre judiciaire et autres agents publics civils ou militaires appartenant à un corps ou cadre d’emplois de la catégorie A ou assimilé et justifiant, au 31 décembre de l’année du concours, de quatre années de services publics effectifs. » Cela exclut bien entendu les assistants de justice. M. Schilte a bien précisé que les 4 années de services publics effectifs s’entendait à temps plein. Ainsi, un fonctionnaire de catégorie A à mi-temps devra cumuler 8 années à mi-temps pour avoir 4 années de services publics effectifs.
Le troisième point est la création de nouvelles épreuves : une écrite et une orale pour chacun des concours. En outre, le concours interne voit une épreuve remplacer la dissertation. Ainsi il y aura 5 épreuves pour chaque concours ce qui permettra au jury de plus facilement discriminer (départager) les candidats. Les nouveaux concours devraient s’articuler comme ceci (en noir, les épreuves déjà existantes, inchangées, en rouge les nouvelles épreuves).
A l’écrit, la note sur dossier de contentieux administratif restera inchangée et son coefficient sera toujours de 2. En revanche, la dissertation dans sa forme actuelle ne concernera que le concours externe. Pour le concours interne sera mise en place une épreuve de note administrative qui combinera certainement analyse et propositions. Ces deux épreuves auront un coefficient de 1. La dernière épreuve écrite sera une épreuve de questions à réponses courtes dotée d’un coefficient de 1. Le programme de cette épreuve n’est pas encore fixé et le président du jury a évoqué le droit public, les institutions françaises et européennes et le droit de l’Union européenne. Aucune certitude encore sur ce point.
A l’oral, l’oral d’exposé / discussion sur un sujet de droit public reviendra à la version 2011 : le candidat préparera en temps limité un exposé sur un sujet qu’il aura tiré au sort (le président Schilte a tout de même évoqué la possibilité d’augmenter le temps de préparation). S’ensuivra son exposé devant le jury puis des questions sur celui-ci. Enfin la dernière partie de l’oral sera réservée à d’autres questions plus larges de droit public ou même de culture juridique générale (comme évoqué plus haut).
La nouveauté est la création d’un second oral, qui sera doté d’un coefficient de 1, pour apprécier la personnalité du candidat. Celui-ci sera de 20 minutes et prendra comme base un document rempli par le candidat (sur le modèle de celui rempli pour les oraux de l’ENM ou de l’ENA). Le jury appréciera le parcours du candidat, son profil, sa motivation. En outre, il est possible qu’un psychologue ou qu’un spécialiste du recrutement soit présent dans le jury. Le gouvernement et le Conseil d’Etat réfléchissent également à une solution alternative qui consisterait en un entretien préalable entre le candidat et le psychologue. Ce dernier rédigerait un rapport dont le jury aurait communication pour cet entretien (sur le modèle de ce qui est fait pour le recrutement à l’ENM actuellement).
Tous ces changements devraient donc être mis en œuvre pour le concours organisé en 2013. Ces modifications restent cependant en suspens d’ici la publication du décret d’application.
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Bonjour,
Je trouve l’article très intéressant. Une petite question lorsque vous écrivez dans le dernier paragraphe du passage intitulé « concours 2011″ : » C’est dans cette optique que le magistrat judiciaire pose d’ailleurs ses questions, afin de vérifier que le candidat dispose d’une culture juridique qui ne se limite pas au contentieux administratif ».
Vous parlez bien du juge administratif ou faites vous référence à l’oral de l’ENM ?
En effet, je parle bien ici du concours de recrutement des magistrats administratifs et pas du tout de l’oral de l’ENM. Le jury du concours TACAA est composé de 7 membres dont fait toujours partie un magistrat judiciaire. Or celui-ci a vocation à poser des questions plus larges que le strict contentieux administratif, questions souvent relatives au droit privé ou aux libertés fondamentales, afin de vérifier la culture juridique générale du candidat.
Bonjour. Tout d’abord votre blog est vraiment excellent et une source d’information précieuse!
J’ai quelques questions:
D’après vous et à l’issue de votre participation à cette réunion, le concours deviendra t’il plus difficile qu’actuellement ?
Est-ce l’objectif de la réforme ?
Le principe d’un concours annuel sera t’il maintenu ou il est possible que le concours soit organisé une fois tous les deux ans ?