Etude de cas : CEDH Girard c. France 30 juin 2011

Nous vous proposons aujourd’hui une étude de cas rédigée par Marion Coudurier sur un arrêt rendu par la Cour Européenne des droits de l’homme le 30 juin 2011 : Girard c. France, requête n°22590/04. Seule condamnation de la France en 2011 pour violation de l’article 2 de la Convention européennes de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui protège le droit à la vie [1] , cet arrêt est d’autant plus intéressant qu’il illustre parfaitement le mouvement d’expansion de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En effet, celle-ci réussit, par une interprétation extensive « de deux obligations fort générales qui figurent dans la convention, à créer une obligation pour la police d’enquêter de façon effective sur la disparition d’une personne majeure« .


Étude de cas, CEDH Girard contre France, requête n°22590/04, 30 Juin 2011

Nous avons choisi pour cette étude de cas pour l’année 2011 l’affaire Girard contre France, seule condamnation de la France en 2011 pour violation de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la convention), article qui protège le droit à la vie [1].

L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour), rendu ici à l’unanimité, nous parait particulièrement intéressant car il illustre bien l’importance prise par sa jurisprudence au fil des années et comment la Cour impose des normes contraignantes et précises aux États à partir d’une déclaration comportant des principes généraux votés en 1950 [2].

Dans cette affaire, les requérants saisissent la Cour en 2004 suite à la disparition en 1997 de leur fille majeure. Ils soutiennent que l’absence d’enquête effective de la justice française sur cette disparition aurait violé l’article 2 de la convention.

Les requérants défendent également l’idée selon laquelle le délai de restitution des prélèvements effectués dans un but d’analyse génétique sur le corps de leur fille a porté atteinte au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l’article 8 [3].

Nous indiquerons juste que la cour a admis comme inclus dans l’article 8 le droit des requérants de donner à leur enfant une sépulture. La France a ainsi été condamnée pour violation de l’article 8 en raison du délai de quatre mois mis par la justice française pour restituer les prélèvements après la date de l’arrêt de condamnation définitif de la cour d’assises.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à la question du droit à la vie et à l’article 2.

En l’espèce, en 1997, les requérants étaient sans nouvelles de leur fille âgée de trente ans ainsi que de son compagnon. Ils obtiennent quelques informations par l’homme qui a acheté leur auberge et entreprennent de nombreuses recherches mais sans succès.

Ils contactent donc à plusieurs reprises la police et la gendarmerie en 1998 et 1999. Le père informe les services que l’acquéreur du commerce lui parait suspect, signalant son inquiétude notamment car que le compte bancaire de sa fille a été débité de nombreux chèques dont la signature a été falsifiée en août et septembre 1998. Le procureur fait procéder à une enquête de voisinage mais sans succès et l’affaire est classée sans suite. Les services de polices ne donnent pas suite aux demandes d’enquête des parents en invoquant qu’aucun délit n’a été commis et que leur fille est majeure.

La procédure de recherches dans l’intérêt des familles ne donne aucun résultat.
Le parquet est par la suite informé de la disparition similaire d’un couple d’aubergistes.
L’auberge se révèle être exploitée le même homme.

Ayant rencontré la famille du second couple, le père de la jeune femme disparue informe la police de la présence d’une bâche suspecte dans le jardin de la seconde auberge. L’enquête conduit à la découverte de quatre corps et le suspect est condamné pour quadruple assassinat sur les deux couples d’aubergistes.

Dans son raisonnement, la Cour examine d’abord les arguments des parties.

Les requérants font valoir que l’inertie des autorités françaises dans la conduite de l’enquête sur la disparition de leur fille même majeure a constituée un manquement à leurs obligations procédurales garanties par l’article 2 de la convention (voir § 56 et suivants de l’arrêt).

Le gouvernement français rejette cette argumentation, indiquant au contraire de l’obligation procédurale de l’article 2 ne débute qu’au moment où une atteinte à la vie est révélée (§ 58) et donc à la découverte du corps en juillet 1999, date à partir de laquelle cette obligation a bien été respectée.

La Cour va ensuite développer sa propre argumentation.

Elle procède ensuite à un rappel de sa jurisprudence concernant l’article 2 en indiquant que cette disposition « astreint l’État à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction » (§ 64) telles que « l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui » (§ 65), obligation qui s’applique dans les affaires de disparitions inquiétantes (§ 66).

La Cour rappelle l’article 1 de la convention [4] qu’elle combine avec l’article 2 pour en déduire que « l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2 implique qu’une forme d’enquête officielle effective soit menée lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme » (§ 67).

La Cour précise qu’il s’agit d’une obligation de moyens qui consistent en le devoir pour les autorités de « prendre les mesures raisonnables qui s’offraient à elles pour obtenir des éléments de preuve pertinents » (§ 68).

La Cour applique sa jurisprudence au cas d’espèce et insiste lourdement sur sa jurisprudence constante selon laquelle le volet procédural de l’article 2 peut trouver à s’appliquer en cas de disparition et que l’obligation de mener une enquête préexiste à la découverte éventuelle du corps (§ 76).

La Cour indique donc que les autorités françaises avaient à partir de novembre 1998 l’obligation d’enquêter sur la disparition de la jeune femme en raison en raison des éléments suspects en leur possession : la lettre du requérant indiquant ses soupçons envers le coupable, les mouvements sur le compte bancaires de la jeune femme disparue, l’utilisation des chèques du compagnon de la jeune femme par l’acquéreur de l’auberge à la même période (§ 78 et suivants), rappelant qu’il s’agit d’une obligation de moyens.

La Cour examine les diligences des services de police : une simple recherche d’adresse cinq mois plus tard, l’absence d’audition du principal intéressé, l’absence de vérifications bancaires et considère que l’enquête a été insuffisante.

La Cour insiste sur le fait qu’il s’agit des diligences du requérant qui ont conduit à l’élucidation de l’enquête et considère à une violation de l’article 2 du fait que « la réaction des autorités, de novembre 1998 à juillet 1999, n’a pas été adaptée aux circonstances et que lesdites autorités ont manqué à leurs obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, sous son volet procédural ».

Nous voyons bien ici qu’avec deux obligations fort générales qui figurent dans la convention, à savoir les articles 1 et 2, la Cour arrive à créer une obligation pour la police d’enquêter de façon effective sur la disparition d’une personne majeure. Cet exemple illustre bien les méthodes d’interprétation de la Cour et comment celle-ci arrive à donner à la convention une étendue la plus large possible.

par Marion COUDURIER,
étudiante, titulaire d’un Master I de droit public, Univ. Paris II.


[1] Article 2. Droit à la vie :
1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi.
La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

[2] Rome, 4.XI.1950

[3] Article 8. Droit au respect de la vie privée et familiale :
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

[4] Article 1. Obligation de respecter les droits de l’homme :
Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention.



Catégories :Commentaires d'arrêts, Libertés fondamentales et droits de l'homme

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