« Mariage pour tous » : l’impossible référendum ?

On pensait que la décision QPC[1] avait éteint le débat constitutionnel relatif au projet de la majorité socialiste d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe : force restait à la loi qui allait devoir trancher en son âme et conscience ce débat de société.  Mais voici que, sortie par la grande porte,  la question constitutionnelle revient par la fenêtre, non plus sur le fond mais sur la forme du projet, à la faveur de la proposition de la présidente du PCD, Christine Boutin, d’organiser un référendum sur la question. La proposition semble toutefois ne pas avoir eu un grand écho. En témoigne le titre de l’article publié sur lemonde.fr à ce sujet : « Voulue par Christine Boutin, le référendum sur le mariage homosexuel est plus qu’improbable »[2]. A la lecture du titre, on pouvait s’attendre à ce que le journaliste nous explique les raisons politiques du faible impact de la proposition de Mme Boutin. Mais surprise, le caractère « plus qu’improbable » de ce référendum viendrait selon l’article d’un doute sérieux quant à son caractère constitutionnel…

L’idée d’un référendum sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe avait en effet fait lever un sourcil chez les plus orthodoxes des juristes et les plus attentifs des journalistes. Leur constat est sans appel. L’article 11 dispose que « le Président de la République […] , peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, […] ». Or le mariage ne concerne aucun de ces domaines selon nos augures. Donc un référendum sur un sujet non mentionné par l’article 11 est inconstitutionnel. CQFD. Même s’il est concédé qu’il y a éventuellement un doute à propos de la politique sociale de la nation. Une réforme sociétale participe-t-elle de la politique sociale de la nation ? Les spécialistes s’interrogent, et risquent de s’interroger longtemps…

Pourtant la question n’est ni si simple, ni si compliquée. Ni si simple, car on ne peut déduire de l’exégèse de l’article 11 si un référendum sur le projet de loi d’ouverture du mariage aux homosexuels est possible ou pas. Ni si compliquée, car il ne relève ni aux journalistes, ni même aux constitutionnalistes, de dire si le mariage est compris dans le périmètre de la politique sociale de la nation. La question de l’appréhension du référendum par le droit est en effet des plus particulières. Elle met aux prises principalement deux acteurs : le Président de la République qui soumet (« sur proposition du Gouvernement ») la question, et le peuple rassemblé en corps électoral qui y répond. La procédure donne à la souveraineté nationale, exprimée par le peuple, l’occasion de s’exprimer directement sur un projet de loi. Cette caractéristique a rendu tout contrôle juridictionnel de l’opération quant à la question posée des plus hasardeux. Ainsi le Conseil constitutionnel s’est refusé en 1962 à contrôler la constitutionnalité du projet de révision constitutionnelle soumis par le général de Gaulle au peuple français par la voie de l’article 11 de la Constitution[3]. Pourtant l’argument opposé alors était déjà celui employé aujourd’hui, à savoir que le texte de l’article 11 ne prévoyait pas l’emploi du référendum pour opérer une révision constitutionnelle. La controverse juridique a fait rage, mais le référendum a bel et bien eu lieu et produit ses effets.

Sans être en tout point identique, la question est des plus semblables aujourd’hui. La constitutionnalité d’un référendum sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe est une question dont seul le président de la République (qui d’après les termes de l’article 5 « veille au respect de la Constitution ») a, en l’état de la Constitution et de la jurisprudence constitutionnelle, la réponse. Mais pour les juristes, le débat reste ouvert…




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2 réponses

  1. Je pense qu’il faut garder en mémoire que les rédacteurs de la Constitution en ont fait plus un outil politique qu’une base purement juridique.
    Du coup il faudrait retenir une définition assez large de sociale, et pas une définition juridique qui ne renverrait qu’au droit social.
    Lato sensu les questions relatives « à la politique économique ou sociale » seraient donc celles reliées aux questions de société, d’organisation des rapports entre les individus.

    La mariage homosexuel rentre dans cette catégorie puisqu’il est un élément de la société que la Nation veut avoir. Aussi il me semble improbable que le Conseil refuse la tenue d’un tel référendum.

Rétroliens

  1. Ce n’est qu’un début… continuons le débat ! « Thomas More

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