Edito de la semaine : Qui est Andreas Voßkuhle ?

© Reuters / Alex Domanski

Un homme au cœur de l’actualité, qui a eu droit aux honneurs des journaux cette semaine, en particulier du journal Le Monde du 2 octobre qui l’a érigé en « sauveteur de l’euro » et a publié (en page 23, il fallait être un peu persévérant) une interview arrachée à son emploi du temps de ministre. De ministre, ou plus exactement de président du Tribunal constitutionnel fédéral d’Allemagne, aussi appelé Cour de Karlsruhe du fait de sa localisation géographique.

Si vous n’aviez pas la réponse, c’est que vous étiez vraiment passé à côté de quelque chose. En témoigne la présentation faite par les journalistes de la Cour : « les allemands les vénèrent, les responsables politiques les craignent, leurs confrères les jalousent ». Fichtre ! En voilà de la juridiction constitutionnelle ! A ce stade on se demande si le sang n’est pas monté à la tête du reporter. Est-ce qu’on s’imagine, en France, vénérer Michel Charasse ? Mais au sens des journalistes, aucune comparaison n’est possible avec notre Conseil constitutionnel français. En effet la Cour de Karlsruhe serait « bien plus influente que les autres cours constitutionnelles européennes », les citoyens allemands appréciant « l’indépendance de cette institution dont les juges […] sont élus pour douze ans par les parlementaires à une majorité des deux tiers, ce qui impose un consensus entre les partis ». Suivez le regard des auteurs, en direction de la procédure de nomination des juges constitutionnels français. Tout suscite l’admiration, depuis le nombre de recours déposé chaque année devant la Cour (4500) jusqu’au mobilier Ikea du président Voßkuhle, « qui n’a pas dû coûter trop cher aux contribuables allemands » et qui est opposé aux « ors du Conseil constitutionnel français ». De toute évidence, les journalistes du quotidien du soir ont été très impressionnés par la juridiction constitutionnelle allemande. Ainsi que par son président, dont on apprend qu’il a été recteur de l’université de Fribourg et qu’il a poussé la vertu jusqu’à repousser la proposition d’Angela Merkel de briguer la présidence de la République fédérale d’Allemagne. Le décor est planté, avec un brin d’emphase peut-être.

L’intérêt de cet article n’est toutefois pas tant dans cette peinture de la Cour de Karlsruhe, mais dans les propos rapportés de son président. Andreas Voßkuhle nous livre à cette occasion ses vues sur l’Europe des juges et l’Europe de la démocratie.

L’Europe des juges, Andreas Voßkuhle en est un des emblèmes. La décision de la Cour de Karlsruhe sur le Pacte budgétaire européen a tenu en haleine l’Europe entière, ce qui amène son président à reconnaître qu’incombait à son institution une « responsabilité particulière ». Selon lui, les tribunaux constitutionnels des États membres ont un rôle important à jouer dans la construction politique et juridique de l’Union européenne car « plus le contrôle de respect du cadre juridique sera fiable, plus la confiance des citoyens dans la politique et les institutions publiques sera forte ». Certes « les tribunaux doivent aussi faire preuve de retenue », et ne pas constituer une source de blocage, mais ils sont « une condition préalable pour que l’intégration puisse progresser plus rapidement ». Des tribunaux constitutionnels puissants sont donc une condition aux progrès de la construction européenne. Les tribunaux constitutionnels sont appelés à jouer leur partition au sein du « dialogue des juges », dans la mesure où « aucun tribunal dans le monde ne peut plus être isolé, pas plus la Cour constitutionnelle que les autres ».

Mais les vues du président Andreas Voßkuhle sont plus originales quand elles portent sur l’Europe de la démocratie. Car elles ne s’arrêtent pas à des discours convenus sur l’Europe des juges. Elles sont aussi une mise en garde sur l’évolution de la construction communautaire, dont le déficit démocratique est de manière récurrente montré du doigt. Andreas Voßkuhle n’hésite pas ainsi à expliquer que si le passé « a été marqué par une Europe des élites dans laquelle quelques-uns décidaient de la manière dont l’Europe était construite », il n’est plus désormais possible de procéder ainsi. Il s’agit désormais, selon ses termes, « de prendre la démocratie au sérieux », à travers une politisation accrue au niveau européen. C’est bien là tout le sens de la jurisprudence de la Cour de Karlsruhe, qu’Andreas Voßkuhle a la bienveillance de synthétiser pour le lecteur français. Il s’agit en effet de mettre « l’ancrage démocratique » et le principe de légitimité au cœur du raisonnement juridique sur les traités européens. Cet ancrage démocratique n’est pas conçu par le président du Tribunal constitutionnel fédéral comme un frein à la construction européenne, mais comme un aiguillon pour les éventuels approfondissements communautaires à venir. Quelles que soit les formes prises par l’intégration européenne, cette dernière ne doit pas perdre de vue ses principes démocratiques, en s’appuyant sur les instances représentatives que sont le Parlement européen et les parlements nationaux. « La question décisive est de savoir si les droits participatifs requis par le principe démocratique sont préservés » : tel serait le principe qui doit guider le contrôle par les tribunaux constitutionnels des traités européens.

Alors à défaut de décerner à Andreas Voßkuhle le titre de « sauveteur de l’euro » (à ce sujet le Conseil constitutionnel français a lui aussi rendu une décision autorisant la ratification du Pacte budgétaire européen, sans que les éditorialistes du Monde n’ait songé à affubler Jean-Louis Debré d’un tel titre), on peut au moins lui savoir gré d’essayer de réconcilier l’Europe des juges et l’Europe de la démocratie. En cela, il gagne à être connu.



Catégories :Droit comparé, Droit constitutionnel, Tribunes

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1 réponse

  1. Article très intéressant merci bien

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