Dans sa rédaction initiale, l’article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958 disposait :
« Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord de Communauté ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l’article précédent. »
Le caractère léonin de cette disposition, et en particulier le champ réduit des projets qui peuvent être adoptés par le biais de ce référendum législatif, n’ont pas empêché Charles de Gaulle d’en user abondamment durant ses deux mandats.
Que l’on se souvienne en effet de la révision par référendum de la Constitution pour instaurer en 1962 l’élection du Président de la République au suffrage universel, de l’autorisation de ratifier les accords d’Evian mettant fin à la Guerre d’Algérie la même année, ou encore du référendum sur le Sénat et la régionalisation qui conduit à la démission du Général en 1969.
Sans revenir ici sur la polémique relative à l’usage de l’article 11 pour réviser la Constitution, De Gaulle a montré que le référendum avait vocation à permettre aux électeurs de se prononcer sur de grands sujets engageant l’avenir de la nation tant pour ce qui concerne ses institutions que pour ses relations extérieures.
Une vision maximaliste avait toutefois été promue, notamment par Michel Debré, au moment de la rédaction de la Constitution en 1958 et aurait consisté à soumettre à un référendum tout projet de loi que le Parlement aurait refusé d’adopter.
C’est cependant bien une conception plus solennelle du référendum qui a été retenue. Conception d’autant plus dangereuse d’ailleurs qu’elle fait écho à notre longue tradition plébiscitaire qui consiste à voter davantage pour – ou contre ! – l’auteur d’un référendum que sur le projet de loi soumis au vote…
C’est pourquoi, prenant acte d’une certaine tombée en désuétude du dispositif depuis le départ du Général, le champ matériel du référendum ainsi que la procédure conduisant à son engagement ont été ouverts plus largement encore.
Ainsi, ce sont d’abord les projets relatifs « à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent » qui peuvent être adoptés par la voie du référendum depuis la révision du 4 août 1995. C’est ensuite la procédure du référendum d’initiative minoritaire, déjà suggérée en 1993 par le comité Vedel, qui a finalement été adoptée avec la révision du 23 juillet 2008, sans toutefois que la loi organique permettant sa mise en œuvre ne soit encore adoptée à ce jour (!).
Nicolas Sarkozy avait proposé, durant sa campagne présidentielle de 2012, la soumission à un référendum de deux projets de loi relatifs à « l’indemnisation des chômeurs » et à l’unification du contentieux des étrangers. L’ironie invite d’ailleurs à remarquer qu’il sera resté, avec Valéry Giscard d’Estaing, le seul président de la Vème République à ne pas avoir recouru au référendum législatif durant son mandat…
Mais c’est dans la continuité de sa campagne que les parlementaires de l’UMP réclament aujourd’hui un référendum sur le projet de loi relatif au mariage et à l’adoption pour tous les couples. Il n’est pas tant question ici d’interroger les motivations politiques – politiciennes ? – de cette démarche que de rappeler en quoi un tel référendum est inconstitutionnel.
La législation sur le mariage et l’adoption ne constitue pas une « politique sociale de la nation »
Les partisans du référendum soutiennent d’abord que l’article 11 permet l’adoption dudit projet de loi par la voie du référendum en tant qu’il serait relatif « à la politique (…) sociale de la nation ».
Or, cette analyse nous semble erronée en droit pour deux séries de raisons.
En premier lieu, la « politique sociale de la nation » fait historiquement référence aux politiques publiques relatives à la protection sociale mises en place avec l’Etat-Providence au sortir du second conflit mondial. Ces politiques reconnaissent des droits-créance dont les administrés peuvent se prévaloir à l’encontre de l’Etat, tels que le droit à la santé, le droit à la culture ou encore le droit à la retraite.
En témoigne notamment la formulation de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose :
« [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Quoiqu’elles puissent avoir une influence sur le régime juridique des familles françaises, les dispositions – à caractère civil – du projet de loi relatif au mariage pour tous nous semblent donc exclues du champ de la politique sociale dans la mesure où elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’instaurer une politique publique relative à la protection sociale.
En second lieu, une étude de l’économie de l’article 11 confirme cette analyse puisque le référendum y est ouvert pour tout projet de loi relatif « (…) à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ».
Or, il est bien ici question du champ économique et social, ainsi que des services publics qui concourent à l’exécution des politiques de la nation. Le mot « social » ne saurait donc être compris en dehors du membre de phrase dans lequel il est inséré et qui exclue les dispositions d’ordre civil.
Cette lecture de l’article 11 se trouve d’ailleurs confirmée par l’étude des travaux parlementaires relatifs à la révision constitutionnelle de 1995. Ainsi, lors de son audition par l’Assemblée, Jacques Toubon, Garde des Sceaux du gouvernement Juppé, avait-il pu préciser : « En limitant l’extension du champ référendaire aux matières économiques et sociales, le Gouvernement a choisi d’exclure (…) ce qu’il est convenu d’appeler les questions de société avec les libertés publiques, le droit pénal (…) Il doit donc être clair qu’il ne saurait y avoir de référendum sur des sujets tels que la peine de mort, la repénalisation de l’avortement ou sur l’expulsion des immigrants clandestins, le référendum n’étant pas – et ne devant pas être – un instrument de démagogie. (…) Les termes du projet de révision constitutionnelle excluent volontairement tout référendum sur les garanties des libertés fondamentales (…) parce que ces sujets doivent continuer à relever de la compétence exclusive du Parlement. A titre d’exemples, un référendum pourrait porter, dans le domaine économique, sur les privatisations, le plan ou les lois d’orientation pluriannuelles et, dans le domaine social, sur les orientations générales du droit du travail, de la sécurité sociale, de la politique de la santé, sur l’exclusion ou l’aide sociale. (…) Sont, en revanche, exclus du nouveau champ d’application le droit pénal, l’entrée et le séjour des étrangers en France, les libertés publiques (…) et le droit civil. »
Il n’existe aucun principe à valeur constitutionnelle relatif au caractère hétérosexué du mariage
D’autres soutiens du référendum tentent de découvrir dans les dispositions du code civil relatives au mariage un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » (PFRLR) aux termes duquel le mariage serait une institution hétérosexuée. Outre que cette remarque se trouve viciée de contrariété avec un autre de leurs arguments (en l’espèce, le fait que le Conseil constitutionnel ne puisse contrôler la constitutionnalité des projets de loi soumis à référendum, voir infra), elle n’est pas davantage opérante.
Il appartient à titre liminaire de remarquer qu’un tel PFRLR n’a, à ce jour, pas été dégagé par le Conseil constitutionnel. Il ne l’a notamment pas fait lorsqu’il a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2010-92 QPC) soulevant une exception d’inconstitutionnalité de l’article 144 du code civil, qui dispose : « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ». Les requérants soutenaient à cette occasion que l’interdiction du mariage entre personnes du même sexe et l’absence de toute faculté de dérogation judiciaire porteraient atteinte à l’article 66, à la liberté du mariage, au droit de mener une vie familiale normale ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi.
Or, le Conseil, s’il a écarté la QPC, s’est bien gardé de dégager un quelconque PFRLR et a seulement confirmé, aux termes d’une jurisprudence constante, qu’il ne lui appartenait pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de [la] différence de situation » entre les couples hétérosexuels et homosexuels, renvoyant donc au Parlement le soin de légiférer s’il en est besoin.
Cette remarque n’interdit certes pas que le Conseil de découvrir en cette matière un PFRLR à l’avenir mais elle réduit à tout le moins cette possibilité au rang d’hypothèse, par définition incertaine.
Le Conseil a en effet précisé dans sa décision Loi portant amnistie (n° 88-244 DC) les conditions que doit remplir un PFRLR. Il doit ainsi avoir été mis en œuvre sans discontinuité par des dispositions législatives adoptées par un parlement républicain avant 1946.
Or, s’il fallait prendre au sérieux cet argument, il appartiendrait de se souvenir que le code civil a été promulgué par Napoléon Bonaparte, le 21 mars 1804, sous le régime autoritaire du Consulat issu du coup d’État du 18 brumaire et de la constitution de l’an VIII. S’il a bien contribué à unifier des pratiques issues de l’Ancien Régime, il nous semble dès lors difficile de regarder les dispositions du code civil relatives au mariage comme fondant un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
En tout état de cause, il y aurait là une étrange conception de notre Constitution et des principes fondamentaux de notre République, à un moment de l’histoire où la protection des droits fondamentaux s’étend lentement dans le monde au prix d’âpres luttes. La Cour suprême colombienne a en effet jugé constitutionnel le mariage pour les couples de même sexe en 2011 et la Cour suprême américaine pourrait juger, avant l’été 2013, que la Constitution américaine regarde également comme inconstitutionnelle toute loi interdisant le mariage aux couples de même sexe. Quatorze pays autorisent à ce jour les couples de même sexe à se marier.
Etrange conception donc de la Constitution française que celle qu’appellent de leurs vœux les partisans du référendum en estimant, à l’heure même où nos principes républicains progressent dans le monde, qu’il y aurait, dans les lois de ladite République, quelque principe à rebours de l’histoire et aux termes duquel l’extension à tous les couples du droit de se marier serait inconstitutionnelle…
L’absence de contrôle du projet de loi par le Conseil constitutionnel est étrangère de la question de la constitutionnalité du référendum
Certes, nous dirons les promoteurs du référendum, mais, d’une part, le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la constitutionnalité d’un projet de loi soumis à référendum. Et en effet, il ne contrôle pas la constitutionnalité du projet de loi ni à l’égard des conditions de fond, ni à l’égard des conditions de forme du référendum.
Le Conseil constitutionnel se limite ainsi à un contrôle de la régularité des opérations électorales, qu’il opère au titre de l’article 60 (n° 2000-21 REF, M. Stéphane Hauchemaille). Le Conseil d’Etat ne contrôle pas davantage la légalité du décret déclenchant la procédure du référendum, qu’il regarde comme un acte de gouvernement insusceptible de recours (CE 10 septembre 1992, Meyet, Galland).
Le comité Vedel préconisait toutefois l’instauration d’un contrôle préalable de la constitutionnalité du projet de loi avant sa soumission au référendum. La révision de 2008 s’est inspirée de cette proposition et a introduit à l’article 61 alinéa 1er un tel contrôle préalable par le Conseil des propositions de loi soumises dans le cadre de la procédure du référendum d’initiative minoritaire.
Il n’est donc pas totalement irréaliste d’imaginer que la jurisprudence du Conseil constitutionnel puisse évoluer vers un contrôle préalable des projets de loi soumis à référendum.
D’autre part, argueront-ils, le juge constitutionnel ne contrôle pas davantage la constitutionnalité du projet de loi après son adoption par les Français, ainsi qu’il l’a rappelé à l’occasion des référendums relatifs à l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962 et à l’autorisation de ratifier le traité de Maastricht en 1992.
Cette jurisprudence est fondée sur le principe selon lequel « la souveraineté nationale [appartenant] au peuple » (article 3), il n’est pas loisible au Conseil constitutionnel – dont la composition et, partant, la légitimité posent d’ailleurs toujours question – de contrôler la constitutionnalité d’un texte adopté directement par le peuple.
S’il n’appartient pas ici de le remettre en question, il peut toutefois être remarqué que ce principe a été écarté dans d’autres grandes démocraties sans que la critique d’un quelconque « Gouvernement des juges » n’y prenne pied. Qu’il suffise en effet de penser à l’Allemagne dont la Loi fondamentale reconnaît, à ses vingt premiers articles, des droits fondamentaux inhérents à la personne humaine et auxquels nulle révision constitutionnelle ne peut porter atteinte, aux termes de ce que les Allemands appellent une « clause d’éternité ».
Pour ces trois séries de raisons, le mariage pour tous est constitutionnel mais un référendum est inconstitutionnel
Certes, disions-nous, le Conseil constitutionnel ne contrôle donc pas (encore) la constitutionnalité d’un projet de loi soumis à référendum. Mais en droit comme en politique, les mots ont un sens. Et, a fortiori, le texte de l’article 11 a bien un sens, un sens qui exclut de son champ un référendum sur la matière civile. Un sens qu’il appartient à ceux qui représentent la nation de ne pas perdre de vue.
Pour l’ensemble de ces raisons, la voie du référendum est fermée pour adopter le projet de loi relatif au mariage pour tous.
La seule possibilité ouverte pour les partisans du référendum confine au ridicule puisqu’elle consisterait d’abord à réviser le champ de l’article 11 par le biais de la procédure de l’article 89, qui requière au moins une majorité simple dans chaque chambre – et une majorité qualifiée dans l’hypothèse d’une adoption en Congrès –, ce que l’UMP n’est pas en mesure de réunir, puis à soumettre ledit projet de loi au référendum.
Toute autre procédure nous semble à ce jour inconstitutionnelle.
Il faut enfin rappeler que l’Etat de droit est bien un trésor en France et que nous dénonçons suffisamment – et à raison – les libertés prises par certains régimes autoritaires étrangers avec leur propre constitution pour ne pas respecter la notre.
En chinois, la « France » se dit « fa guo », littéralement le « pays du droit ». A l’heure où la Chine embrasse (trop) lentement notre idéal d’Etat de droit, il serait en effet bien triste que nous, la France, nous ne fassions le choix de nous en détourner.
Nous avons publié deux points de vue d’étudiants en droit sur la question. Pour lire la seconde tribune :
Tribune – Mariage pour tous : une occasion de mettre fin à l’agonie de la démocratie semi-directe.
Catégories :Droit constitutionnel, Tribunes
J’ai beau avoir tout lu et tout compris, je ne vois pas pourquoi ce projet ne constitue pas une réforme social. Au contraire, on est en plein dedans.
Si vous avez envie de réfléchir sur le fond, je vous laisse lire (réservé à ceux qui veulent vraiment réfléchir, pas aux fainéants des yeux) : http://forums.remede.org/la_salle_de_repos/sujet_61959.html
Parce que la législation civile sur le mariage ne constitue pas une « politique sociale de la nation ». C’est le sens du deuxième paragraphe de ma (modeste) démonstration.
Les catégories juridiques sont objectives, elles n’ont pas vocation à se plier aux conceptions subjectives de chacun sur ce que serait une « politique sociale ». Les règles relatives au mariage n’ont jamais constitué une « politique sociale » en France et les débats parlementaires de 1995 le démontrent à nouveau, si besoin était.
Encore une fois, tout est dans l’article.
Grand chevalier du droit public,
Je tiens à saluer un article qui présente simplement clairement les questions juridiques se posant dans ce débat. Ceci à l’opposé du forum d’un précédant commentateur énonçant que le droit a pour origine unique la loi naturelle, et qui, se voulant défenseur de la langue française, parle de « septiques » à la place de « sceptiques »… On ne peut que se sentir désolé pour les intéressés…
J’aurais souhaité avoir la réponse à une question qui m’était venu à l’esprit lors de mes cours de droit constitutionnel et que cet article m’a rappelé: il ne me semble pas que le Conseil constitutionnel ait jamais reconnu l’existence d’un PFRLR qui ne trouve pas son origine dans une loi n’ayant pas été voté sous la IIIe ou la IVe République. Est-ce le cas?
Bien cordialement
C’est une très bonne question. J’ai recherché dans le manuel de Dominique Rousseau Droit du contentieux constitutionnel et il me parait difficile de dégager une réponse qui soit claire.
En premier lieu parce que le Conseil Constitutionnel ne s’est pas toujours appuyé sur une loi précise pour déclarer un PFLR (ou PFRLR). Ainsi il a pu, tant pour la liberté individuelle (décision n°76-75 DC du 12 janvier 1977) que pour l’indépendance des professeurs d’Université (décision n°83-165 DC du 20 janvier 1984) ou encore le respect des droits de la défense (décision n°76-70 du 2 décembre 1976), s’abstenir de donner un fondement textuel précis. Il a toutefois précisé par la suite, dans une décision du 20 juillet 1988, que la « tradition républicaine » ne suffisait pas à caractériser un PFLR : il faut bien qu’elle ait « pris corps dans un texte législatif« , qui relève de la législation républicaine. Mais il ne s’est pas senti obliger de le préciser à chaque fois qu’il dégage un principe. Ainsi on peut logiquement se demander si le Conseil considère la liberté individuelle est un PFLR issu d’une loi de la Ière, IIème ou IIIème République ?
En second lieu, il faut faire attention : aucun PFLR ne provient d’une loi de la IVe République. C’est bien dans le Préambule de 1946 que sont évoqués ces fameux PFLR. Le Conseil Constitutionnel refuse donc de considérer que des PFLR pourraient être dégagés à partir de textes législatifs postérieurs à 1946 (comme cela est indiqué dans l’article). Ne sont donc concernées que la Ière, IIème et IIIème République.
En dernier lieu, les lois des Ière et IIème République qui pourraient donner naissance à un tel PFLR sont très minces. De par la durée même de ces régimes politiques (12 ans pour la Ière, 4 ans pour la IIème) tout d’abord. Ensuite, parce qu’il faudrait une loi qui ait survécu depuis plus de 2 siècles, sans discontinuité. A part le Code civil, qui a été promulgué sous le Consulat, donc formellement sous la Ière République, il est très difficile de trouver des lois qui ont survécu plus de 150 ou 200 ans… On peut donc logiquement considérer que les probabilités pour qu’un PFLR soit issu d’une loi de la Ière ou de la IIème République sont très faibles…
Merci pour ce recensement Nicolas, mon post a été plus tardif que le tien. 🙂
En revanche, il me semble critiquable de dire que le code civil a été promulgué sous la Ière République puisqu’il a été promulgué le 30 ventôse an XII (21 mars 1804), c’est-à-dire après l’entrée en vigueur le 7 février 1800 de la Constitution dite du 22 frimaire an VIII qui organise le régime autoritaire du Consulat.
Au-delà même de la question de la chronologie des promulgations, il me semble que l’on peut plutôt retenir une conception substantielle du critère de loi « républicaine » comme votée non pas seulement sous l’empire de ce que les historiens ont retenu comme la Ière République, mais sous un système politique républicain au sens de l’article 16 (garantie des droits par la séparation des pouvoirs).
Le Conseil a par exemple pu dégager le principe d’une séparation des juridictions administrative et judiciaire dans sa décision Conseil de la concurrence n° 86-224 DC. Même si le considérant 15 laisse à penser qu’il ne tire pas tant ce principe de la loi des 16-24 août 1790 que d’un « principe français de séparation des pouvoirs » dont la source demeure obscure, si ce n’est l’article 16 DDHC que la décision n’évoque pas.
De même, dans sa décision n° 76-70 DC, il juge les « droits de la défense » comme résultant d’un PFRLR dont il ne précise pas la source.
Dernier exemple, dans sa décision n° 89-256, il semble tirer de l’article 17 DDHC le principe selon lequel l’autorité judiciaire est garante de la propriété (et qui s’est notamment déployé dans notre droit à l’époque napoléonienne).
La liste n’est pas exhaustive mais en tout état de cause, le Conseil ne retient pas uniquement des lois des IIIè et IVè république.
Pour la séparation des juridictions administrative et judiciaire, en effet, le Conseil ne peut pas s’appuyer sur la loi de 1790, la République n’ayant commencé qu’en 1792. En revanche, c’est pour le coup essentiellement la loi du 24 mai 1872 qui est visée à mon avis, même si ce n’est pas dit explicitement…
Oui bien sûr. Ce sont les requérants qui avaient soulevé la loi de 1790 (LOL !).
Merci pour votre article. Je suis d’accord avec vous sur l’existence, ou plutôt l’inexistence, d’un éventuel PFRLR. Votre paragraphe sur les travaux préparatoires, dont j’ignorais la teneur, démontre bien qu’objectivement le droit civil n’est pas inclus dans le champ de l’article 11. Néanmoins cet argument ne me semble pas nécessairement décisif.
D’abord car on pourrait opposer l’idée que les constituants ne doivent pas lier les générations suivantes, comme le montre l’exemple de la Cour suprême américaine qui a interprété successivement plusieurs dispositions de la Constitution fédérale dans des sens opposées. Ce qui compte avant tout est le texte (et le texte en mentionne pas expressément que le droit civil est exclu) et il est concevable qu’une interprétation éclairée par les travaux préparatoires cède face à une nouvelle interprétation.
Pour en rester au droit français, de nombreuses dispositions de la Constitution ne sont pas actuellement interprétées et appliquées comme auraient pu le suggérer les discussions des constituants (article 8, article 20). Ainsi d’après les premières versions de la Vème, il était prévu que le PR « définit l’orientation de la politique intérieure et extérieure du pays » ce qui implique un chef de l’exécutif au sens plein du terme. Guy Mollet et Pierre Pflimlin ont imposé le PM comme leader politique de la Nation (détermine et conduit…) mais en réalité c’est bien la première version qui s’est imposée.
De plus on sait bien que le référendum de l’article 89 n’a pas empêché De Gaulle d’instaurer l’élection du PR au suffrage universel par la voie de l’article 11. Mitterrand avait lui même considéré par la suite que (malgré l’illégalité de ce procédé si on s’en tient à une interprétation systémique de la Constitution) la pratique du général avait créé un usage, une coutume qui posait l’article 11 comme un moyen alternatif de réviser la Constitution.
Dans ce type de question d’interprétation constitutionnelle je pense qu’in fine ce sont toujours les circonstances et la volonté politique qui comptent. D’ailleurs l’article 3 dispose que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum : il ne semble pas y avoir de distinction ou de gradation entre les deux voies, apparaissant toutes deux aussi légitimes, ce qui justifierait une interprétation extensive de l’article 11.
Il me semble donc « abusif » de dire que le recours à l’article 11 sur une question de droit civil serait obligatoirement inconstitutionnelle et contraire à l’Etat de droit.
Cependant je pense que dans le cas présent le référendum ne doit pas être un moyen pour l’opposition de tenter de contourner la législation élaborée par la majorité et qui .constituait une mesure importante de son programme. D’ailleurs c’est le PR qui décide de soumettre un projet de loi au référendum : quand bien même un tel référendum serait constitutionnel, cela n’impliquerait pas que cette réforme du mariage ne puisse être adoptée que par le référendum. L’adoption par le Parlement est tout aussi constitutionnelle et légitime.
Mais même si c’était le cas, cela ne serait pas nécessairement synonyme de négation du parlementarisme : en Italie, régime parlementaire s’il en est, la procédure du référendum abrogatif a été appliquée de nombreuses fois.
Sur la question du contrôle des lois constitutionnelles, le cas de l’Allemagne est bien particulier et lié à son histoire. En France cela serait surement bien moins admis, car la légitimité du CC repose en partie sur la possibilité de tourner sa jurisprudence, ce qui a été fait plusieurs fois. Edouard Balladur avait dans cet esprit dit devant le congrès en 1993 quelque chose du type : comme le pouvoir législatif s’impose aux juges administratifs et judiciaires, le pouvoir constituant, souverain, s’impose au juge constitutionnel.
Enfin je pense qu’un argument sur le nombre de pays qui autorisent le mariage pour les couples de même sexe n’est pas forcément pertinent sur la question purement française et constitutionnelle du champ du référendum de l’article 11 (et si on devrait faire du droit constitutionnel comparé, si 14 pays l’autorisent, cela signifie que 181 ne l’autorisent pas, et quand bien même ce serait l’inverse, il est possible d’avoir raison tout seul). Comprenez bien que mon commentaire a simplement une visée juridique, je ne me prononce pas ici sur mon soutien ou non à cette réforme.
A bientôt