Bien que la question de la constitutionnalité d’un référendum relatif au « mariage pour tous » a été posée à maintes reprises et largement traitée sur les différents médias, il convient de revenir sur la question, non pas d’un point de vue partisan, mais avec une appréciation strictement juridique.
Le droit ne doit pas être laissé au service des partisans ou des opposants à cette réforme. Il existe un état du droit qu’il convient d’apprécier, et chaque camp connaîtra ainsi sa marge de manœuvre dans le débat qui les oppose. Ce n’est donc pas l’opportunité de cette réforme qui fera l’objet de notre questionnement, mais les strictes questions juridiques.
Le dimanche 13 Janvier 2013, entre 340.000 et 800.000 personnes ont défilé dans les rues de Paris. Ceci afin de demander au Président de la République l’organisation d’un référendum législatif sur le projet relatif à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Le 15 Janvier, Madame le Ministre de la Justice, Christiane Taubira, lors d’une séance de questions au Gouvernement, a confirmé le refus de l’exécutif d’accéder à la demande des manifestants et des élus de l’opposition en arguant d’une impossibilité sur le plan constitutionnel. Il convient de s’opposer à cette argumentation.
Un référendum juridiquement concevable.
Le chef de l’Etat a affirmé, afin d’écarter toute éventualité d’un référendum, que « le champ de l’article 11 de la Constitution est strictement limité et écarte les sujets de société » [1]. François Hollande considère ainsi que les questions de société n’entrent pas dans le cadre de la « politique […] sociale de la nation » qui est une des possibilités évoquées dans l’article 11 de la Constitution [2].
La définition de la politique sociale de la nation diverge ici selon les intérêts. Chacun est libre, à l’instar d’Henri Guaino, d’ouvrir le Petit Robert, ou encore d’invoquer des références historiques qui ne font que servir sa position. Soulignons toutefois la position de Madame le Professeur Anne-Marie le Pourhiet, vice-présidente de l’Association Française de Droit constitutionnel, qui affirme que « Si les mots ont un sens, social veut dire relatif à la société. […] une loi relative à la famille et au mariage est une loi de politique sociale » [3].
Cependant, cette appréciation du terme « social » opérée par les différents membres de la doctrine constitutionnelle a, en définitive, peu d’importance. La véritable interrogation porte sur l’organe compétent pour interpréter cet article de la Constitution. Or, en l’occurrence, il appartient uniquement au Président de la République d’interpréter cette disposition dans la mesure où il en est l’interprète authentique.
En effet, lui seul, après proposition du Gouvernement – proposition qui sera en fait une exigence présidentielle -, peut soumettre une question à la consultation populaire. Il est la seule autorité compétente pour initier la procédure du référendum législatif – sous réserve du référendum d’initiative partagée que nous évoquerons par la suite. Le référendum est donc, selon Francis Hamon, le « recours du prince » [4]. Cela amène certains auteurs à mettre en avant la « dangerosité » d’un tel système, mais il est hautement contestable de se limiter à un rappel de la tradition plébiscitaire française pour rejeter cette procédure. Si la crainte d’un vote sanction contre l’exécutif existe, il convient d’y remédier non pas par un oubli pur et simple du système référendaire mais par une modification de sa structure. Cette modification fut souhaitée par Francis Hamon qui affirma que « c’est seulement lorsque la décision d’y recourir ne sera plus exclusivement la « chose du président » que le référendum deviendra une institution authentiquement démocratique » [5].
La Constitution actuellement en vigueur laisse cependant un pouvoir discrétionnaire au chef de l’Etat. Il lui appartient donc d’interpréter les termes de l’article 11 et il lui est donc tout à fait possible de considérer que l’objet du débat est une politique sociale de la nation. Bruno Daugeron a parfaitement exposé les différentes alternatives offertes au Président en ces termes: « Sera donc regardée comme une réforme relative à la politique sociale de la nation ce que le chef de l’État, et avant lui l’organe qui lui propose, décidera de regarder comme tel. Il peut refuser d’y inclure le mariage. Mais, sujet dit «de société» ou pas, il peut aussi l’accepter sans qu’à aucun moment l’on puisse considérer que le référendum sur le sujet du mariage homosexuel ne serait pas prévu par la Constitution. » [6].
Le droit constitutionnel est une création continue opérée par les différents acteurs qui le mettent en œuvre. C’est par l’interprétation, et éventuellement la concrétisation des énoncés normatifs, que le droit constitutionnel va trouver sa positivité. Or le Président de la République est ici parfaitement compétent pour se prononcer sur l’étendue des attributions qui lui sont accordées par la Constitution. En effet, « le choix […] appartient aux autorités habilitées à appliquer cette disposition » [7]. Aucun autre organe n’a autorité pour interpréter l’article 11 de la Constitution, pas même le Conseil constitutionnel.
L’incompétence du Conseil constitutionnel en cas de référendum sur le « mariage pour tous ».
Le Conseil constitutionnel, en vertu de sa jurisprudence du 6 Novembre 1962, ne se reconnaît pas compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois adoptées directement par le peuple. La haute instance n’a en réalité qu’une compétence d’attribution et il apparaît difficile pour cette institution de censurer celui qui lui a donné cette compétence.
Cependant, au titre de l’article 60 de la Constitution, le Conseil peut contrôler la « régularité des opérations référendaires »[8]. Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel est-il compétent pour apprécier la conformité à la Constitution, et en particulier à l’article 11, d’une consultation proposée par un Président de la République ? Le doute est permis depuis la décision du 29 Mai 2005 [9]. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel ne se déclare pas expressément incompétent pour apprécier la non-conformité du Traité établissant une Constitution pour l’Europe à la charte de l’environnement.
Il est cependant souhaitable que cette ambigüité reste à ce stade. Au nom de quelle légitimité le Conseil constitutionnel empêcherait-il la tenue d’une consultation populaire ? Le Conseil constitutionnel prendrait-il le risque de créer une véritable crise institutionnelle ? On peut en douter. La démocratie constitutionnelle, défendue par Dominique Rousseau, est encore loin de faire l’unanimité.
Pourquoi, dans ce cas, François Hollande refuse-t-il la tenue d’un référendum ? Il est politiquement risqué pour lui de soumettre au peuple le projet relatif au « mariage pour tous ». Ceci marque un nouveau pas vers la crise et, sans changements constitutionnels futurs, la fin du système référendaire.
L’absence de consultation populaire sur le « mariage pour tous » : un ultime coup mortel au système référendaire ?
Depuis le départ du Général de Gaulle, l’utilisation du référendum est fortement limitée. Les textes soumis au peuple bénéficient généralement d’un consensus au sein de la classe politique et « auraient été adoptés sans la moindre difficulté, souvent même avec les voix de l’opposition, si le Président avait choisi la voie parlementaire » [10]. Reste cependant qu’il peut y avoir divergence entre les représentants de la nation et le peuple comme l’a démontré le référendum de 2005.
La raison de ce nécessaire consensus au sein de la classe politique sur le projet soumis à référendum est la limitation des risques politiques. La consultation doit porter sur « un projet que l’opposition ne peut pas rejeter, ou du moins contre lequel elle ne peut faire bloc car sinon, la simple addition des mécontentements suffira à faire pencher la balance en faveur du non » [11].
Le référendum a donc perdu toute utilité puisque l’on ne soumet pas au corps électoral les vraies questions. Le peuple n’est plus appelé à trancher les problèmes épineux sur lesquels les parlementaires sont indécis. « Arme politiquement dangereuse » [12] pour le Président de la République, le référendum devient une procédure oubliée. Si ce n’est sur cette question, sur quelle autre question d’importance l’article 11 pourrait-il être invoqué ? Aucune. Sur un tel sujet chacun est libre de se déterminer non pas en fonction de sa satisfaction de l’action présidentielle, mais en fonction du mouvement qu’il souhaite donner, ou non, à notre société. Ce débat ne constituant pas un débat d’expert, chaque citoyen peut s’exprimer sans que ce vote ne soit pas la suite décrédibilisé.
Le corps électoral donne sa confiance aux représentants de la nation pour prendre les grandes décisions relatives à la politique du pays. Pourtant par l’absence de l’utilisation de la procédure référendaire, les représentants de cette même nation manifestent leur absence de confiance dans le peuple lui-même.
Sans changements constitutionnels, l’article 11 est appelé à mourir. La preuve en est qu’aucun référendum sur la politique économique ou sociale de la nation n’a fait l’objet d’une proposition depuis la révision du 4 août 1995 élargissant le champ de la consultation populaire.
Enfin, on peut souligner que le référendum d’initiative partagée ne semble pas être la solution au renouveau du système référendaire. Non seulement les conditions fixées par la Constitution semblent difficiles à réunir (185 députés et/ou sénateurs et 4,5 millions d’électeurs), mais l’absence de loi organique permettant sa mise en oeuvre montre l’absence d’intérêt de nos représentants pour le sujet. L’adoption par le Sénat de la loi organique enregistré par sa Présidence le 10 Janvier 2012 ne semble pas concevable avant l’adoption du projet qui nous intéresse ici.
Soulignons toutefois que l’article 61 de la Constitution permet au Conseil constitutionnel, avant le référendum, de contrôler la conformité à la Constitution des propositions de loi issues de cette nouvelle procédure. Cette disposition ne permet pas au Conseil de contrôler les projets de loi issus de la procédure « habituelle ». Tout glissement jurisprudentiel en ce sens serait dépourvu de fondement textuel et serait encore moins souhaitable. Notons malgré tout qu’à cette occasion, il est envisageable que le Conseil statue sur les conditions fixées par l’article 11. Cette compétence éventuelle, une fois la loi organique adoptée, est regrettable démocratiquement dans la mesure où le Conseil pourrait, à cette occasion, mettre un obstacle à la souveraineté du peuple. Il convient donc d’espérer que le Conseil limite de lui-même sa jurisprudence ou qu’un changement constitutionnel vienne modifier cette compétence.
Afin d’être exhaustif, et pour achever notre démonstration, il convient de s’intéresser à la question soulevée par quelques juristes concernant l’existence d’un Principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) relatif à l’hétérosexualité du mariage.
L’existence d’un PFRLR relatif à l’hétérosexualité du mariage.
Il a d’ores et déjà été souligné que le Conseil constitutionnel ne pouvait contrôler la conformité du projet de loi permettant l’ouverture du mariage aux couples de même sexe si celui-ci était soumis au référendum. Il y a cependant une erreur de raisonnement si, de ce principe, on conclue que ce PFLRL est inexistant. L’absence de compétence du Conseil pour opérer le contrôle des lois référendaires signifie que le peuple peut modifier ce principe par la voie du référendum. Tel n’est pas le cas du Parlement.
Si le projet de loi, objet du débat, est adopté par le Parlement, le Conseil constitutionnel sera compétent pour contrôler cette loi au regard de sa conformité à la Constitution. Dans cette hypothèse la question du PFRLR redevient pertinente. Certes, dans sa décision du 28 Janvier 2011 [13], le Conseil constitutionnel n’a pas relevé un tel principe et a renvoyé le législateur à ses responsabilités. Notons au passage que le terme « législateur » ne désigne pas uniquement le Parlement, le peuple est un législateur dans le cadre du référendum législatif. Mais cela n’interdit en aucun cas la haute instance d’accueillir ce moyen lors de la saisine parlementaire.
Le caractère hétérosexuel du mariage peut-il être considéré comme contenu dans les lois de la République ? Le code civil date du Consulat, mais la République a largement pris sa part dans la construction de l’institution du mariage. En effet, la IIIème République « s’est préoccupée de mille et une façons d’organiser le mariage et ses conséquences et en particulier sa dissolution en 1884 » [14].
De façon objective, il revient au Conseil constitutionnel de statuer sur l’existence ou non de ce PFRLR, mais à la vue de ces arguments, la reconnaissance d’un tel principe n’est pas inenvisageable et doit donc être prise au sérieux.
A titre conclusif, il revient à la nation française de déterminer la société qu’elle veut voir exister. La crainte d’aller contre le sens de l’histoire peut exister, mais qui d’autre a le droit de déterminer ce que doit être l’histoire ? Certes, le peuple dispose de représentants, mais le débat se cristallise et la réconciliation ne passera que par l’exercice de la souveraineté nationale par le peuple lui-même. Le rejet du projet de loi serait considéré par certains comme une tâche sur notre démocratie. Ils proposent donc de nier la démocratie elle-même. Ne vaut-il mieux pas faire jouer pleinement les principes démocratiques de notre pays en faisant confiance au peuple pour choisir ce qui est le mieux – quel que soit ce « mieux » – pour notre société ?
[2] Article 11 de la Constitution du 4 Octobre 1958 : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »
[6] Le Figaro, 15 Janvier 2013, Bruno DAUGERON, « Mariage gay : le référendum est constitutionnel ».
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Merci beaucoup pour cette tribune contradictoire qui apporte bien plus au débat que nombre des commentaires (parfois insultants) que j’ai lus ces derniers jours… (pas sur ce site évidemment)
J’aimerais revenir très rapidement sur deux points puisque le raisonnement me paraît tout à fait défendable et légitime (évidemment, je n’y souscris pas totalement, mais je m’en suis déjà expliqué) :
D’abord, l’analyse qui est faite du caractère « social » d’une politique de la nation ne me paraît pas idiot et me semble dans la lignée de ce que peut défendre un Troper lorsqu’il estime qu’il n’y a de norme que lorsque le dernier interprète s’est prononcé. Sans revenir sur une polémique qui se prête plus au format de la thèse, utiliser la théorie réaliste de l’interprétation à propos de la constitutionnalité d’un référendum mène à mon humble sens à une impasse de la pensée juridique. En définitive, elle nous conduit à dire que nous sommes incapables, nous chercheurs, de trouver un sens objectif du texte constitutionnel et devons rester pendus aux termes du Conseil constitutionnel, seul interprète légitime de la Constitution. Je ne peux donc souscrire à cette approche.
Enfin, pour ce qui concerne le PFRLR, J-L Debré, interrogé dans un média cette semaine au sujet de la décision QPC Corinne C., a répondu qu’il n’y avait aucun principe constitutionnel s’opposant au mariage pour tous et qu’il appartenait au législateur de modifier la législation sur ce point. J’ai déjà défendu dans ma tribune l’inexistence d’un quelconque PFRLR à ce sujet. Mais puisque la théorie réaliste nous y invite, attendons de voir ce qu’en dira à nouveau le Conseil. Je ne doute pas un seul instant qu’il confirmera qu’il n’y a pas de PFRLR.
Rayan