La nouvelle est tombée hier midi : Nicole Maestracci et Nicole Belloubet sont nommées au Conseil Constitutionnel tandis que Claire Bazy-Malaurie y est reconduite. 3 femmes au Conseil Constitutionnel, l’institution se féminise puisque seulement 2 femmes siégeaient jusqu’alors aux côtés de leurs 10 collègues masculins (7 membres + 3 membres de droit). Dans aucun des articles n’est cependant évoquée la fameuse nouvelle procédure d’audition devant les commissions parlementaires des futures « sages ». Issue de la révision de 2008, cette procédure d’encadrement du pouvoir de nomination du Président de la République, du Président de l’Assemblée Nationale et du Président du Sénat avait pour objectif de « revaloriser » le rôle du Parlement.
N’écoutant que mes souvenirs de cours de droit constitutionnel sur le sujet, et un peu choqué par les nombreux médias qui annonçaient que les 3 membres du Conseil étaient déjà nommées, alors même que la procédure de l’article 13 n’avait pas encore été menée, je me permettais de rappeler à nos followers sur Twitter l’existence de celle-ci.
Mais, un peu hâtif, la tournure de mon tweet me voyait commettre un raccourci maladroit. @Conseiller_TA ne manqua pas de me le faire remarquer dans la minute qui suivit :
https://twitter.com/jetpack/status/301404465515356160
S’ensuivit alors une discussion intense sur cette procédure instaurée en 2008 et qui n’a pour l’instant été menée qu’une seule fois, en 2010. Il convient donc d’apporter quelques précisions utiles sur cette procédure qui peut souvent être source d’erreur pour les étudiants.
1. Les textes
a. La Constitution
C’est l’article 56 du Titre VII de la Constitution qui régit les modalités de la nomination des membres du Conseil Constitutionnel. Cet article a été révisé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il dispose dans sa rédaction actuelle :
« Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et n’est pas renouvelable. Le Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois ans. Trois des membres sont nommés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, trois par le président du Sénat. La procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 est applicable à ces nominations. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l’assemblée concernée » .
La révision constitutionnelle de 2008 a permis l’ajout des deux dernières phrases de l’article et donc celle de la nouvelle procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution qui encadre le pouvoir de nomination du Président de la République. Cet alinéa dispose :
« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés » .
De la combinaison de ces deux textes, on comprend que la nomination des membres s’effectue après l’avis public de la ou des commissions parlementaires compétentes.
b. La loi organique
Une loi organique (loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution) est venue préciser les modalités de cette procédure. L’article 1er dispose dans son 2e alinéa que l’avis est précédé par une audition publique par les commissions compétentes de la personne dont la nomination est envisagée. Surtout, dans l’alinéa 3, la loi prévoit que « cette audition ne peut avoir lieu moins de huit jours après que le nom de la personne dont la nomination est envisagée a été rendu public » . Enfin l’article 3 de cette loi définit les commissions compétentes en matière de nomination au Conseil Constitutionnel : « Dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente pour émettre un avis sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel, effectuées sur le fondement du premier alinéa de l’article 56 de la Constitution, est la commission chargée des lois constitutionnelles » .
Les modalités sont donc assez claires : les présidents rendent public le nom des personnes qu’ils envisagent de nommer. Après un délai minimum de 8 jours, les personnes sont auditionnées par les commissions des lois de l’Assemblée Nationale et / ou du Sénat qui rendent un avis public. Si l’addition des votes négatifs dans chaque commission dépasse au moins 3/5 des votes exprimés au sein des deux commissions, la nomination ne peut avoir lieu.
On est donc très loin de la procédure de confirmation à l’américaine des Justices de la Supreme Court. Néanmoins, affirmer comme l’ont fait de nombreux journaux que Mmes Maestracci, Belloubet et Bazy-Malaurie étaient déjà nommées au Conseil Constitutionnel semble un peu prématuré.
2. Les précédents
a. Les nominations de février 2010
La Constitution a été modifiée en juillet 2008. Néanmoins, pour la nomination au Conseil Constitutionnel de Jacques Barrot, Michel Charasse et Hubert Haenel en février 2010, la procédure décrite ne s’est pas appliquée, faute de loi organique. Celle-ci n’a été promulguée qu’en juillet, ne permettant pas la conduite de la procédure prévue par le dernier alinéa de l’article 13. Un début de mise en place a quand même eu lieu le 25 février 2010 : Michel Charasse et Jacques Barrot ont été auditionnés par la commission des lois de l’Assemblée Nationale et Hubert Haenel l’a été par la commission des lois du Sénat. Cependant ces auditions, qui ont eu lieu le lendemain de leur nomination (et non 8 jours après), n’ont pas été suivies de vote et les commissions n’ont donc pas rendu d’avis public officiel.
b. La nomination de Claire Bazy-Malaurie d’août 2010
Entrée en vigueur à l’été 2010, la loi organique n’aura pas attendu bien longtemps avant de s’appliquer. En effet, le lendemain de la promulgation de la loi organique (!!!), Jean-Louis Pezant, membre du Conseil depuis 2004 décédait. Le Président de l’Assemblée Nationale proposait alors Mme Claire Bazy-Malaurie pour le remplacer. Son audition a bien eu lieu devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale, le mardi 31 août 2010 (voir le compte-rendu sur le site de l’Assemblée). Pour la première fois, après une audition publique ouverte à la presse, un vote à bulletins secrets a eu lieu : 21 votants, 20 votes pour, 1 contre.
C’est le premier et, pour encore quelques jours, seul exemple de mise en oeuvre de la procédure de l’article 13 pour la nomination d’un membre du Conseil Constitutionnel. Les auditions auront lieu dans les jours qui viennent (pas avant le 20 février). Pour Nicole Maestracci, proposée par le Président de la République, il faudra passer devant les deux commissions des lois, au Sénat et à l’Assemblée. En revanche pour Nicole Belloubet, proposée par le Président du Sénat, une seule audition aura lieu devant la commission des lois du Sénat.
3. Les questions
a. Une nouvelle audition pour Claire Bazy-Malaurie ?
Qu’en est-il de Claire Bazy-Malaurie ? Nommée en remplacement de Jean-Louis Pezant en application des articles 11 et 12 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, elle a été reconduite pour un mandat de 9 ans. Cette possibilité est offerte à tout membre qui en remplace un autre pour la fin de son mandat si le remplacement a duré moins de 3 ans.
La question qui se pose est aujourd’hui de savoir si elle doit repasser ou non devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale. Un article du Figaro.fr semble considérer que ce n’est pas le cas. Rien n’indique dans la Constitution ou dans la loi organique que cette audition ne s’applique pas dans le cas où un membre est reconduit, après un remplacement de moins de 3 ans. Nous sommes en plus dans un cas particulier : pendant ces 3 ans, la majorité politique a évolué à l’Assemblée Nationale, de même que la composition politique de la commission des lois. Il paraîtrait donc préférable de procéder à une nouvelle audition, même si l’issue de celle-ci (comme l’issue des autres par ailleurs) est connue d’avance.
b. L’absence de recours en cas de violation de la procédure
Cependant, en l’absence d’une telle audition, l’acte de nomination de Mme Claire Bazy-Malaurie ne serait-il pas entaché d’un vice d’inconstitutionnalité ? Quelle serait la valeur d’une telle nomination ? Pourrait-il être annulé devant une juridiction compétente pour examiner ce type de recours ?
La question de la compétence s’est posée devant le Conseil d’Etat en avril 1999. L’assemblée du contentieux a jugé que le Conseil d’Etat n’était pas compétent pour connaître des recours formés contre les décrets de nomination des membres du Conseil Constitutionnel.
« Considérant qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative de connaître de la décision par laquelle le Président de la République nomme, en application des dispositions de l’article 56 de la Constitution du 4 octobre 1958, un membre du Conseil constitutionnel ; «
Les circonstances étaient alors différentes : ce pouvoir était purement discrétionnaire et il n’existait pas de procédure constitutionnelle d’encadrement. Néanmoins, lorsque le juge administratif procède à l’examen de sa compétence, ce genre d’argument ne joue pas normalement. Il est donc très probable que malgré cette nouvelle procédure, le Conseil d’Etat considère que cette nomination constitue toujours un acte de gouvernement.
Le Conseil Constitutionnel pourrait-il accepter de vérifier la légalité des nominations ? Contrairement au Conseil d’Etat, il ne s’est jamais expressément déclaré incompétent pour statuer sur un tel recours. Néanmoins, on ne voit pas trop à quel titre il pourrait le faire : concerné au premier chef par ces décrets, il serait bien mal venu qu’il s’arroge cette compétence en l’absence de tout texte.
Il n’y a donc que peu de chance de voir un tel recours aboutir, que ce soit devant le Conseil d’Etat ou devant le Conseil Constitutionnel. Il serait toutefois intéressant, qu’en l’absence de nouvelle audition de Mme Bazy-Malaurie devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale, des publicistes curieux ou des justiciables zélés déposent de tels recours. Afin de donner une réponse définitive à ce cas d’école.
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Il est à noter que contrairement à ce qui avait été annoncé dans la presse, Mme Bazy-Malaurie a bien été entendu par la commission des lois de l’Assemblée Nationale, le 20 février 2013. Les comptes-rendus des auditions à l’Assemblée et au Sénat sont disponibles sur les sites Internet des deux institutions :
– A l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cloi/12-13/c1213042.asp et http://www.assemblee-nationale.tv/chaines.html?media=3978&synchro=1816596 en vidéo.
– Au Sénat : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20130218/lois.html#toc6 pour Nicole Belloubet, http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20130218/lois.html#toc7 pour Nicole Maestracci et http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video16786.html pour les deux auditions en vidéo.