L’administration peut-elle retirer le contrat d’un agent public ?
CE, 21 nov. 2012, Région Languedoc Roussillon, req. n° 329903, sera mentionné aux Tables du Lebon.
Résumé :
Le recrutement irrégulier d’un agent contractuel lui ouvre droit à une procédure de reclassement au delà d’un délai de retrait de l’acte de recrutement qui est de quatre mois, à compter de son adoption.
Arrêt (sans les visas) :
1. Considérant que M. A a été engagé comme agent contractuel par la région Languedoc-Roussillon en tant qu’attaché principal affecté au service régional de l’information pour une durée de trois ans ; que, par un arrêté du 22 avril 2004, soit dans le délai de quatre mois à compter de la signature de la décision de recrutement , le président du conseil régional a rapporté la décision d’engager M. A et résilié le contrat qui liait celui-ci à la région; que, par un jugement du 4 octobre 2006, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. A tendant à l’annulation de l’arrêté du 22 avril 2004 ; que, par un arrêt du 19 mai 2009 contre lequel la région Languedoc-Roussillon se pourvoit régulièrement en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé l’arrêté litigieux ;
2. Considérant que, sauf s’il présente un caractère fictif ou frauduleux, le contrat de recrutement d’un agent contractuel de droit public crée des droits au profit de celui-ci ; que, lorsque le contrat est entaché d’une irrégularité, notamment parce qu’il méconnaît une disposition législative ou réglementaire applicable à la catégorie d’agents dont relève l’agent contractuel en cause, l’administration est tenue de proposer à celui-ci une régularisation de son contrat afin que son exécution puisse se poursuivre régulièrement ; que si le contrat ne peut être régularisé, il appartient à l’administration, dans la limite des droits résultant du contrat initial, de proposer à l’agent un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d’un tel emploi et si l’intéressé le demande, tout autre emploi, afin de régulariser sa situation ; que, si l’intéressé refuse la régularisation de son contrat ou si la régularisation de sa situation, dans les conditions précisées ci-dessus, est impossible, l’administration est tenue de le licencier ;
3. Considérant, toutefois, que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, tel l’acte d’engagement contractuel d’un agent, si elle est illégale, et dès lors que le retrait de la décision intervient dans le délai de quatre mois suivant la date à laquelle elle a été prise ; que, par suite, en s’abstenant de relever, en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires particulières, que l’acte d’engagement contractuel de M. A, dont la région Languedoc-Roussillon, soutenait devant elle qu’il était irrégulier pouvait être rapporté dans ce délai de quatre mois, et en jugeant, par suite, que la région devait au préalable s’efforcer de régulariser la situation de l’intéressé la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, la région Languedoc-Roussillon est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
4. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A le versement à la région Languedoc-Roussillon de la somme qu’elle demande en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 19 mai 2009 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Marseille.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la région Languedoc-Roussillon est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la région Languedoc-Roussillon et à M. Hocine A.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l’intérieur.
Note :
Le Doyen Péquignot estimait, bien avant l’externalisation croissante des fonctions administratives, que les contrats administratifs n’étaient pas totalement des contrats (G. Péquignot, Contribution à la théorie générale des contrats administratifs, Imprimerie du Midi, Perpignan, 1945) et ce n’est pas l’analyse de l’ensemble du droit applicable aux agents publics non statutaires qui permettra, aujourd’hui, d’affirmer le contraire.
Dans la présente affaire, une personne a été réengagée, comme agent contractuel par la Région Languedoc-Roussillon, sur un poste qu’elle occupait auparavant, pour une durée déterminée de trois ans. Cependant, le Président du Conseil régional a résilié par arrêté le contrat qui liait l’agent à la Région en raison d’illégalités qui auraient entaché l’ensemble de la procédure. Celles-ci consistaient en un défaut de délibération relative à la création du poste, qui est imposée par l’article 34 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (V. pr. un comm. E. Glaser : RLCT, n° 87-2013, comm. p. 39).
C’est alors que l’agent a introduit un recours devant le Tribunal administratif de Montpellier mais le jugement rendu n’a toutefois pas mis fin à l’affaire (TA Montpellier, 4 oct. 2006, M. Hocine A., req. n° 0403492). Par la suite, la Cour administrative d’appel a annulé l’arrêté litigieux en estimant que l’Administration n’avait pas respecté le principe général du droit qui fut explicité par l’arrêt Cavallo (CE, sect., 31 déc. 2008, Cavallo, Lebon. : p. 481 ; concl. E. Glaser : RFDadm. 2009, p. 89 ; notes D. Jean-Pierre : JCP-A 2009, comm. n° 2062 ; V. aussi F. Melleray : Dr. adm. n° 3-2009, comm. n° 41 ; S.-J. Lieber et D. Botteghi : AJDA 2009, p. 142) voulant que tout agent, contractuel ou non, bénéficie d’un droit au reclassement en cas d’irrégularité (CAA Marseille, 19 mai 2009, M. Hocine A. c/Région Langudoc Roussillon, req. n° 06MA03474).
C’est pourquoi la Région a formé un pourvoi devant la Haute juridiction administrative en vue de faire annuler cet arrêt. Le Conseil d’État, dans un traitement très didactique de l’espèce, a estimé que l’engagement d’un agent contractuel était créateur de droit (§ 1) et qu’ainsi il garantissait toujours un droit au reclassement (§ 3). Cependant, en cas d’illégalité, l’Administration dispose toutefois de la capacité de retirer l’acte d’engagement contractuel dans un délai de quatre mois à compter de son adoption (§ 2).
Cet arrêt participe ainsi du rapprochement constant des situations des agents contractuels – ou « non statutaires » – avec celles des agents statutaires et repose ouvertement la question théorique de la consistance de la frontière entre l’acte administratif unilatéral et le contrat administratif. Il révèle enfin que l’approfondissement de la sécurisation de la situation des agents non statutaires peut provenir tant de l’influence du droit privé que de la subjectivisation contemporaine du droit administratif, tout en préservant à l’Administration des moyens de régulariser son action.
§ 1 – Les droits créés par un engagement d’agent contractuel
La multiplication croissante du recours au contrat a donné lieu à des difficultés de qualification et de détermination d’un régime uniforme pour les agents publics (V. à ce propos : Y. Gaudemet, « Existe-t-il une « catégorie » d’agents publics contractuels de l’Administration ? » : AJDA 1977, p. 614 ; J. Cabanel & J.-L. Gourdon, Les contractuels, Économica, 1991). Celles-ci ont été résorbées, en partie, par une uniformisation de l’appréciation des situations contractuelles (T. Confl., 25 mars 1996, Berkani, Lebon. : p. 536). De plus, le recours au contrat ne soustrait pas l’Administration de l’exigence de transparence à l’égard des tiers qui accompagne son action et ils peuvent alors faire, comme les actes unilatéraux, l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 30 oct. 1998, Ville de Lisieux, Lebon. : p. 375 ; CE, 5 mai 2006, Syndicat CFDT du ministère des affaires étrangères, Lebon. : p. 234). C’est ainsi, face à un mouvement de généralisation du contrat et à son assimilation croissante à un acte administratif unilatéral, que le professeur Didier Jean-Pierre s’interrogeait déjà sur l’articulation de l’arrêt Cavallo, relatif au reclassement, avec les règles du retrait et de l’abrogation applicables aux actes unilatéraux créateurs de droit (spéc. note D. Jean-Pierre : JCP-A 2009, comm. n° 2062) et c’est à ce sujet que le présent arrêt apporte un éclairage bienvenu.
Il faut d’abord savoir que les actes créateurs de droit sont en grande majorité des actes administratifs unilatéraux qui attribuent à leur bénéficiaire une situation avantageuse par rapport à un état antérieur. Les exemples typiques sont, à ce propos, l’attribution d’une autorisation, la collation d’un grade ou le bénéfice d’une décoration impliquant l’attribution d’une rente (CE, Sect. 24 fév. 1967, de Maistre, Lebon. p. 91), la nomination d’un fonctionnaire (V. CE, 9 déc. 1952, Dlle Mattei, préc. ; à ne pas confondre avec les emplois « à discrétion » : CE, Ass., 22 déc. 1989, Morin, Lebon. : p. 279) ou sa protection (CE, Sect., 14 mars 2008, Portalis, Lebon. p. 99 ; F. Melleray : Dr. adm. n° 5-2008, comm. n° 63 ; D. Jean-Pierre : JCP-A 2008, comm. n° 2123 ; C. Guetier : RD publ. 2009, p. 507). Le versement direct d’une somme d’argent indue ou d’un avantage financièrement quantifiable est aussi considéré depuis peu comme étant un acte créateur de droit (CE, 9 mai 2011, Ministre de la défense, Lebon. Tables, req. n° 330317), cela même si le bénéficiaire avait dûment informé l’Administration de cette erreur et que celle-ci était dans l’obligation de refuser l’octroi de cet avantage (CE, sect., 12 oct. 2009, Jean-Pierre Fontenille, Lebon. ; F. Melleray : Dr. adm. n° 12-2009, comm. n° 158 ; D. Jean-Pierre : JCP-A 2009, comm. n° 2271). En revanche il faut savoir, dans tous les cas, qu’une situation avantageuse ayant un caractère frauduleux ne peut être considérée comme créatrice de droit en vertu de l’application de l’adage fraus omnia corrumpit (CE, Sect., 29 nov. 2002, Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, Lebon. : p. 414 ; P. Delvolvé : RFD adm. 2003, p. 234) ; cela est d’ailleurs une des conditions posée par l’arrêt Cavallo (CE, sect., 31 déc. 2008, Cavallo, préc.) qui est reprise dans le présent arrêt. Cependant, bien que l’exigence de sécurité juridique impose directement ou indirectement un nouveau regard sur les situations individuelles issues d’actes réglementaires et sur leur remise en cause, il est très rarement question, en matière de retrait, d’aborder une relation contractuelle.
En l’espèce, comme cela a été explicité clairement dans les termes de l’arrêt, le recrutement contractuel a été considéré comme étant « créateur de droit » pour l’agent. Cela s’explique en raison de la « vocation à l’emploi » qu’il implique (V. pr. cette expression : D. Jean-Pierre : JCP-A 2009, comm. n° 2062). Au niveau de sa forme, le contrat arbore effectivement les oripeaux d’un acte-condition et se rapproche ainsi de l’acte unilatéral de nomination (V. L. Richer, Droit des contrats administratifs, 6e éd., LGDJ, 2008, p. 705 ; V. plus largement : J. Lafon : « Le contrat de la fonction publique » : RHDF 1975, p. 102 ; V. pr. la nomination : CE, 9 déc. 1952, Dlle Mattei, préc.). Au niveau de son contenu, il se voit aussi assimilé à un acte administratif unilatéral créateur de droit pour l’agent, car même s’il met en œuvre des dispositions contractuelles (S. Macaire, « L’assise conventionnelle de la situation juridique des agents non titulaires » : AJFP n° 4-2008, p. 208), il présente aussi, sous certains aspects, des clauses non négociables (CE, Rapp. publ. 2008, La Doc. Fr, EDCE 2008, p. 130) et emporte un ensemble de garanties liées à la situation initialement envisagée par les cocontractants.
Le juge apprécie donc ici non seulement l’acte lui même – qui revêt un caractère sui generis – mais aussi la situation « quasi statutaire » ou « quasi réglementaire » dans laquelle se situe l’agent, afin de faire, avant tout, primer son intérêt. Si cette démarche révèle une profonde subjectivisation du droit administratif, elle n’est pas sans introduire aussi une notable harmonisation.
§ 2 – L’encadrement du retrait d’un engagement d’agent contractuel
La non rétroactivité des actes administratifs unilatéraux est un principe général du droit (CE, Ass. 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore, Lebon. : p. 289 ; M. Waline : D. 1948, p. 437) et le retrait d’un acte se voit donc encadré par des conditions strictes. Cependant, à partir du moment où le retrait prend le caractère d’une mesure de police (Elles ne peuvent, quant à elles, créer de droits : CE, Ass. 4 juill. 1958, Graff, Lebon. : p. 414), il se doit de respecter l’exigence de justification et de proportionnalité propre à cette dernière (V. à propos d’une autorisation de circulation retirée à un professionnel pour des raisons de santé : CE, 26 nov. 2010, Mr. Damien Ecale, req. n° 330588 ; AJDA 2011, p. 292). En dehors de ce cas, le retrait d’un acte administratif non réglementaire créateur de droit, illégal et explicite, reste possible à tout moment si le bénéficiaire des droits créés par l’acte illégal le demande lui-même ou lorsque la loi ou règlement le prévoit. Or ce cas est, en pratique, rare et l’Administration ne peut alors que retirer un acte créateur de droit, comme en l’espèce à propos de cet acte sui generi, dans les conditions déterminées par la jurisprudence. Ainsi, elle ne peut retirer l’acte dans que dans un délai de quatre mois à partir de son adoption (CE, Ass., 26 oct. 2001, Ternon, Lebon. p. 497 ; P. Delvolvé : RFD adm. 2002, p. 77 ; Y. Gaudement : AJDA 2002, p. 738 ; V. pour une extension de cette solution à l’abrogation : CE, Sect., 6 mars 2009, Coulibaly, Lebon. : p. 7 ; G. Eveillard : RFD adm. 2009, p. 439 ; F. Melleray : Dr. adm n° 5-2009, comm. n° 64) et au delà de ce délai, le retrait devient impossible pour ne pas porter d’atteinte aux droits de l’administré, de l’agent voire du partenaire de l’Administration. C’est cette voie qui a aussi été choisie par les juges du Palais Royal dans la présente affaire.
Une difficulté se présente cependant dans ce cas précis, en matière d’acte sui generis d’engagement d’agent contractuel qui se compose d’une succession de décisions qui peuvent être assimilées à ce que le rapporteur public, Monsieur Edouard Crepey, qualifie d’ « actes détachables » mais qu’il faut, pour des raisons pratiques liées au dialogue avec le juge du contrat, apprécier comme une opération unique menant à ce qu’il qualifie simplement de « retrait unilatéral du contrat » (nous remercions à cet égard le rapporteur public sur la présente affaire pour son dépôt de conclusions et les services de diffusion du Conseil d’État pour leur transmission ; V. aussi JCP adm. 2013, concl. n° 2043). Quelle sera en effet la date de départ du délai ? Doit-on prendre en compte l’adoption de l’acte administratif unilatéral démontrant la volonté de l’Administration de recruter ledit agent ou la signature du contrat avec l’agent ? Comme le retrait est un moyen qui est majoritairement mis en œuvre par l’Administration, à la suite de son propre comportement, bien que la personne intéressée par l’acte puisse le solliciter à tout moment si cela n’a pas d’incidence sur les tiers, il semble que la date de départ du délai à prendre en considération soit logiquement celle de l’émanation de la volonté de l’Administration. Ce choix serait d’ailleurs en cohérence avec l’assimilation de ces contrats à des actes administratifs unilatéraux.
Quoi qu’il en soit, il faut savoir que ce délai de quatre mois tend peu à peu à se généraliser, excepté pour les cas rares de retraits des décisions implicites d’acceptation qui peuvent s’effectuer pendant la durée de l’instance contentieuse (CE, avis, 12 oct. 2006, Cavallo, Lebon. : p. 426 ; G. Pélissier : JCP-A n° 47-2006, comm. n° 1277 qui portait sur l’interprétation de l’art. 23 de la loi DCRA du 12 avr. 2000, Relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, n° 2000-322 art. 23, JORF n°88 du 13 avril 2000, p. 5654), tout comme en ce qui concerne les décisions implicites de rejet (CE, 26 janv. 2007, SAS Kaefer Wanner, Lebon. : p. 24). En revanche, dans certains cas, compte tenu des garanties qui doivent être apportées à certains fonctionnaires, il est totalement impossible, en l’absence de texte, de retirer une nomination, même si l’intéressé a eu un comportement répréhensible (V. pour le retrait de la nomination d’un magistrat judiciaire : CE, sect., 1er oct. 2010, Nadège Tacite, Lebon. ; F. Melleray : Dr. adm. n° 12-2010, comm. n° 153 ; H. Pauliat : RD publ. 2011, p. 559). Il semble cependant rare – voire exceptionnel –, en droit de la fonction publique, qu’une situation contractuelle sui generis déroge au régime du retrait sur le fondement de cette dernière exception. Dans la présente affaire, l’Administration était donc toujours en droit de retirer l’acte d’engagement contractuel de l’agent, sans avoir à procéder automatiquement à son reclassement, car elle le faisait dans le délai de quatre mois qui lui était imparti.
L’état du droit, à la lueur de cette solution, garantit donc une marge d’action non négligeable pour l’Administration. En revanche, voir dans cette solution équilibrée un rapprochement avec la période d’essai des cadres recrutés en CDI de droit privé (l’art. L. 1221-19 du Code du travail impose une durée de 4 mois) irait à l’encontre de la finalité du retrait dans l’action administrative qui est d’abord celle du rétablissement de la légalité. Il ne pourrait alors pas être utilisé comme un outil indirect de management des ressources humaines légitimant en pratique certaines « petites illégalités », sous couvert de recherche finale de flexibilité. D’ailleurs, force est de constater que l’agent contractuel bénéficie petit à petit d’une forme de plénitude des droits acquis, en raison de la « vocation à l’emploi » découlant de son acte d’engagement ; tel est le cas du droit au reclassement.
§ 3 – La garantie de reclassement d’un agent contractuel
Il s’est très vite avéré que la contractualisation n’apportait pas autant de garanties aux agents que les régimes statutaires et c’est le juge administratif qui, au fil des jurisprudences, a révélé de grands principes inspirés de ceux applicables en droit du travail (X. Prétot, « Droit administratif et droit social » : RD publ., 1998, p. 963 ; V. aussi J.-L. Rey, « L’application des règles issues du Code du travail aux agents de droit public » : LPA 9 fév. 1996, n° 18, p. 20). Sont alors apparues sous la forme de principes généraux du droit, qui furent donc aussi applicables aux agents contractuels, l’interdiction de licencier un agent enceinte (CE, Ass., 8 juin 1973, Dme Peynet, Lebon. : p. 406) ou l’obligation de les rémunérer à un minimum équivalent au SMIC (CE, Sect., 23 avr. 1982, Ville de Toulouse, Lebon. : p. 152). Dans ce mouvement croissant d’apport de garanties, le juge a révélé un principe général du droit relatif au « reclassement des agents », inspiré en grande partie du Code du travail (V. à ce propos l’art. L. 1233-4 du Code du travail), à propos du cas d’une personne inapte à occuper l’emploi pour lequel elle avait été recrutée (CE, 2 oct. 2002, CCI de Meurthe et Moselle, Lebon. p. : 319, note D. Jean-Pierre : JCP-A 2002, comm. n° 1114 ; CE, 26 fév. 2007, ANPE, Lebon Tables, n° 276863, AJDA 2007, p. 504).
L’esprit de ce principe a été très vite étendu, par l’arrêt Cavallo (préc.) au cas des agents contractuels de droit public dont la situation ne peut être régularisée (V. pr. la régularité des procédures de recrutement des agents non titulaires : J.-M. Auby, J.-B. Auby, D. Jean-Pierre & A. Taillefait, Droit de la fonction publique – État, Collectivités locales, Hôpitaux, Dalloz, 6e éd., 2009, pp. 515-521). Devant cette impossibilité consistant notamment – mais pas seulement – en une méconnaissance du droit applicable à la catégorie dont relève l’agent contractuel en cause, l’Administration se doit d’abord, dans la limite des droits de la situation contractuelle initiale, de proposer à l’agent un emploi équivalent ou à défaut et si l’intéressé le demande, un autre emploi. Toutefois, s’il est reclassé, l’agent ne peut logiquement prétendre à la mise en œuvre de stipulations illégales de son contrat initial (CE, 30 mai 2012, Mme. Véronique A., Lebon. Tables, req. n° 343039). Ce « nouveau » principe a d’ailleurs été sollicité à de très nombreuses reprises en l’espace de quelques mois, tant par le Conseil d’État lui-même (CE, 24 juill. 2009, Mlle Charlotte A., JCP-A 2009, act. n° 1062 ; CE, 30 mai 2012, Mme. Véronique A., préc. ; CE, 15 juin 2012, EPLEA de Lavaur, Lebon. Talbes, req. n° 335398 : AJDA 2012, p. 1191) que par les juridictions du fond (CAA Paris, 18 mars 2009, Académie Française, req. n° 07PA02480 ; CAA Marseille, 29 nov. 2011, Mme Mathéa A., req. n° 09MA03014 ; CAA Bordeaux, 28 fév. 2012, Mme Roselyne X., req. n° 11BX01032 ; CAA Marseille, 9 mai 2012, Maison d’enfants à caractère social « L’arc en ciel », req. n° 10MA01826 ; CAA Douai, 18 sept. 2012, Cmn. d’Oignies, req. n° 11DA00732).
Ce n’est qu’après avoir garanti et proposé le reclassement, puis dans l’impossibilité totale de reclassement ou en cas de refus de l’agent contractuel, que l’Administration est obligée de suivre une procédure de licenciement (CE, sect., 31 déc. 2008, Cavallo, préc.). Celle-ci devra alors elle aussi apporter certaines garanties, notamment en matière de transmission du dossier (V. pour un cas de licenciement : CE, 24 juin 1949, Nègre, Lebon. : p. 304 ; V. pour une transmission à un agent contractuel : CE, 18 janv. 1985, Forget, note M. Crouzafon : D. 1986, I, p. 386) et parfois certaines indemnisations particulières (F.-X. Fort, « Le licenciement des agents publics, une mesure singulière » : RD publ. 2006, p. 1513). Telle est la double soupape qui se présente à tout agent contractuel : un droit au reclassement permanent en cas de légalité qui est valable après quatre mois en cas d’illégalité du recrutement ainsi, en bout de course, qu’une garantie liée au licenciement.
Bien heureux est celui qui voit le contrat d’un agent assimilé depuis longtemps à une situation quasi statutaire (V. à ce propos, B. Genevois, concl. sur CE, sect., 25 mai 1979, Lebon. p. 231) équilibrant le fait que l’Administration dispose toujours d’un pouvoir de modification unilatéral (CE, 17 oct. 1984, Judin, Lebon. : p. 332 ; CE, 8 juill. 2005, Mme Jedjiga X, req. n° 259615 ; V. par ex. pour une modification de la rémunération : CE, 6 nov. 1987 Ravey : Dr. adm. 1987, n° 656) en faisant bénéficier l’agent d’une « vocation à l’emploi » et des garanties qui en découlent. Si l’externalisation ou la contractualisation sont parfois associées par d’aucuns à une précarisation croissante, la subjectivisation du droit administratif, initiée par le juge, apporte de manière constante son lot d’utiles consolations.
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