Conditions de détention : Retour sur l’arrêt Canali c. France (CEDH 25 avril 2013)

© REUTERS/Robert Pratta

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L’été a été marqué par le débat sur la réforme pénale à venir. Cette réforme, visant notamment à mettre en place des alternatives de peines à la prison, est en partie une tentative de réponse à la surpopulation carcérale à laquelle la France doit faire face. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a en effet sanctionné à plusieurs reprises la France pour cette surpopulation et pour les conditions de détention infligées dans ses prisons.  [Cour EDH, 5e Sect. 20 janvier 2011, El Shennawy c. France, Req. n°51246/08 ; Cour EDH, 5e Sect. 20 janvier 2011, Payet c. France, Req. n°19606/08].

Par son arrêt Canali [Cour EDH, 5e Sect. 25 avril 2013, Canali c. France, Req. n°40119/09], la CEDH a de nouveau condamné la France pour les conditions de détention dans la maison d’arrêt de Nancy sur la base de l’article 3 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme [« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants »]. 

Revenons, non pas sur la question de fond posée à la Cour, la violation de l’article 3 au vu des conditions de détention de Monsieur Canali, mais sur le débat quant à la recevabilité de sa requête.

L’arrêt de la CEDH est intéressant en ce qu’il intervient au moment même où les juridictions internes françaises décident d’établir une position claire sur la compétence juridictionnelle en matière de conditions des détenus.

En l’espèce, le Gouvernement Français a opposé à Monsieur Canali le non épuisement des voies de recours, condition indispensable à la saisine de la Cour EDH (article 35 de la CEDH). En effet, le requérant a choisis d’utiliser uniquement la voie judiciaire et non la voie administrative  pour mettre en cause ses conditions de détention. Or depuis l’arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 20 janvier 2009, la voie pénale est définitivement fermée pour les faits relatifs à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine pendant la détention en maison d’arrêt. Seul le juge administratif est désormais compétent pour ces cas.

Cependant, la Cour de Strasbourg, soucieuse de garantir un recours effectif au justiciable, a déclaré la requête recevable, sans remettre en cause la décision de principe de la Cour de Cassation.

I. La compétence exclusive du juge administratif pour la contestation des conditions de détention sur la base de l’article 3 de la CEDH.

A. Le cas Canali : la procédure pénale basée sur l’article 225-14 du code pénal

En l’espèce, Monsieur Canali, après avoir, à deux reprises, interpellé le service des surveillants et la directrice de l’établissement pénitentiaire sur ses conditions de détention ; dépose en juillet 2006 une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Nancy.

Fin 2006, il fait appel de l’ordonnance d’irrecevabilité du juge d’instruction, rendue au motif que seul le juge administratif est compétent en l’espèce. En mars 2007 la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy estima que le juge d’instruction était compétent pour connaître des faits mentionnés dans la plainte. La Cour d’Appel considère que la situation du détenu entre dans le champ d’application de l’article article 225-14 du code pénal [« Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. »]. Le détenu est en situation de vulnérabilité et sa détention s’analyse comme un hébergement. Le vice-président du Tribunal de Grande Instance délivre une commission rogatoire au SRPJ de Nancy le 12 février 2008. Commence alors une enquête avec auditions de détenus et du personnel pénitentiaire de l’établissement.

C’est parallèlement à cette procédure qu’intervient l’arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, le 20 janvier 2009 [Cour Cass, Crim. 20 janvier 2009, Bull crim 2009 n°18] .

B. L’arrêt de principe de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 20 janvier 2009 : la fermeture définitive de la voie pénale et la compétence exclusive du juge administratif en la matière.

En l’espèce, dans cet arrêt le pourvoi était formé contre la décision de la Cour d’Appel de Rouen qui avait confirmé l’ordonnance du juge d’instruction de refus d’informer sur la plainte d’un détenu contre personne non dénommée du chef de soumission d’une personne vulnérable à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine.

Le requérant invoquait alors la violation de l’article 3 de la CEDH mais également de l’article 8 et 13 de celle-ci, le premier garantissant le droit à un procès équitable et le second le droit à un recours effectif au justiciable.

La Cour de Cassation a exclu la situation du détenu en milieu carcéral du champ d’application de l’article 224-15 du code pénal. La Cour a rejeté le pourvoi et confirmé l’ordonnance de refus d’informer au motif que « la violation [des droits fondamentaux garantis par la CEDH des personnes détenues] ne peut aboutir à la mise en œuvre d’une responsabilité pénale de l’Etat devant la juridiction nationale ».

Cet arrêt de principe est clair : lorsqu’il s’agit de mettre en cause les conditions de détention, seul le juge administratif est compétent.

II. La Cour de Strasbourg ne remet pas en cause la fermeture de la voie pénale

A. La Cour ne sanctionne pas, en l’espèce, le choix du recours à la voie pénale.

Ainsi, selon le Gouvernement, le requérant, lorsqu’il a saisi la Cour EDH le 20 juillet 2009, ne pouvait pas raisonnablement ignorer cette décision de principe. Il n’a utilisé aucune des voies de recours administratives qu’il avait à disposition. Le Gouvernement met en avant ces voies de recours : les procédures d’urgence, le recours en excès de pouvoir, disponible depuis l’arrêt du Conseil d’Etat Marie de 1995 et l’action en responsabilité de l’administration.

Le requérant n’a donc pas épuisé toutes les voies de recours, sa requête auprès de la Cour de Strasbourg doit être frappée d’irrecevabilité, selon l’administration française.

La Cour se livre alors à l’appréciation de l’adéquation et des chances de succès du recours du requérant.

La Cour considère que le requérant avait une chance raisonnable de succès lorsqu’il a porté plainte en 2006, la décision de la cour de Cassation n’étant intervenue qu’en janvier 2009. De plus, le fait que la Cour d’Appel de Nancy ait infirmé l’ordonnance d’irrecevabilité du juge d’instruction basée sur la compétence exclusive du juge administratif, que le vice président du TGI d’Epinal ait ordonné une commission rogatoire et que l’enquête se soit poursuivi tendent à démontrer que le recours à la voie pénale n’était, à l’époque, pas fermé. C’est donc légitimement que le requérant a utilisé un recours adéquat avec des chances de succès raisonnables. Il n’avait pas à engager une deuxième voie de recours administratif.

La Cour de Strasbourg rejette donc l’exception de non épuisement des voies de recours soulevée par le gouvernement.

B. La décision Canali ne revient pas sur la décision de principe Lienhardt.

La Cour de Strasbourg, tout en rappelant que les juridictions internes françaises se sont prononcées sur la compétence juridictionnelle en matière de conditions de détention ; a donc analysé le cas en l’espèce pour garantir l’effectivité des droits fondamentaux de monsieur Canali.

Cependant cette décision ne remet pas en cause le choix des juridictions françaises. La Cour avait déjà eu à considérer ce choix dans sa décision de 2011, France c. Lienhardt [Cour EDH, 5e Sect. 13 septembre 2011, Lienhardt c. France, Req. n°12139/10]. En l’espèce Monsieur Lienhardt contestait également ses conditions de détention. Il avait introduit une requête devant le tribunal administratif de Lyon. Celui-ci a condamné l’Etat à payer au requérant une indemnisation pour le préjudice résultant de ses conditions de détention. Contestant l’effectivité du recours indemnitaire devant le Juge Administratif, il avait saisit la Cour de Strasbourg en invoquant l’absence de recours effectif pour dénoncer la violation de l’article 3 de la CEDH.

La CEDH avait rejeté la requête de Monsieur Lienhardt, au motif que celui-ci n’avait pas interjeté appel de la décision du TA lui accordant une indemnisation de son préjudice. L’action du requérant n’avait donc pas été menée à son terme. La condition de non épuisement des voies de recours inhérente à la saisine de la CEDH n’était donc pas remplie.

Le recours indemnitaire semble donc être considéré par la Cour de Strasbourg comme adéquat pour les détenus qui ne se trouvent plus dans la situation où leurs droits fondamentaux garantis par la CEDH sont violés.

Il est cependant intéressant de noter que dans cet arrêt Lienhardt, la Cour souligne que le Gouvernement français n’a pas apporté assez d’éléments pour déterminer que les référés libertés et le recours pour excès de pouvoir constituent des recours  adéquats dans cette situation. Alors que la compétence du juge administratif a été consacrée par la décision de la Chambre Criminelle, la Cour de Strasbourg sera surement amenée dans de futures affaires portées devant elle sur la base de l’article 3,  à se prononcer sur cette question.

par Isadora Grosser,
étudiante en Master 1 de droit pénal à l’Université Paris Ouest Nanterre – La Défense.


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Catégories :Commentaires d'arrêts, Libertés fondamentales et droits de l'homme

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