Avec la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur, l’exécutif rate une nouvelle fois l’occasion d’apporter à l’université française le changement dont elle a besoin. Le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault ne manque certes pas de bonnes intentions. L’article 6 de cette loi modifie l’article L. 123-2 du code de l’éducation qui dispose désormais que « Le service public de l’enseignement supérieur contribue à la réussite de toutes les étudiantes et de tous les étudiants ». Nos tous nouveaux bacheliers peuvent donc se rassurer : le service public de l’enseignement supérieur est là pour veiller sur eux et l’université, censée en être le pilier, ne connaîtra plus les 48% d’échec en première année toutes filières confondues.
Le problème de l’université n’est pas, comme le sous-entend cette modification du code de l’éducation, le faible taux de réussite de ses étudiants. Ceci n’est que la conséquence de l’impossibilité pour les universités de sélectionner leurs étudiants de façon adaptée et transparente.
L’université est bien souvent le choix par défaut pour les jeunes diplômés du baccalauréat. La formation proposée est considérée – hâtivement – comme étant de mauvaise qualité du fait de sa non sélectivité. Le faible taux de réussite renforce également cette image. Mais faute d’avoir trouvé une place dans une filière sélective, on entre à l’université « parce qu’il faut bien faire quelque chose ».
Or il s’agit là d’une double erreur. La première est de considérer que l’échec en licence est la marque de la piètre qualité de la formation. En réalité, cela n’est que la conséquence de l’absence de sélection à l’entrée en première année. Faute d’être autorisée à choisir ses étudiants lors de l’inscription, l’université opère la sélection par l’échec pendant la formation. Les meilleurs sont autorisés à poursuivre, quand les moins bons sont contraints de doubler, tripler ou d’abandonner. La deuxième erreur, directement liée, consiste à croire que l’université n’est en aucun cas sélective. En plus de la sélection par l’échec, il existe d’autres mécanismes, certes marginaux mais réels, pour permettre à l’université de choisir ses étudiants.
Ainsi si l’université est tenue d’inscrire dans l’ordre d’arrivée des dossiers tous les bacheliers de l’année, cette obligation d’inscription n’existe plus dans le cadre des transferts entre les universités. Chaque université est alors libre de fixer les conditions requises pour être admis dans le cadre d’un transfert.
Il se développe également une autre forme de sélection implicite au sein de la population étudiante. Les doubles cursus se sont développés en parallèle des cursus ordinaires. Il peut s’agir par exemple de cursus droit-langue, ou encore droit-histoire. Or l’université peut, à l’entrée de ces cursus renforcés, imposer des critères de sélection en fonction des résultats. Le manque de transparence de ces cursus renforcés et surtout le manque de publicité en font des formations peu développées.
Enfin, l’université retrouve le droit de sélectionner de façon explicite ses étudiants pour le diplôme du master.
Voilà donc le problème majeur de l’université. Sous prétexte d’égalité des chances, on autorise l’inscription de tous les bacheliers sans s’interroger sur leurs capacités à poursuivre la formation dans laquelle ils postulent. S’opère alors par un processus d’une transparence relative, une sélection en définitive plus difficile humainement et plus couteuse pour l’Etat que la sélection à l’entrée.
Bien entendu cela est directement lié à un autre problème majeur et tabou de notre système éducatif : le Baccalauréat. Déjà dévalorisé par la politique du chiffre, ce qui est censé être le premier diplôme universitaire n’est même pas pris en compte lors de l’inscription. N’importe quel baccalauréat permet l’inscription dans n’importe quelle filière universitaire. Ainsi les titulaires d’un baccalauréat professionnel ou technologique peuvent s’inscrire sans aucune distinction dans les mêmes cursus que les étudiants titulaires d’un baccalauréat général. Or en l’absence des pré-requis nécessaires, l’échec est quasiment inévitable.
Faire de l’université une filière sélective permettrait une revalorisation des diplômes délivrés par elle. Cette sélection n’a pas à être une sélection des « élites » avec au cours de la formation un effectif constant garantissant un taux de réussite maximal. Il s’agit simplement de vérifier que les étudiants qui s’inscrivent dans une formation sont susceptibles d’y réussir. Il ne s’agit donc pas de refuser l’accès à l’enseignement supérieur d’une partie de la population. Cela ne serait pas socialement acceptable. Il s’agit au contraire d’adapter la structure de l’enseignement supérieur afin qu’elle correspondre à la demande des étudiants tout en permettant à l’université de redevenir un pôle d’excellence. Cette structure est, de nos jours, inadaptée. On se retrouve par exemple avec des formations destinées aux baccalauréats professionnels et technologiques, tels que les IUT, monopolisées par titulaires d’un baccalauréat général. Dans la mesure où la capacité d’accueil de ces IUT est restreinte, une sélection s’opère en faveur du baccalauréat général. La loi du 22 juillet 2013 s’attaque une nouvelle fois à ce symptôme au lieu de s’attaquer au mal proprement dit. Ainsi l’article 33 impose la présence d’un « pourcentage minimal » de bacheliers technologiques et professionnels dans les IUT. Or avec une sélection dans les filières universitaires et donc avec une revalorisation de ces diplômes, les bacheliers généraux ne monopoliseraient plus les places destinées aux autres bacheliers. Par voie de conséquence, les bacheliers technologiques et professionnels, dans cette filière adaptée à leurs pré-requis, ne seraient plus dans la situation d’échec qu’ils trouvent en entrant à l’université.
Il s’agit donc de permettre à l’université de limiter les échecs prévisibles au sein de ses filières classiques – cela aurait également un impact positif sur les dépenses publiques – mais également de développer des filières d’excellence existantes. Les collèges de droit ou encore les magistères, formations de trois années accessibles après la deuxième année de licence, sont susceptibles de rendre un certain prestige aux universités.
Ces filières d’excellence supposent que la sélection ne soit pas uniquement basée sur la filière d’origine de l’étudiant (Baccalauréat Général scientifique, économique et social, Baccalauréat professionnel etc.) mais également sur le niveau atteint dans l’enseignement secondaire puis supérieur. La création de ces parcours spécifiques ne risque-t-elle pas de créer une université à deux vitesses ? Certes l’argument doit être considéré. Mais il existe déjà actuellement un enseignement supérieur à deux vitesses et ce sont les grandes écoles qui bénéficient de ce système. Permettre le développement de ces parcours d’excellence au sein des universités permettrait de leur rendre une attractivité dont bénéficierait l’ensemble des filières même les moins sélectives.
Une pleine et efficace revalorisation de l’université ne pourra se passer de cette sélection en fonction du niveau des étudiants. De plus, il est important de repérer le plus rapidement possible les bacheliers qui doivent être orientés vers d’autres filières. Ceci notamment pour ne pas leur faire perdre de précieuses années dans des redoublements incessants qui ne leur permettront pas d’accéder de toute façon au marché du travail. Mais pour que ceci soit socialement acceptable, il faut donner leur chance à ceux qui s’estiment capables d’obtenir le niveau requis par les universités. Il est intéressant de souligner ici une proposition du groupe des « refondateurs de l’université » selon laquelle « le public, refusé en première année de licence à l’université, se verrait proposer une « année zéro » destinée à un rattrapage des savoirs fondamentaux, ainsi qu’à la formation aux méthodes du travail universitaire ». Cette année serait sanctionnée par un examen d’entrée en première année de licence. Cette proposition est d’un grand intérêt. Cependant, le financement d’une université dépend du nombre d’étudiants inscrits dans l’établissement. Les universités prendront-elles le risque de voir les nouveaux bacheliers partir vers d’autres universités en cas de refus d’inscription en première année ? La sélection au sein de l’université demande donc une réflexion encore plus large sur le financement de nos universités. Face à un problème aussi complexe, annoncer que le service public de l’enseignement supérieur contribue à la réussite de nos étudiants, paraît être une réponse d’une grande naïveté.
par Noddy Milne.
N.B : Pour approfondir les différents points évoqués ici, lire l’ouvrage particulièrement complet d’Olivier BEAUD, Alain CAILLE, Pierre ENCRENAZ, Marcel GAUCHET, et de François VATIN, Refonder l’Université, pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire, Editions La Découverte, Paris, 2010.
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