La société d’économie mixte contrat (ou SEM à opération unique)

Le Sénat a adopté la proposition de loi sur les SEM à opération unique (SEM contrat)

Le Sénat a adopté le 11 décembre, une proposition de loi tendant à créer des sociétés d’économie mixte (SEM) contrat, appelée sociétés d’économie mixte à opération unique dans leur version originelle. Ce texte vise à introduire en droit français les partenariats public-privé institutionnalisés (PPPI).

Cette nouvelle structure juridique aurait pour seul objet social soit la réalisation d’une opération de construction, de logement ou d’aménagement, soit la gestion d’un service public, soit « toute autre opération d’intérêt général de la compétence de la collectivité ou du groupement de collectivités à l’origine de leur création ». En l’état actuel de la proposition de loi, le dispositif autoriserait une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités, à créer, avec au moins une personne privée, une société anonyme (Livre II du Code de commerce) dont elle détiendrait entre 34% et 85% des actions, ainsi que 34% au moins des voix dans l’organe délibérant. Cette forme juridique diffère des SEM classiques qui impliquent nécessairement une participation publique majoritaire et des SPL et SPLA qui excluent par nature la participation de personnes privées au capital social.

Les sociétés d’économie mixte existent en France depuis les décrets-lois Poincaré (en 1926), autorisant ainsi les communes à souscrire à des sociétés et rentrer dans le capital de sociétés de constructions de logements sociaux et de sociétés de transports. En 1955, le décret Bloch-Lainé a ouvert aux SEM les compétences en matière d’aménagement du territoire mais aussi l’ouverture aux départements de cette capacité d’intégrer des SEM. Les lois de décentralisation de 1982, quant à elles, puis la loi du 7 janvier 1983, vont donner un cadre juridique à la société d’économie mixte locale. Au fil des années, le régime juridique des sociétés d’économie s’est étoffé avec notamment la création des sociétés publiques locales d’aménagement (L. 327-1 s. Code de l’urbanisme) en 2006 ou encore la création des sociétés publiques locales (SPL) en 2010. Ces sociétés d’économie mixte locales sont régies actuellement par le Code général des collectivités territoriales (L. 1521-1 et s.)

Les SEM à opération unique viendront enrichir ce panel de société d’économie mixte. L’originalité de cette société d’économie mixte nouvelle repose sur le choix de l’actionnaire privé qui ferait l’objet d’une procédure de mise en concurrence si chère au système juridique européen.

La création de ce nouvel outil juridique répond à un besoin des collectivités territoriales et des entreprises. Depuis leur création, les SEM ont réussi à séduire les collectivités territoriales. La fédération des entreprises publiques locales dénombre en effet pas moins de 1189 structures de sociétés d’économie mixte.

Cette nouvelle forme de partenariat public-privé, s’il s’avère être un outil supplémentaire pour les élus locaux, doit avant tout être compatible avec les exigences du droit de l’Union européenne qui donne un cadre juridique pour les partenariats publics-privés institutionnels (I), duquel découlera l’essence de la présente proposition de loi (II).

I. Le cadre juridique de l’Union européenne pour les PPPI

La Commission, dans une communication du 5 février 2008 intitulée « Communication interprétative de la Commission concernant l’application du droit communautaire des marchés publics et des concessions aux partenariats public-privé institutionnalisés », est venue clarifier l’application des règles relatives aux marchés publics et aux concessions dans le cas des partenariats publics-privés dits institutionnalisés. La Commission a défini le PPPI comme une « coopération entre des partenaires publics et privés qui établissent une entité à capital mixte qui exécute des marchés publics ou des concessions » (point 1). Elle précise par ailleurs que cette participation, outre la contribution aux capitaux ou aux actifs, consiste en la « participation active à l’exécution des tâches attribuées à l’entité à capital mixte et/ou la gestion de l’entité à capital mixte ».

La Commission précise dans cette communication, que si la désignation du partenaire privé au sein d’une entité mixte doit respecter les principes de mise en concurrence et d’égalité de traitement chers au droit de l’Union européenne, cette exigence ne doit pas mener à la mise en œuvre d’une double procédure de mise en concurrence à la fois pour la sélection du partenaire privé et pour l’attribution du marché ou de la concession à l’entité mixte. L’approche de la Commission consiste dès lors à dire qu’il doit y avoir une mise en concurrence unique. Soit au moment du choix de l’entreprise au sein de l’entité mixte soit au moment de l’attribution du contrat au PPPI. Par conséquent, la Commission européenne estime que la mise en place d’un tel PPPI est en conformité avec les principes du droit de l’Union tout en évitant une double procédure.

La communication de la Commission vient donc tempérer la jurisprudence de la Cour de justice en matière d’attribution d’une marché public à une entreprise à capital mixte sans procédure de mise en concurrence (v. CJCE, 18 janvier 2005, Stadt Halle, C-26/03). D’ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 15 octobre 2009, Acoset SpA (Aff. C-196/08), a elle-même confirmée la communication de la Commission en précisant que les dispositions du Traité CE « ne s’oppose pas à l’attribution directe d’un service public impliquant la réalisation de certains travaux à une société à capital mixte, public et privé, spécialement créée aux fins de la fourniture de ce service et ayant un objet social unique, dans laquelle l’associé privé est sélectionné sur appel d’offres public ». À l’occasion de cet arrêt, la Cour précise de plus que le recours à une double procédure serait « de nature à décourager les entités privées et les autorités publiques de constituer des partenariats public-privé institutionnalisés » en raison notamment de la durée de mise en œuvre d’une telle procédure et de l’incertitude juridique qu’elle amène (point 61).

Cependant, la Cour impose une limite à cette procédure unique  : l’objet unique de la société à capital mixte pour la réalisation de l’opération qu’elle s’est vue attribuée. Cette limite ayant pour conséquence que toute modification substantielle du contrat entraînerait une obligation de mise en concurrence (point 62).

L’arrêt Acoset vient donc préciser et donner force juridique contraignante à la communication de la Commission qui n’avait pour but que d’expliquer aux États membres les principes qui doivent régir les pratiques décisionnelles futures au sujet de ces entités et qui inspire nécessairement la proposition de loi sur les SEM contrat.

II. La traduction interne des exigences du droit de l’Union européenne

C’est dans ce cadre exigé par le droit de l’Union européenne que le législateur doit donc opérer. En l’état actuel de la proposition, nous pouvons esquisser ce que sera la future société d’économie mixte contrat.

1. Une entité mixte composée d’une personne publique et au moins une personne privée

La société d’économie mixte locale contrat serait constituée, en dérogation au droit des sociétés anonymes, par au moins deux actionnaires.

La participation des actionnaires au sein de la SEM contrat serait située entre 34% et 85% du capital pour la personne publique, la personne privée bénéficierait entre 15% et 66% des actions. Cette composition emporte que la personne publique pourrait ne pas être majoritaire au sein de la SEM à l’inverse des autres formes d’entité locales aujourd’hui. Cependant, la proposition de loi, prévoit par l’introduction d’un nouvel article L. 1541-1 CGCT que pour pallier cette prise de participation majoritaire de l’actionnaire privé, la personne publique disposerait de moyens visant à préserver son influence au sein de la future société. Tout d’abord, la personne publique disposerait d’une minorité de blocage représentant au moins 34% des voix du directoire ou du conseil de surveillance selon la forme que prendra la société. Enfin, la présidence du conseil d’administration ou du conseil de surveillance serait obligatoirement assumée par un représentant de l’actionnariat public.

2. La mise en concurrence de l’actionnaire opérateur

Les nouveaux articles L. 1541-3 et L. 1541-4 CGCT prévoiraient la mise en place d’un appel public à manifestation d’intérêt qui consisterait en la mise en concurrence entre les personnes privées sur la base de la délibération de la personne publique. Cet appel public à manifestation d’intérêt respecterait les principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement, et de transparence des procédures (principes à valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel n°2004-473 du 26 juin 2003).

En répondant à cet appel public à manifestation d’intérêt, les candidats intéressés devraient déterminer leur part de capital au sein de la future SEM ainsi que les moyens techniques et financiers permettant la réalisation de l’opération conclue avec cette dernière. Suite à cela, la personne publique pourrait demander des précisions ou des compléments à chaque candidat. Une fois les précisions effectuées, la personne publique sélectionnerait l’offre la plus avantageuse économiquement. Suite à cette sélection la SEM à opération unique, conclurait avec la personne publique le contrat à l’origine de la démarche. A propos de cette procédure, le Professeur Karpenschif relevait au sujet des PPPI qu’il était impossible « d’offrir au pouvoir adjudicateur la possibilité d’imposer une forme juridique à son cocontractant et d’interdire aux autres opérateurs qui ne souhaitaient pas entrer dans un PPPI d’accéder à la commande publique » (JCP A, 2009, n°2030). Il reste donc à vérifier la compatibilité d’une telle procédure avec le Code des marchés publics.

En somme, la SEM contrat, si elle est adoptée, viendra enrichir les possibilités pour les élus locaux d’externaliser leurs opérations. Elle permettra à la collectivité territoriale ou au groupement de communes d’ouvrir une procédure de mise en concurrence pour choisir l’actionnaire privé de la SEM, puis sans concurrence pour l’exécution d’une activité d’intérêt général. Cependant, cette nouvelle forme de société devra nécessairement se rendre en conformité avec le droit interne permettre aux élus locaux d’avoir plus de lisibilité sur les différentes entités mixtes locales.

par Jérôme Govindin,
Titulaire d’un master 1 en droit public des affaires de l’Université Jean Moulin Lyon III,
étudiant en Master 1 droit européen de l’Université Jean Moulin Lyon III.


Pour plus d’informations :



Catégories :Actualités, Droit des collectivités territoriales, Droit public économique

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2 réponses

  1. A reblogué ceci sur JuriUrbanEnergyet a ajouté:
    Le dernier-né des outils mis à la disposition des collectivités territoriales dans la catégorie des entreprises publiques locales (EPL): la SEM à opération unique ou SEM Contrat

Rétroliens

  1. La société d’économie mixte contrat (ou SEM à opération unique) – Les Chevaliers des Grands Arrêts | AWBC blog

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