Nous vous l’avions annoncé il y a quelques temps, une réforme des concours d’entrée à l’ENA (Ecole Nationale d’Administration) était dans les cartons, après les déclarations qu’avait tenues Nathalie Loiseau, sa directrice, à l’été 2013.
L’arrêté du 16 avril 2014 pris par Marylise Lebranchu, Ministre de la Décentralisation, de la Réforme de l’Etat et de la Fonction publique, opère une refonte complète des 3 concours d’entrée de l’ENA : concours externe, concours interne et troisième concours. On pouvait s’attendre à une petite retouche des épreuves orales comme cela avait été évoquée. Pourtant, il s’agit bien d’une véritable révolution dans le monde des concours administratifs…
La nouvelle mouture des concours s’appliquera à partir du concours organisé en 2015. Le prochain concours qui aura lieu en septembre 2014 sera donc le dernier à suivre les anciennes modalités.
Les épreuves écrites
Ce sont d’abord les épreuves écrites d’admissibilité qui évoluent sensiblement, tant au niveau des matières, de la nature des épreuves que du programme de celles-ci.
Les matières à l’écrit
Auparavant, chaque concours (externe, interne et 3e concours) comptait 5 épreuves portant sur les matières suivantes : droit public, économie, culture générale, questions sociales ou questions européennes, épreuve de spécialité au choix. Désormais, les candidats n’auront plus le choix d’une épreuve de spécialité (on parlait officiellement de « 5ème épreuve« ) : celle-ci est remplacée par une épreuve obligatoire, pour les 3 concours, de finances publiques (qui n’existait auparavant qu’à l’oral). Par ailleurs, le choix possible entre questions sociales et questions européennes à l’écrit est supprimé : tous les candidats devront composer à l’écrit sur une épreuve de questions sociales.
Les épreuves de droit public et d’économie subsistent, mais l’épreuve de culture générale (dont la dénomination officielle était depuis 2006 « composition portant sur l’évolution générale politique, économique et sociale du monde ainsi que sur le mouvement des idées depuis le milieu du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours« ) devient une épreuve de « composition sur une question contemporaine d’ordre général portant sur le rôle des pouvoirs publics et leurs rapports à la société« . On sent ici que le programme a été recentré sur les sujets de culture générale faisant intervenir l’Etat et les pouvoirs publics en général (cf. ci-dessous).
La nature des épreuves écrites
Au-delà des matières, c’est la nature des épreuves écrites qui évolue considérablement. En effet, les 3 concours sont différenciés principalement par celle-ci : le concours externe comptait 4 compositions écrites (communément appelées dissertations) et une note sur dossier (analyse d’un dossier et propositions à partir de ce dossier) ; le concours interne et le troisième concours étaient composés exclusivement de notes sur dossier (dont les modalités n’étaient pas toutes les mêmes), à l’exception de la composition de culture générale qui restait une dissertation même si un court dossier était fourni.
Pour le concours externe, ce sont les compositions de droit public et d’économie qui sont modifiées : désormais, les candidats auront un court dossier composé de différents documents (pas plus de 10 pages) à leur disposition en plus du sujet ! Si l’épreuve reste une composition et ne devient pas une note sur dossier, il n’empêche que cela constitue une réforme majeure dans le monde des concours administratifs où la dissertation sans support est le plus souvent la règle pour les concours externes. L’article 1er de l’arrêté du 16 avril n’est pas prolixe sur le rôle de ce dossier mais le programme des deux épreuves en annexe fournit quelques informations :
Un court dossier composé d’un ensemble de documents est remis aux candidats afin de nourrir leur réflexion. Il ne dépasse pas dix pages. Son exploitation ne doit pas conduire le candidat à en rédiger une synthèse mais à en extraire les éléments utiles à la construction de son raisonnement juridique / économique. Le dossier ne se suffit pas à lui-même et l’épreuve suppose une bonne connaissance préalable des faits, concepts et mécanismes juridiques / économiques.
Il est à noter que la composition sur une question contemporaine d’ordre général (cf. ci-dessus) ne se voit pas adjoindre un tel dossier. La note sur dossier en questions sociales n’évolue pas.
Pour le concours interne et le troisième concours, il n’y a aucune différence pour les 4 premières épreuves par rapport à ce qui se faisait jusque là : notes sur dossier pour le droit public, l’économie et les questions sociales, composition avec l’appui d’un court dossier pour l’épreuve sur une question contemporaine d’ordre général.
Enfin, l’épreuve obligatoire de finances publiques qui remplace la 5ème épreuve est la même pour les 3 concours : il s’agit d’une épreuve « consistant en la rédaction de réponses synthétiques à des questions courtes pouvant être accompagnées de textes, graphiques ou tableaux statistiques à expliquer et commenter« . A noter que cette épreuve durera 3 heures et comptera un peu plus que l’ancienne 5ème épreuve, puisque son coefficient passe à 3 (au lieu de 2). Les 4 autres épreuves des concours conservent leur coefficient de 4 (pour un total de 19 donc à l’issue des épreuves écrites d’admissibilité).
Les programmes
Enfin, les programmes (présentées en annexe de l’arrêté) évoluent également. Le programme de droit public comporte notamment de nouvelles mentions au droit de l’Union Européenne et au droit de la convention européenne des droits de l’homme. Globalement, le programme de droit public s’est étoffé avec cet ajout.
Du côté de l’économie, le programme ne semble pas avoir évolué de façon majeure, mais il a le mérite d’être présenté de manière bien plus claire que dans l’arrêté précédent (arrêté du 13 octobre 1999). Il en va de même pour le programme de questions sociales et de finances publiques qui n’évoluent qu’à la marge.
Quant à l’épreuve de composition sur une question contemporaine d’ordre général, qui ne comporte aucun programme exhaustif, son intitulé même restreint son champ. Mais cela semblait déjà le cas au regard des sujets tombés ces dernières années…
Les épreuves orales
Pour les trois concours, les épreuves orales sont désormais unifiées. Ainsi, les candidats déclarés admissibles dans chacun des concours subiront les mêmes épreuves orales : questions européennes, questions internationales, entretien, épreuve collective d’interaction, anglais. L’épreuve de sport disparait donc avec cette réforme des concours d’entrée. Nous allons détailler chacune de ces épreuves.
L’épreuve orale de questions relatives à l’Union européenne (coefficient 3)
Cette épreuve évolue fortement : auparavant, il s’agissait d’un oral de 30 mn, après une préparation sans document de 10 minutes, sur un sujet relatif à l’Union européenne. La réforme n’a pas modifié sa durée (30 mn dont 10 d’exposé liminaire) mais la préparation du candidat durera désormais 1 heure, et celui-ci aura accès aux traités régissant l’Union européenne et aux grands arrêts de la jurisprudence européenne.
On peut donc logiquement penser que les correcteurs attendront des candidats une analyse bien plus poussée du sujet que celle qui était demandée en seulement dix minutes. L’accès aux documents constitue également une approche nouvelle des oraux des concours administratifs : peu autorisent l’accès à de tels documents dans le cadre de la préparation avant un oral.
L’épreuve orale de questions internationales (coefficient 3)
L’épreuve de questions internationales n’est pas modifiée : elle dure toujours 30 minutes, avec 10 minutes maximum d’exposé liminaire) et est toujours précédée d’une préparation de 10 minutes sans document. En revanche son coefficient passe de 2 à 3 (comme l’épreuve de questions européennes).
L’entretien (coefficient 6)
Comme l’épreuve de questions internationales, l’épreuve d’entretien, qui a remplacé le grand oral il y a déjà quelques années (cf. notre article « Plongée au coeur des oraux de l’ENA« ) n’évolue pas. Elle durera toujours 45 minutes, commencera par un exposé liminaire de 10 minutes maximum par le candidat, et visera à « apprécier la personnalité, les motivations et le parcours » de celui-ci à partir d’un dossier rempli au préalable.
L’épreuve collective d’interaction (coefficient 3)
C’est la « grande nouveauté » de ces épreuves orales. Avec le transfert des finances publiques à l’écrit, apparait une nouvelle épreuve orale, collective. Si on pouvait penser que celle-ci aurait pu ressembler en partie à l’épreuve collective du concours d’entrée à l’ENM (cf. notre article « Le grand oral de l’ENM : nous y sommes allés pour vous !« ), il n’en est rien. Il s’agit d’une épreuve permettant, officiellement, « d’apprécier, dans l’exercice de différents rôles, les aptitudes comportementales et relationnelles des candidats« .
Dans l’annexe à l’arrêté qui contient notamment les programmes, l’épreuve est détaillée. Ainsi les candidats seront mis dans 3 rôles différents, de manière aléatoire : « exposant (proposer un point de vue), répondant (engager une discussion et débattre avec l’exposant) et, par deux fois, observateur (analyser l’échange) ». Comme le précise l’annexe :
L’objectif est de vérifier les aptitudes du candidat en termes de savoir-être relationnel et comportemental, au moment où il s’apprête à entrer dans une école d’application le destinant à la haute fonction publique.
Sont en outre évaluées la compréhension du candidat des enjeux du sujet et de la situation, sa capacité argumentative, sa réactivité et son aptitude à l’écoute.
Cette épreuve ressemble en fait aux épreuves de mise en situation organisées au sein de l’ENA pour l’évaluation des élèves. Ainsi, il ne s’agit ni plus ni moins d’un oral dont le principe se retrouvera lors de la scolarité pour les candidats lauréats des concours. Les modalités pratiques (répartition en groupes, durée des épreuves, etc.) sont détaillées dans cette annexe à laquelle nous vous renvoyons pour une présentation plus exhaustive de l’épreuve.
L’épreuve orale d’anglais (coefficient 3)
Enfin, l’épreuve de langue devient une épreuve d’anglais. Cependant, pour permettre aux candidats de se mettre à niveau dans cette matière, lors des concours organisés en 2015, 2016 et 2017, il sera possible aux candidats d’opter pour une autre langue étrangère (allemand, italien, espagnol, portugais, arabe, russe, chinois). L’anglais ne sera donc obligatoire qu’à partir de 2018.
Cette épreuve connaît une seule modification dans sa nature, puisque désormais l’épreuve comportera « la lecture d’un extrait et le commentaire d’un texte de 600 mots environ suivis d’une conversation« . Cela était déjà le cas, mais disparait la mention de la traduction d’une partie du texte qui était précédemment imposée aux candidats.
Ainsi, ce n’est pas une simple retouche des concours qu’a opéré l’arrêté du 16 avril, mais une véritable révolution. Les étudiants (et surtout les organismes publics et privés de préparation) devront donc s’adapter d’ici l’an prochain, puisque, rappelons-le, la réforme n’entrera en vigueur que pour le concours qui aura lieu en septembre 2015.
Pour résumer les évolutions, voici 3 infographies réalisées par nos soins présentant les épreuves des concours d’entrée à l’ENA.
Pour de plus amples informations sur cette réforme :
- ENA.fr : La réforme des concours d’entrée à l’ENA.
- Legifrance : Arrêté du 16 avril 2014 fixant la nature, la durée et le programme des épreuves des concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration.
- LeFigaro.fr étudiant : L’ENA modernise son concours d’entrée.
par Nicolas Rousseau,
diplômé de Sciences Po et de l’Université Paris Panthéon-Assas,
ancien chargé d’enseignement en droit public à l’Université de Cergy-Pontoise.
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Mais remettez donc l’épreuve de sport, la seule épreuve marrante à passer de ce concours !
« L’épreuve collective d’interaction ». Pouah.
Cela pue la novlangue bien crasseuse comme on les aime.
De toute façon, l’ENA, pour l’avoir passé, est à l’image de notre temps : un mélange de bien-pensance (le côté « de gauche ») et de « management » / « human resources » (le côté « de droite »).
J’ai une question pour les juristes: cette réforme serait-elle susceptible de changer qqch à la règle qui n’autorise de passer le même concours d’entrée que trois fois? Dans la mesure où les modalités changent, cela peut s’entendre, d’autant que ça s’est déjà produit pour d’autres concours dont les épreuves changeaient (comme le TA par ex.). Merci de votre réponse