Fonds de dotation et organisme public

Auteur : kimdokhac

Auteur : kimdokhac, Flickr.

L’interdiction de versement de fonds publics à un fonds de dotation et l’obligation de constituer des fonds avec une dotation initiale : une remise en cause, par la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) de la possibilité pour une personne publique de créer un fonds de dotation. 

La loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME), en créant par son article 140 cet outil innovant de financement qu’est le fonds de dotation, a permis leur constitution par les personnes privées ou publiques, avec ou sans dotation initiale.

Le fonds de dotation, inspiré de l’expérience des « endowment funds » qui, aux États-Unis et en Angleterre, permettent le financement d’institutions culturelles ou éducatives, offre aujourd’hui en France la possibilité de financer, par allocation irrévocable de biens et droits de toute nature, la réalisation d’œuvres ou de missions d’intérêt général.

Ce nouvel être juridique est défini comme « une personne morale de droit privé à but non lucratif qui reçoit et gère, en les capitalisant, des biens et droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gracieux et irrévocable, et utilise les revenus de la capitalisation en vue de la réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l’accomplissement de ses œuvres et de ses missions d’intérêt général » (Article 140 I. de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie).

I. Le succès d’une structure juridique souple et facile d’accès pour tous

Cet outil générique assez original à la disposition de tous les acteurs du mécénat, empruntant à la fois du régime des associations et de celui de la fondation reconnue d’utilité publique, a connu un vif succès (plus de 1500 fonds de dotations créés en 5 ans). De grandes institutions, telles le musée du Louvre ou l’Institut Pasteur, de grandes entreprises, mais aussi des mécènes, des artistes, des passionnés d’art, d’histoire ou de protection de l’environnement, ont créé des fonds de dotation de toute taille et de tout objet.

Ce succès peut s’expliquer par sa simplicité de création, la souplesse de son fonctionnement, sa liberté d’organisation et la possibilité offerte à ses créateurs d’en garder le contrôle étroit.

  • Il est aussi simple à constituer qu’une association. Ses statuts sont publiés en préfecture pour permettre aux donateurs potentiels de juger du sérieux du dispositif.
  • Toute personne physique ou morale, privée ou publique (établissements publics ou collectivités territoriales, notamment) peut être à l’initiative de sa création.
  • Le fonds de dotation dispose d’une grande capacité juridique, semblable à celle des fondations reconnues d’utilité publique : possibilité de détenir et de gérer des immeubles de rapport, de placer librement ses capitaux mobiliers, de recevoir des libéralités (dons manuels, donations, legs), de faire appel à la générosité publique (sous réserve de la délivrance d’une autorisation administrative dont les modalités sont fixées par le décret n°2009-158 du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation).
  • Les donations qui lui sont consenties n’ont pas à être déclarées en préfecture et il donne accès à un cadre fiscal équivalent quasiment à celui d’une fondation, sous réserve toujours de financer des activités d’intérêt général éligibles au dispositif du mécénat.

La souplesse dépasse celle des fondations reconnues d’utilité publique en ce que les contraintes administratives sont plus légères : pas d’obligation de constitution d’une dotation initiale au moment de la création du fonds ; seul un rapport d’activité doit être envoyé chaque année à l’autorité administrative compétente (le préfet) ; l’intervention d’un commissaire aux comptes n’est exigé que lorsque le montant total des ressources du fonds dépasse les 10 000 euros en fin d’exercice.

Si des organismes publics peuvent créer un fonds de dotation afin de collecter des fonds privés destinés à financer des actions d’intérêt général, ponctuelles ou pérennes, dès l’origine la Loi de modernisation de l’économie prévoit un principe d’interdiction de versement de fonds publics à ces fonds de dotation, l’article 140 disposant : « Aucun fonds public, de quelque nature qu’il soit, ne peut être versé à un fonds de dotation » (Article 140 III. de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie).

À coté de cette disposition, rappelons qu’était posé le principe selon lequel « Le ou les fondateurs peuvent apporter une dotation initiale au fonds » (Article 140 III. de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie) dont il résultait la possibilité de constituer de tels fonds avec ou sans dotation initiale.

Cette liberté de choix lors de l’adoption des statuts d’un fonds de dotation et la possibilité de le constituer sans dotation initiale permettaient à une personne publique gestionnaire de fonds publics, de créer un tel fonds, puis d’en appeler au mécénat.

II. L’obligation par la loi ESS d’apporter une dotation initiale privant les organismes publics de recourir aux fonds de dotation

Cet accès des organismes publics à l’outil de collecte de fonds privés qu’est le fonds de dotation s’est tout récemment vu remis en cause par l’adoption de la loi n°2014-856 dite « ESS ».

En effet, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, parue au Journal Officiel le 1er août 2014, comprend un article 85 portant modification de l’article 140 de la loi du 4 août 2008.

Il ajoute à l’article 140 de la LME l’obligation suivante : « Les fondateurs apportent une dotation initiale au moins égale à un montant fixé par voie réglementaire, qui ne peut excéder 30 000 € » (Article 85 de la loi n°2014-856 promulguée le 31 juillet 2014 et ancien article 48 du projet de loi ESS, conforme le 4 juin 2014 après la seconde lecture par le Sénat).

Cet article 85, qui n’est pas d’effet immédiat puisqu’un décret viendra fixer le montant de la dotation exigée, crée un seuil minimum pour la dotation initiale.

Visant à freiner les recours opportunistes à ces fonds et à éviter la multiplication de fonds « dormants », après avoir constaté que l’opportunité de créer un fonds de dotation sans dotation initiale a engendré la constitution de nombreux fonds restés sans activité (en attente d’un éventuel donateur par exemple) ou ne respectant pas leur obligation légale en matière de transmission annuelle d’un rapport d’activité aux autorités préfectorales (Rapport n°1891 de l’Assemblée nationale déposé le 17 avril 2014), cet article vient mettre fin à la possibilité de constituer un fonds de dotation sans dotation initiale.

Il résulte de cette obligation d’y apporter une dotation initiale qu’un organisme public, lequel gère des fonds publics, se voit privé de la possibilité de créer un fonds de dotation.

III. Le maintien d’une dérogation exceptionnelle à l’interdiction de versement de fonds publics à un fonds de dotation

Nonobstant l’exception prévue dès 2008 au principe d’interdiction de versement de fonds publics à l’article 140 de la LME selon laquelle « Il peut être dérogé à cette interdiction, à titre exceptionnel, pour une œuvre ou un programme d’actions déterminé, au regard de son importance ou de sa particularité. Les dérogations sont accordées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et du budget » (Article 140 III. de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie), seul le Musée du Louvre a aujourd’hui bénéficié de cette dérogation, par un arrêté interministériel (Arrêté du 16 juillet 2009 autorisant le versement de fonds publics au fonds de dotation du musée du Louvre), permettant à son fonds de dotation de recevoir des fonds publics de la part de son fondateur.

La mise en œuvre de la dérogation prévue, dont seul le Musée du Louvre a bénéficié à ce jour, apparaît toute singulière pour celui-ci : elle s’inscrit dans une opération d’une particulière importance et présentant une spécificité justifiant un traitement à part. Elle est en effet étroitement liée à un accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement des Emirats arabes unis relatif au musée universel d’Abou Dabi (Décret n° 2008-879 du 1er septembre 2008 portant publication de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Emirats arabes unis relatif au musée universel d’Abou Dabi, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007).

La dérogation au principe d’interdiction de versement des fonds publics, apparaît alors comme exceptionnelle et strictement encadrée.

Ainsi, sauf en recourant à cette dérogation par l’adoption de nouveaux arrêtés interministériels, l’article 85 de la loi ESS vient soustraire aux organismes publics qui gèrent des fonds publics, la possibilité de recourir à ce brillant outil juridique créé en 2008 qu’est le fonds de dotation.

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Il est surprenant de constater que les débats parlementaires n’aient pas envisagé cette conséquence lors de la discussion de l’article 48 du projet de loi ESS. Seul un amendement, voté par le Sénat, fixe le plafond de 30 000 € au seuil réglementaire minimum de cette dotation initiale, pour en encadrer le degré de sévérité et ne pas décourager certaines initiatives (Amendement sénatorial présenté par M. Germain au nom de la commission des finances. N° COM-163).

Le Rubicon est franchi. Cette réforme, préjudiciable aux organismes publics désireux de collecter des fonds pour l’accomplissement de leurs œuvres ou missions d’intérêt général, affaiblit les qualités qui caractérisaient le fonds de dotation, simplicité et souplesse.

L’avenir nous dira quelles solutions peuvent être envisagées pour voir les organismes publics retrouver la voie des fonds de dotation. Peut-être que la dérogation à l’interdiction de versement des fonds publics aux fonds de dotation pourrait devenir moins exceptionnelle ? Alea jacta est.


par Lucien Bizien,Lucien Bizien
étudiant en Master 2 Droit constitutionnel et droits fondamentaux
à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.



Catégories :Actualités, Droit des collectivités territoriales, Droit public économique

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