Après les élections sénatoriales… Quelle(s) réforme(s) pour le Sénat ?

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Ce dimanche 28 septembre était jour d’élections au Palais du Luxembourg : la moitié des sièges de sénateurs était appelée à être renouvelée au suffrage universel indirect, soit au scrutin majoritaire soit à la représentation proportionnelle. 179 sièges étaient en jeu, ainsi qu’un potentiel changement de majorité sénatoriale.

Les Chevaliers des Grands Arrêts ont eu l’opportunité de suivre les résultats de ces élections sénatoriales depuis la salle de Conférence du Sénat, où se pressaient, autour du plateau de Public Sénat, sénateurs, journalistes et professeurs de droit. L’occasion était trop belle pour ne pas en profiter et s’essayer à l’exercice de l’interview, en tentant d’interroger certains parlementaires et universitaires sur l’état de nos institutions, et en particulier du Sénat, qui a cristallisé dernièrement un certain nombre de critiques[1].

Malgré l’intense activité qui régnait alors dans la salle des Conférences, plusieurs sénateurs et professeurs de droit ont eu la bienveillance de répondre à nos questions, principalement articulées autour de la révision de la Constitution et du mode de scrutin des sénatoriales[2]. Voici la synthèse de ce que nous avons recueilli à cette occasion[3]

I. Sénat et réforme institutionnelle

Quelle réforme vous semble actuellement prioritaire pour nos institutions, et plus précisément pour le Sénat en particulier ? Tel était le sens de notre première question, qui a reçu un accueil contrasté.

Cette évocation d’une éventuelle révision constitutionnelle, fruit sans doute de l’enthousiasme estudiantin, a tout d’abord provoqué un certain scepticisme. La sénatrice Catherine Procaccia (sénatrice du Val de Marne, secrétaire du Sénat, UMP) a ainsi évoqué son inquiétude devant le changement en permanence de nos institutions, rejointe en cela par Catherine Deroche (sénatrice du Maine et Loire, UMP) qui ne voit guère de réforme institutionnelle nécessaire à court terme. C’est encore le professeur Didier Maus qui exprime le plus clairement ce scepticisme vis-à-vis de la révision constitutionnelle, en affirmant « qu’il n’y a aucune urgence à faire quoi que ce soit en matière institutionnelle », l’important étant aujourd’hui de « faire fonctionner ce qui existe ». Ce qui est important dans une assemblée, c’est « le rapport de force politique » selon Didier Maus, qui rejoint ici Catherine Deroche selon laquelle l’important est de présenter une majorité cohérente au Sénat, lorsque l’ancienne majorité avait pu parfois donner une « image un peu baroque » de l’institution. Pour le professeur Maus, la seule révision constitutionnelle qui aurait un réel effet serait celle qui modifierait le statut du président de la République, « pivot du système ». Or, une telle réforme serait un « suicide politique » pour ceux qui la proposeraient, tant les Français sont attachés à l’élection du président de la République au suffrage universel.

Toutefois, il faut noter qu’une proposition de réforme est souvent revenue, y compris chez ceux qui semblaient gagnés par un certain scepticisme en matière institutionnelle : la diminution du nombre de parlementaires, députés et sénateurs confondus. La sénatrice Nathalie Goulet (sénatrice de l’Orne, UDI-UC), propose ainsi une diminution drastique du nombre de parlementaires afin de lutter contre l’absentéisme tout en dégageant plus de moyens pour les commissions d’enquête. Cette proposition est également revenue chez les sénateurs Philippe Marini (sénateur de l’Oise, président de la commission des finances, UMP), Catherine Procaccia et Catherine Deroche, cette dernière estimant qu’il s’agit d’une des rares grandes réformes qui pourrait faire une certaine unanimité dans le pays. Cette proposition de réduire le nombre de parlementaires pour accroitre leurs moyens est donc, de loin, celle qui a semblé rallier le plus grand nombre de suffrages au cours de nos entretiens.

Cette proposition n’est néanmoins pas la seule qui ait été formulée. Ainsi, Nathalie Goulet l’assortissait de propositions plus précises concernant principalement l’instauration d’une plus grande transparence dans le fonctionnement du Sénat, notamment au niveau de l’IRFM (indemnité de représentation et de frais de mandat) ou de la structure juridique des groupes politiques[4].

Le sénateur Jean-Pierre Sueur (sénateur du Loiret, président de la commission des lois, SOC) a, quant à lui, insisté sur la nécessité de rééquilibrer les institutions, afin de redonner plus de pouvoir à un Parlement encore enserré par la rationalisation du parlementarisme intervenue en 1958. En tant que président de la commission des lois, il apporte une importance toute particulière à la procédure législative et à la réduction du recours à la procédure accélérée. « Pour faire de bonnes lois, cela suppose du temps », ainsi que des corrections grâce au mécanisme de la navette parlementaire, que la procédure accélérée vient supprimer en limitant la procédure législative à une lecture devant chaque assemblée[5]. Selon Jean-Pierre Sueur, « on perd trop souvent de vue que les assemblées n’ont de sens que pour faire la loi ».

Enfin, des propositions plus inattendues ont été formulées. Philippe Marini a ainsi évoqué la possibilité de rétablir le cumul du mandat parlementaire avec un exécutif local, qui sera prohibé à partir de 2017 en vertu de la loi organique votée le 22 janvier 2014. Pour le président de la commission des finances, le cumul est nécessaire pour renforcer la position des sénateurs face à l’exécutif et former des « leaders de territoire ». Position qui n’est pas sans lien avec le suffrage indirect employé pour l’élection des sénateurs.

L'hémicycle, le 28 septembre 2014.

L’hémicycle du Palais du Luxembourg.

II. Sénat et mode de scrutin

Après avoir subi de multiples modifications, le mode de scrutin pour l’élection des sénateurs a-t-il atteint un point d’équilibre ? Telle était en substance le sens de notre seconde question.

Sur cette question si sensible du mode de scrutin[6], les avis ont été pour le moins contrastés.

La constatation du professeur Didier Maus, selon lequel l’expérience montre que modifier le mode de scrutin se retourne généralement contre ceux qui l’ont fait et espéraient en bénéficier, semble faire consensus chez les élus de la droite et du centre. Philippe Marini constate ainsi que, si le retour de la proportionnelle dans les départements où l’on élit trois sénateurs a été un handicap réel pour la droite et le centre, l’expérience montre que les réformes du mode de scrutin réalisées dans un « but opportuniste » se retourne généralement contre la majorité qui l’a mis au point. Catherine Deroche évoque un « effet boomerang », tandis Catherine Procaccia espère ainsi que l’on va cesser de faire évoluer une loi électorale qui devient illisible pour tout le monde. Elle estime par ailleurs que, dans la mesure où 50% des sièges sont désormais élus au scrutin majoritaire et les autres 50% à la représentation proportionnelle, un certain équilibre a été atteint.

Sans surprise, le discours est sensiblement différent chez Jean-Pierre Sueur. Pour le président de la commission des lois, le mode de scrutin pour l’élection des sénateurs reste « très déséquilibré » et « très inégalitaire ». Bien qu’il n’ait pas empêché l’alternance, ce déséquilibre au profit des petites communes et au détriment des grandes villes reste ainsi sensible, justifiant à terme une nouvelle modification du corps électoral. Le président de la commission des lois pointe d’ailleurs à cette occasion un autre inconvénient du mode de scrutin actuel, à savoir la désignation de délégués électoraux dans les grandes villes, lorsque le nombre de conseillers municipaux est inférieur au nombre des grands électeurs requis. Cette « élection au troisième degré », avec des délégués qui sont en quelque sorte « les nommés des élus » ne lui semble guère satisfaisante.

Le professeur Julie Benetti estime également que la surreprésentation des communes rurales et la sous-représentation des communes les plus peuplées demeurent des questions importantes pour la légitimité du Sénat. Par ailleurs, elle insiste sur le fait que la composition du collège électoral ne prend pas en compte les différentes intercommunalités dont la récente montée en puissance bouleverse la carte des collectivités territoriales (bien qu’elles n’aient pas le statut de collectivité territoriale à part entière). Julie Benetti rappelle que la Commission Jospin avait, en 2012, soulevé la question d’un Sénat intégralement élu à la proportionnelle, dans le cadre de circonscriptions régionales. Elle note toutefois qu’une telle révolution aurait des conséquences profondes pour le Sénat, le scrutin de liste entrainant une mainmise des partis sur les élus bien plus importante qu’elle ne l’est actuellement. Cette réserve rejoint d’ailleurs les préoccupations de Catherine Procaccia, attachée à un scrutin majoritaire qui permet d’être élue pour son travail, et non parce que l’on fait partie d’une liste (même si elle concède par ailleurs que la proportionnelle a eu pour avantage d’augmenter le nombre de femmes élues au Sénat).

Les désaccords sur le mode de scrutin restent donc sensibles, le seul point de consensus étant que l’Assemblée nationale et le Sénat doivent être élus selon des modalités différentes.

Et que pensent les députés, en cette journée où leurs collègues sénateurs sont à l’honneur ? Le député Alain Marsaud (10e circonscription des Français établis hors de France, UMP), en guise de boutade, nous a livré sa proposition pour la réforme du Sénat : sa disparition « pure et simple ». Mais, au-delà de la provocation, c’est peut-être lui qui était le plus réaliste en nous assurant « qu’il n’y aurait pas de réforme institutionnelle prochainement ». Pourquoi ? Parce qu’il n’y a « pas de volonté des politiques de présenter une véritable réforme constitutionnelle », tout simplement… A moins que l’Elysée ne décide de brusquer les choses ? [7]

Retrouvez ci-dessous l’intégralité des interviews réalisées :

Dossier réalisé par Benjamin Fargeaud
et Nicolas Rousseau.


[1] Les récents remaniements ont déclenché un renouveau des spéculations sur une éventuelle VIe République, quand l’approche des élections sénatoriales a contribué à un regain de critiques envers le Sénat. Pour un exemple, parmi d’autres, la tribune publiée par le professeur Dominique Rousseau dans le journal Libération la veille du scrutin.

[2] La retranscription analytique de ces interviews est disponible en cliquant sur les liens ci-dessus.

[3] Il nous faut ici adresser des remerciements chaleureux au Service Communication du Sénat pour nous avoir permis d’assister à cet évènement, ainsi qu’à Samuel Le Goff pour nous avoir guidés avec bienveillance à travers la salle des Conférences du Sénat.

[4] Il faut noter que question de la structure juridique des groupes politiques a été récemment soulevée devant l’Assemblée nationale.

[5] Article 45 de la Constitution du 4 octobre 1958.

[6] Sur la question du mode de scrutin adopté pour les élections sénatoriales, cf. notre article 6 vidéos pour bien comprendre les élections sénatoriales !.

[7] http://www.europe1.fr/politique/hollande-va-lancer-sa-reforme-institutionnelle-2246987.


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Catégories :Actualités, Droit constitutionnel, Droit parlementaire, Sciences Politiques

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Rétroliens

  1. Elections sénatoriales et réformes institutionnelles – Les Chevaliers des Grands Arrêts

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