Après un premier entretien avec Rayan Nezzar, il y a quelques semaines, sur son expérience en tant qu’élève de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) en stage à l’ambassade de France au Canada, nous vous proposons aujourd’hui un nouvel article autour de la formation initiale des hauts fonctionnaires, sous la forme d’un entretien croisé avec plusieurs élèves de la promotion Winston Churchill sur leur stage en préfecture.
Ce stage est une composante du module Territoires, le deuxième pour les lauréats des concours d’entrée. Il s’agit pour eux « de participer à la mise en œuvre concrète des politiques publiques au niveau local. Les élèves découvrent ainsi les enjeux d’une action publique en partenariat avec l’ensemble des acteurs territoriaux. »
Nous remercions vivement Muriel Pacaud, Eve Robert, Brice Fodda et Rayan Nezzar d’avoir bien voulu répondre à nos questions sur le stage qu’ils effectuent dans les services de différentes préfectures en France.
Quel est l’objectif du stage en préfecture au sein de la scolarité à l’ENA ?
Rayan Nezzar (RN) : Le stage préfecture constitue véritablement le coeur de la scolarité à l’ENA. C’est là que l’on découvre l’action administrative dans les territoires. Il s’agit à la fois d’être placé en situation de responsabilité auprès d’un préfet, mais aussi d’interagir avec les services déconcentrés des ministères ou encore les élus locaux. A l’occasion de ce stage, j’ai le sentiment de mettre en pratique toute une série d’enseignements théoriques sur la déconcentration et la décentralisation ou encore sur la mise en oeuvre des politiques publiques. C’est donc un stage très dense.
Eve Robert (ER) : Le stage préfecture est pour nous le moment d’aller observer, concrètement, comment les politiques publiques se mettent en oeuvre sur le terrain et quelles difficultés cela soulève, au contact d’une multitude de parties prenantes – élus, fédérations professionnelles, associations militantes, chefs d’entreprises. Il est également l’occasion de se forger une culture solide de l’administration, puisqu’on a l’occasion de rencontrer les différents services déconcentrés et de multiplier les expériences de terrain à leurs côtés.
Brice Fodda (BF) : En d’autres termes, nous sommes plongés de l’autre côté du miroir, là où l’Administration (ou plutôt les administrations) se pratique, où l’action ramifiée de l’Etat s’enracine, en lien étroit avec une multitude d’acteurs de terrain, élus et collectivités, entreprises et syndicats professionnels, agriculteurs et artisans etc.
Quelles fonctions exercez-vous réellement au sein des différentes préfectures dans lesquelles vous êtes en stage ? Avez-vous quelques exemples de missions menées depuis votre arrivée en stage ?
ER : Nous sommes avant tout incités à suivre le préfet dans tous ses déplacements, ce qui implique souvent de préparer pour lui un dossier préparatoire ou un discours. Pour le reste, les missions qui nous sont confiées sont très variables, il peut s’agir de réaliser l’audit d’un des services de la préfecture, d’organiser une concertation sur un sujet de politique publique…
BF : Aux missions de cabinet (discours, mais aussi synthèses bimensuelles, déplacements, relations avec la presse) s’ajoutent des missions de fond, qu’elles soient internes à la structure d’accueil ou tournée vers l’action publique (la rédaction d’un schéma départemental peut typiquement être confiée à un stagiaire ENA). A la différence des autres stages ENA, a fortiori des stages que nous avons effectués au cours de nos cursus antérieurs, la “fonction” de stagiaire ENA est ici institutionnalisée : répondant à l’autorité directe du Préfet, nous sommes associés au corps préfectoral et sommes fréquemment amenés à diriger des services entiers de l’administration déconcentrée pour mener à bien des projets.
Muriel Pacaud (MP) : Effectivement, le statut de stagiaire est institutionnalisé et les services des Préfectures sont très habitués puisqu’ils reçoivent des stagiaires ENA presque tous les ans. Notre stage est l’occasion de lancer des réflexions et de prendre des contacts que le corps préfectoral n’a pas toujours le temps de prendre le reste de l’année.
Pouvez-vous expliquer aux étudiants quelles sont les missions d’une préfecture ? Comment fonctionne-t-elle au jour le jour ?
RN : Les missions les plus visibles d’une préfecture sont traditionnellement la délivrance de titres (carte d’identité, passeport, visa, permis) et la réglementation des libertés publiques (autorisation d’ouverture d’un débit de boisson par exemple). Si l’on rentre plus dans le détail, un service particulier est par exemple dédié au contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales, un autre peut préparer les mémoires en défense pour le contentieux porté devant la juridiction administrative. Mais ce détail des missions dépend en réalité beaucoup du territoire à administrer, il n’y a pas un modèle uniforme d’organigramme des préfectures.
Au jour le jour, le Préfet s’appuie sur un Secrétaire général pour diriger les services de la préfecture. Parmi ceux-ci, le cabinet du Préfet occupe un positionnement particulier et traite généralement de missions telles que le protocole (organisation des visites officielles) ou la gestion de crise. Le poste de directeur de cabinet est d’ailleurs celui qui est proposé à la sortie de l’ENA.
Que retirez-vous de ce stage ? Certaines choses vous ont-elles étonnés ?
RN : Oui, j’ai été très impressionné par l’organisation du centre opérationnel départemental – “COD” dans le jargon administratif – lors des situations de gestion de crise. Chaque grand service de l’Etat déployé sur le terrain (gendarmes, pompiers, sécurité civile, etc) envoie ainsi des représentants au COD qui est situé en préfecture. Cette organisation très rôdée permet véritablement au Préfet de piloter l’ensemble des opérations de secours par une remontée de l’information depuis le terrain et un suivi des directives données. Cette dimension du travail préfectoral, qui se matérialise par la tenue régulière d’exercices d’entraînement et la préparation de plans “ORSEC” pour anticiper les situations de crise, est sans doute moins connue que l’activité de délivrance de titres ou encore d’organisation des élections, mais elle est également très précieuse.
Par ailleurs, le métier préfectoral est essentiellement un métier relationnel, tourné vers les autres, qu’il s’agisse de sa hiérarchie, de ses services ou encore des élus locaux. Je n’avais pas autant conscience de cette dimension relationnelle et managériale avant ce stage.
MP : Oui je suis tout à fait d’accord. La gestion de crise n’est pas la partie la plus connue des citoyens mais elle est la plus impressionnante. Je suis également frappée par l’implication du corps préfectoral et plus largement par celle de la grande majorité des personnels, loin des clichés sur les fonctionnaires.
Comment se déroulent concrètement les relations entre les services préfectoraux et les services des collectivités territoriales dans l’application d’une politique publique ?
BF : Tout d’abord, les rapports diffèrent bien évidemment en fonction des contextes locaux : outre les forces politiques en présence, la relation ne sera pas la même s’il s’agit d’un conseil régional ou d’un conseil général rural, d’une grande métropole ou d’une commune de quelques dizaines d’habitants. Toutefois, je crois que deux constats peuvent s’appliquer à tous les cas de figure. D’une part, le rapport de force supposé entre l’Etat et les collectivités est largement surestimé, leurs échanges tenant davantage à un partenariat sans cesse renouvelé. D’autre part, je crois que la vision que pouvaient encore avoir certaines collectivités d’un Etat stratège qui imposait ses volontés s’est estompée au bénéfice de celle d’un Etat garant, qui laisse une grande liberté aux collectivités sous couvert du respect de la loi dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Au quotidien, le cabinet du Préfet entretient des rapports étroits avec ceux du maire de la ville chef-lieu et des collectivités supra-communales. Les services de l’Etat apportent bien souvent un appui technique, une expertise, notamment dans le montage de dossier lors d’appels à projets ou lorsque des crises (catastrophes naturelles en particulier) éclatent.
MP : Oui, ce sont des relations de partenariat et de conseil avec des échanges nourris et non plus des relations de contrôle. Ça n’empêche pas chacun d’exercer ses compétences et d’assurer ses missions. Au contraire, cela permet que chacun tienne son rôle et ne cherche pas à jouer celui des autres.
Les préfectures sont-elles ouvertes aux étudiants en droit ? Pensez-vous qu’un stage au sein d’une préfecture pourrait être bénéfique ?
RN : Elles le sont bien naturellement puisque les préfectures exercent un certain nombre de missions à caractère juridique, telles que le contrôle de légalité ou le suivi des procédures en droit des étrangers. Les étudiants et diplômés en droit y sont donc volontiers accueillis soit comme stagiaire soit pour un emploi. Certaines spécialités pourront ensuite être valorisées plus particulièrement selon les départements. En Charente-Maritime, la préfecture suit par exemple de nombreuses procédures environnementales et une connaissance du droit de l’environnement est à ce titre tout à fait utile.
Pour en savoir plus sur les concours et la formation initiale à l’ENA, n’hésitez pas à consulter son site internet : www.ena.fr.
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Très bon dossier, merci aux CGA. Cependant, une interview vidéo plutôt qu’écrite aurait été plaisante aussi à voir, plus interactive et agréable ! Pourquoi pas pour une prochaine fois ?
Très bonne idée ! Pour tout dire, on n’y a pas pensé. On va voir si c’est possible pour la prochaine ! 😉
Pas de problème pour essayer un autre format une prochaine fois 🙂