
La cour du TGI de Besançon
Après deux articles sur le déroulé des épreuves d’admission à l’ENM (Le grand oral de l’ENM : nous y sommes allés pour vous ! et Les oraux de l’ENM, ça se passe comment ?), nous vous proposons aujourd’hui une présentation du stage d’immersion en Tribunal de Grande Instance au travers d’un retour d’expérience de plusieurs auditrices de justice de la promotion 2015.
Ce stage se déroule au tout début de la scolarité des élèves, après 2 semaines de rentrée et avant le stage en cabinet d’avocats qui dure un peu plus de 5 mois (pour plus d’informations sur la scolarité à l’ENM, se reporter au dépliant en ligne sur le site de l’Ecole).
Le stage d’immersion, d’une durée d’une semaine (du 16 au 20 février 2015 pour la promotion 2015), est le premier stage juridictionnel proposé durant la formation continue dispensée par l’Ecole Nationale de la Magistrature. Il s’agit dans la plupart des cas d’un stage de « re-découverte », 87% des auditeurs de justice de la promotion 2015 ayant déjà effectué au moins un stage en juridiction et un certain nombre ayant été auparavant assistants de justice ou professionnels du droit.
Ce stage sera suivi par un stage juridictionnel d’une durée de dix mois (de mars 2016 à janvier 2017 pour les auditeurs de la promotion 2015) ainsi que d’un stage de pré-affectation d’une durée de quatre mois (de mai à août 2017 pour les auditeurs de la promotion 2015).
Nous remercions vivement Manuela De Luca (TGI de Créteil), Hortense Lemesle (TGI de Montargis), Noémie Courgeon (TGI de Douai) et Marion Coudurier (TGI de Besançon) d’avoir accepté de partager leur expérience au sein de leurs TGI respectifs.
Quel est l’objectif du stage d’immersion en TGI au sein de la scolarité à l’ENM ?
Manuela De Luca (MD) : Le stage d’immersion est un stage de découverte qui intervient au tout début de la formation ; il est un premier pas dans le monde juridictionnel et vise à nous donner une première approche du fonctionnement d’une juridiction, de l’organisation des services, des relations entre les magistrats et l’ensemble des acteurs du monde judiciaire.
Au cours de ce stage, rien n’est demandé à l’auditeur en termes de travail à fournir. L’auditeur est simplement « plongé » dans le monde judiciaire en tant qu’observateur ; son avis peut être sollicité sur tel ou tel acte ou telle ou telle décision. C’est un stage extrêmement riche, même si très court – une semaine seulement – car il donne à l’auditeur une première idée pratique du travail du magistrat et permet de belles rencontres sur le plan humain.
Hortense Lemesle (HL) : Ce stage a pour objectif de permettre à l’auditeur de justice d’avoir un premier aperçu de la profession qu’il va ensuite exercer. Aujourd’hui, la plupart des auditeurs ont déjà réalisé des stages en juridiction lors de leur intégration à l’ENM. Néanmoins, à mon sens, ce stage n’en perd pas pour autant son intérêt. En effet, le statut d’auditeur de justice est propice à une plus grande proximité avec les magistrats qui n’hésitent pas à se confier sur de nombreux aspects de leur métier, ce qu’ils apprécient, ce qu’ils aiment moins, les bons et les mauvais côtés de cette fonction. Outre cette relation privilégiée, ce premier stage offre aussi à l’auditeur qui vient de prêter serment la possibilité d’assister aux délibérés, de comprendre ainsi les décisions des magistrats et les éléments phares les ayant déterminé.
Noémie Courgeon (NC) : Pour moi, l’intérêt de commencer par ce stage est qu’il permet, d’une part, à ceux qui n’ont jamais fait de stage en juridiction de découvrir le fonctionnement d’un tribunal de l’intérieur. D’autre part, ceux qui ont déjà effectué un stage en juridiction n’ont souvent eu l’expérience que d’un service particulier; ce stage d’immersion est donc pour eux l’occasion de faire le tour de nombreux services (affaires familiales, juge des enfants, tribunal d’instance, instruction, parquet…) et de découvrir certains contentieux que l’on ne connaissait pas forcément.
Marion Coudurier (MC) : le stage d’immersion intervient au début de la formation (juste après les deux semaines de rentrée à Bordeaux et avant le stage avocat de vingt-et-une semaines).
Certes, il s’agit d’un stage d’observation en raison de la durée très courte mais pour moi cela a été une réelle prise de conscience de mes responsabilités à venir, notamment lorsque les magistrats vous demandent votre avis sur la décision à prendre (prononcer une peine de prison, décider qu’un enfant résidera chez l’un de ses parents plutôt que l’autre, décider d’effacer ou non une dette en raison des difficultés financières extrêmes d’une personne) car dans trente-et-un mois il s’agira pour moi, comme pour mes collègues, de prendre ces décisions qui engagent la vie des justiciables.

Le TGI de Créteil
Quel a été votre programme durant la semaine et quel est votre ressenti face à celui-ci ?
MD : J’ai effectué ma semaine de stage immersion au sein du TGI de Créteil qui fait partie des « grosses juridictions ». Nous étions donc quatre auditrices au sein de ce tribunal, et avons été affectées en binôme auprès des différents magistrats, ce qui a permis un échange plus riche et peut-être aussi moins de « trac » face aux différents interlocuteurs.
Le lundi matin, nous avons suivi un substitut du Procureur au sein de la permanence téléphonique du service de l’exécution des peines. Nous avons ensuite assisté, dans l’après-midi, à une audience en Chambre du Conseil à la prison de Fresnes auprès d’un juge d’application des peines chargé d’examiner des requêtes en aménagement de peine.
Toute la journée du mardi a été consacrée à l’observation du travail de juges des enfants en assistance éducative (à la fois consultation de dossiers, analyse de jugements et participation à des audiences).
Nous avons passé le mercredi matin au service de l’instruction, auprès d’un jeune juge d’instruction qui nous a expliqué le travail quotidien du juge, les qualités nécessaires et la particularité du travail à l’instruction, avec l’étude de dossiers réels à l’appui. L’après-midi, nous avons siégé en audience correctionnelle de comparution immédiate.
Le jeudi matin, nous avons participé à des audiences en cabinet auprès d’un juge aux affaires familiales, et nous avons ensuite assisté, dans l’après-midi, à un interrogatoire de première comparution en vue d’une mise en examen auprès d’un juge d’instruction qui nous a ensuite demandé d’étudier un dossier qui venait de s’ouvrir à l’instruction, et de lui faire part des actes qu’il nous paraissait nécessaire d’ordonner en vue de la manifestation de la vérité (expérience un peu stressante mais extrêmement formatrice!).
Nous avons enfin passé le vendredi matin auprès d’un jeune substitut à la permanence téléphonique de la DAGES (direction des affaires générales et des stupéfiants, direction la plus importante au sein du parquet de Créteil), puis nous avons participé dans l’après-midi à une audience de comparution immédiate et aux délibérés sur chaque dossier.
Beaucoup de choses ressenties durant cette semaine!
Tout d’abord beaucoup de plaisir lors des échanges avec les magistrats, notamment lorsqu’ils nous confient leurs premières difficultés et appréhensions lorsqu’ils étaient à notre place, lorsqu’ils nous prodiguent divers conseils, ou nous impliquent concrètement dans leur travail. Lors de l’audience de comparution immédiate le vendredi après-midi, le Président nous a autorisées à participer au délibéré et a recueilli notre sentiment et notre avis – qui n’est certes qu’un avis consultatif – sur le dossier, sur la culpabilité ou non du prévenu et la peine à prononcer.
Enfin, l’appréhension face à la prise de conscience de l’importance du rôle du magistrat, l’ampleur de ses responsabilités et l’impact de ses décisions, parfois même l’urgence dans laquelle il doit agir, ce qui nécessite une grande organisation dans son travail : autant de moments privilégiés pour saisir concrètement ce que signifie l’acte de juger.
HL : J’ai pu bénéficier au cours de ma semaine de stage d’un programme varié. J’ai pu assister à la fois à des audiences pénales et civiles. Certaines de ces audiences étaient publiques, d’autres se tenaient en cabinet. De plus, à Montargis, il y a dans les mêmes locaux le Tribunal d’Instance et le Tribunal de Grande Instance. J’ai ainsi pu apprécier la différence entre les activités de ces deux juridictions. J’ai notamment apprécié au Tribunal d’Instance la proximité avec le justiciable et le dialogue qui s’instaure entre le juge et ces derniers.
J’ai aussi pu constater une nouvelle fois la diversité des postes qui sont offert à un magistrat au cours de sa carrière.
NC : Mon planning de la semaine a été le suivant :
- 1er jour: rencontre des chefs de juridiction (Président du Tribunal de Grande Instance et Procureur de la République), audience civile de référés, lecture des dossiers en vue de l’audience correctionnelle du lendemain ;
- 2ème jour: audience d’assistance éducative, audience correctionnelle collégiale ;
- 3ème jour: audience de saisie des rémunérations au Tribunal d’Instance, audience civile d’instance ;
- 4ème jour: commission d’application des peines à la maison d’arrêt (le juge de l’application des peines décide ou non des réductions de peine, des autorisations de sortie sous escortes, des permissions de sortir après avoir entendu le conseiller d’insertion et de probation, un membre du personnel de surveillance, le chef d’établissement pénitentiaire et le procureur), audience de tutelles des majeurs ;
- 5ème jour: audience de conciliation avec le juge aux affaires familiales, audience d’homologation de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, permanence pénale et audience de comparution immédiate.
MC : Le premier jour j’ai assisté à une audience de tutelle et une audience correctionnelle à juge unique après avoir étudié les dossiers.
Le jour suivant, j’ai assisté à une audience éducative de juge des enfants et l’après-midi une audience civile collégiale. Ensuite, j’ai rédigé un projet de décision concernant la condamnation d’un débiteur à payer à une banque l’ensemble des sommes dues en vertu d’un contrat de prêt.
Le mercredi, j’ai assisté à une audition de partie civile à l’instruction dans une affaire de cambriolage puis à une confrontation entre cette partie civile et les trois mis en examen. L’après-midi il s’agissait d’une audience correctionnelle collégiale.
Le jeudi, j’ai assisté à une audience de juge aux affaires familiales et l’après-midi à une audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, en assistant d’abord à la phase auprès du parquet puis à la phase d’homologation par un juge du siège. Le dernier jour j’ai assisté à une audience de surendettement puis à la permanence pénale du parquet.
Ce stage était pour moi un moment privilégié pour se saisir de nos futures fonctions ainsi que pour échanger avec des magistrats sur leur expérience et leur ressenti face à la difficulté de l’acte de juger.

Le TGI de Douai
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant ce stage ?
MD : L’aspect le plus marquant de ce stage a été pour moi l’ouverture et la disponibilité des différents magistrats que j’ai eu la chance de rencontrer. Ils ont tous eu le sourire, sans exception, lorsque nous nous sommes présentées, et ont eu à cœur de nous impliquer concrètement dans leur travail et nous faire part, avec passion, de leurs expériences et ressentis.
Lors de la journée du mardi consacrée à l’observation du travail du juge des enfants, tous les juges des enfants de la juridiction ont par exemple insisté pour que l’on déjeune avec eux. D’autres nous ont laissé leurs numéros de portable pour pouvoir les contacter et répondre à nos questions. Enfin, lors de l’observation du service de l’instruction le mercredi matin, le juge d’instruction a suspendu son travail toute la matinée pour nous expliquer comment est construit un dossier à l’instruction et les réflexes à avoir face à certaines difficultés.
La deuxième chose qui m’a le plus marquée durant ce stage, et qui est en lien direct avec la première, est l’humanité et l’écoute nécessaire du magistrat.
HL : J’ai été très marqué lors de ce stage par les audiences devant le Juge aux Affaires Familiales qui sont parfois extrêmement tendues, en raison notamment de la question de la résidence des enfants mais aussi des questions financières. Cette tension rend le rôle du Juge assez complexe. Le juge doit tenter d’apaiser la situation, tout en préservant les intérêts de chacun. Le Juge doit s’efforcer de prendre la décision la plus consensuelle mais aussi la plus précise possible afin que sa décision soit acceptée par les deux parties et que ces parties ne saisissent pas de nouveau le juge dès qu’une difficulté jaillit.
MC : ce qui m’a le plus marqué est peut-être la patience et la concentration des magistrats lors des audiences parfois très longues. Par exemple, j’ai assisté à une audience correctionnelle collégiale qui a débuté à 13h30 pour finir à 21h30 sans plus de quelques minutes d’interruption (ce qui est très fréquent dans les différentes juridictions). Durant cette audience, les magistrats (qu’il s’agisse des juges du siège ou du représentant du ministère public) ainsi que le greffier doivent rester attentifs à tout ce qui est dit par les prévenus, les parties civiles ainsi que leurs conseils. Les magistrats doivent ainsi pouvoir se prononcer sur des conclusions de nullité déposées à 20 heures mais également décider de priver ou non une personne de sa liberté d’aller et venir, prononcer une amende, allouer des dommages et intérêts dans des conditions souvent difficiles. D’ailleurs, dans son rapport de février 2015, l’Union Syndicale de la Magistrature a insisté sur la souffrance au travail des magistrats et notamment sur les audiences très longues.

Le TGI de Montargis
Pensez-vous qu’un stage au sein d’un TGI est une expérience utile pour les étudiants en droit qui se destinent à l’Ecole de la Magistrature ?
MD : Un tel stage est bien sûr extrêmement utile car il est impossible de comprendre ce que signifie cette fonction sans l’avoir vécue. Il permet également de se questionner sur sa motivation et de commencer à cibler les fonctions qui correspondent le plus à sa personnalité. Cette semaine m’a par exemple amenée à modifier mon appréhension première de la fonction de juge aux affaires familiales. Le droit de la famille et les différents enjeux qu’appelle cette discipline m’ont en effet toujours attirée dans la théorie mais j’ai réalisé que cette fonction est peut-être la plus difficile en pratique sur le plan humain, car elle amène le JAF à s’immiscer dans l’intimité d’un couple, à séparer un enfant de l’un de ses parents…
De plus, c’est une expérience attendue par le jury du grand oral au concours car beaucoup de questions sont posées sur le contenu de nos différents stages et notre ressenti.
HL : Un stage au sein d’un TGI est bien sur une expérience utile pour quiconque souhaite devenir magistrat. Cela permet de confronter la théorie à la pratique, de comprendre comment fonctionne un Tribunal, avec ses différents acteurs et bien entendu de confirmer une vocation.
Mais les étudiants qui se destinent à l’ENM peuvent également utilement, s’ils ne trouvent pas de stage en TGI (car ce n’est pas toujours facile !), faire des stages auprès d’autres acteurs en lien direct avec l’activité d’un Tribunal comme les avocats. Cela permet aussi de découvrir l’activité d’un Tribunal, en ajoutant la richesse de l’avis de professionnels qui côtoient quotidiennement les magistrats.
NC : Je pense qu’un stage en TGI est une expérience presque indispensable lorsque l’on se prépare à passer le concours d’entrée à l’ENM (même s’il est parfois difficile de trouver des places). D’une part, cela permet d’appréhender la réalité du métier de magistrat et de s’assurer que cette réalité correspond bien à l’idée que l’on se fait de cette fonction. D’autre part, c’est un élément de motivation supplémentaire et cela est très apprécié par le jury des concours d’entrée.
MC : Je pense que c’est une expérience utile et même nécessaire. Il me semble important d’avoir une expérience pratique des palais de justice ainsi que des difficultés auxquelles sont confrontés les magistrats avant de présenter le concours de la magistrature. Lors du grand oral, le jury est très sensible aux stages juridictionnels effectués par les candidats. L’Ecole Nationale de la Magistrature encourage également les candidats au concours à effectuer un stage au sein d’un Tribunal de Grande Instance pendant une journée ou une demi-journée par semaine durant six mois avant.
Conseilleriez-vous ce TGI à des auditeurs comme lieu de stage ?
MD : Au moment de formuler les vœux quant au choix du stage au sein d’un TGI, j’ai demandé le tribunal de Créteil car il s’agissait du TGI le plus proche de chez moi, avec toutefois une légère appréhension car ce TGI fait partie des grosses juridictions comprenant un nombre très important de magistrats et une grande diversité de contentieux. Je craignais d’être vite perdue et pas suffisamment encadrée dans mon apprentissage.
J’ai en réalité été extrêmement bien accueillie par l’ensemble des magistrats, qui ont certes une charge très importante de travail mais qui ont su trouver le temps pour m’intégrer au sein de leur juridiction. La diversité des contentieux traités m’a permis de balayer, au cours de cette semaine, l’ensemble des fonctions judiciaires que je pourrai être amenée à exercer à l’issue de ma formation.
J’ai trouvé au sein de ce TGI une réelle convivialité et je recommande vivement ce stage aux futurs auditeurs.
HL : Je recommande aux auditeurs de justice d’aller en stage au TGI de Montargis car il s’agit d’un tribunal à taille humaine. Les auditeurs sont accueillis chaleureusement. Il y est facile de connaitre tous les magistrats. De plus, les magistrats qui travaillent à Montargis ont la chance de travailler dans des conditions agréables. Ils ne sont pas en extrême surcharge de travail, comme c’est parfois le cas dans d’autres juridictions et peuvent donc consacrer un peu de temps à la formation de l’auditeur.
NC : Le TGI de Douai est un petit TGI (une chambre). Cela permet d’appréhender des contentieux assez divers au cours d’une même audience dans la mesure où les audiences sont assez généralistes.
Les magistrats, greffiers et fonctionnaires qui y travaillent sont à l’écoute et faciles d’accès.
En plus, la cour d’assises du Nord siège à Douai.
MC : Le TGI de Besançon est une juridiction de taille moyenne, ce qui me semble un bon compromis en termes de diversité des contentieux et de disponibilité des magistrats qui ont vocation à nous accompagner dans la maitrise des compétences nécessaires à l’exercice de nos futures fonctions. De plus, la ville est très agréable.
Néanmoins, comme beaucoup de TGI, notamment dans l’est de la France, il a plusieurs postes de magistrats vacants et un nombre non négligeable de juges placés.
Pour plus d’informations sur l’ENM :
- Le site de l’ENM : http://www.enm.justice.fr/
- Le grand oral de l’ENM : nous y sommes allés pour vous !
- Les oraux de l’ENM, ça se passe comment ?
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