ENM : le stage avocat vu par un auditeur de justice

Par Les Chevaliers des Grands Arrêts le mardi 27 octobre 2015 • ( 8 )

Nous continuons aujourd’hui nos articles sur la formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature avec un nouveau retour d’expérience de la part de Marion Coudurier, auditrice de justice à l’ENM. Cette fois il est question du stage en cabinet d’avocat(s) qu’effectuent tous les auditeurs de justice durant leur première année de formation.

Depuis 2008 (la durée du stage en cabinet d’avocat(s) a été allongée par une loi organique du 5 mars 2007), les auditeurs de justice effectuent durant leurs trente-et-un mois de formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature un stage de six mois dans un cabinet d’avocat(s). Ce stage se déroule au début de la formation (du 23 février au 24 août 2015 pour les auditeurs de la promotion 2015), après les deux semaines d’accueil à l’Ecole Nationale de la Magistrature et après le stage d’immersion en juridiction.

Ce cabinet d’avocat(s) peut prendre la forme de différentes structures (avocat exerçant seul ou avec un/des collaborateurs, petit cabinet comprenant plusieurs avocats associés et collaborateurs ou plus rarement gros cabinet comprenant un nombre important d’avocats associés et collaborateurs). Le cabinet est volontaire pour accueillir un auditeur de justice, certains cabinets ayant pour usage d’en accueillir un chaque année. Depuis l’année 2015, il n’est plus possible pour l’auditeur de justice de proposer un cabinet d’avocat(s) à l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Durant ces vingt-trois semaines, les auditeurs de justice sont rémunérés par l’Ecole Nationale de la Magistrature. Ils sont placés sous la responsabilité d’un avocat qui est leur maître de stage, et rattachés à un directeur de centre de stage (DCS), un magistrat qui exerce ses fonctions dans le Tribunal de Grande Instance où l’avocat est inscrit au barreau. L’auditeur de justice peut effectuer toutes les diligences relevant des fonctions de l’avocat, sous la responsabilité de son maître de stage (notamment rédiger des courriers, des conclusions, des assignations et effectuer des plaidoiries devant toutes les juridictions, à l’exception de la Cour d’Assises).

Ce stage a pour objectifs de permettre à l’auditeur de justice de :

connaitre le métier d’avocat (notamment la déontologie, l’organisation de la profession, le secret professionnel, la gestion du cabinet, les relations entre confrères et la stratégie de l’avocat) ;
identifier et intérioriser les droits de la défense et leur pratique devant l’ensemble des juridictions ;
appréhender la demande en justice et sa mise en forme par l’avocat ;
appréhender la relation au justiciable à tous les stades de la procédure.

L’auditeur n’est pas évalué de façon chiffrée par son maître de stage mais doit envoyer un bilan de stage intermédiaire et un bilan de stage final à son DCS. Ces bilans comprennent des indications sur le nombre d’actes réalisés et éventuellement des observations de l’auditeur et de son maitre de stage.

Durant votre stage, quelles ont été vos activités ?

J’ai effectué mon stage avocat dans un petit cabinet d’avocats en région parisienne. L’activité principale du cabinet était le droit pénal mais j’ai également fait du droit civil (essentiellement du droit de la famille) et un peu de droit social. En plus de rédiger des actes et des quelques plaidoiries que j’ai effectuées, je me suis rendue à de nombreuses audiences, en garde à vue, en détention, à des expertises.

Le Palais de justice de Paris

Quel est l’apport du stage avocat pour vous, auditeur de justice ?

Il me semble que ce stage est un réel apport pour notre formation. Il nous permet de nous rendre compte des contraintes qui pèsent sur les avocats (contraintes de temps, contraintes financières, contraintes matérielles), de voir les relations qu’ils entretiennent avec leurs clients ou encore leurs stratégies de défense. Il nous permet aussi de voir qu’il n’existe pas une façon d’exercer la profession d’avocat mais autant de façons d’exercer cette profession qu’il y a d’avocats.

Ce stage permet, je pense, une meilleur compréhension entre les futurs magistrats et les avocats. C’est aussi l’occasion d’échanges privilégiés avec son maitre de stage et de confronter des points de vue parfois différents sur la justice et la manière dont elle doit être rendue.

Ce stage permet aussi des rencontres et des échanges fructueux avec des professionnels de la justice et avec des justiciables qui expriment plus librement leur ressenti sur la justice devant leur conseil que durant une audience publique ou dans le cabinet d’un magistrat.

Ce stage nous donne également, à nous futurs magistrats, accès à des lieux et des activités où nous n’aurons que pas ou peu accès par la suite et qui sont pour autant essentiels à nos fonctions.

Je pense notamment aux locaux de garde à vue, aux établissements pénitentiaires, au cabinet d’un médecin pour assister à une expertise médicale, à l’étude d’un notaire pour établir un projet de liquidation de régime matrimonial ou encore aux hôpitaux psychiatriques pour des audiences d’hospitalisation sans consentement.

Auriez-vous des critiques à formuler sur ce stage ?

Personnellement, je trouve que ce stage est un peu trop long. Ce stage est long pour nous, notamment durant le mois de juillet où les tribunaux fonctionnent en service allégé, mais aussi pour les avocats qui nous accueillent et qui doivent trouver des tâches à nous confier durant cinq mois.

Quel est votre meilleur souvenir de ce stage?

Nous avions un dossier au cabinet qui a été ouvert quand je suis arrivée où deux très jeunes enfants ont été placés dans un foyer par le juge des enfants en raison de réponses éducatives peu adaptées du père. Durant quatre mois, j’ai assisté aux rendez-vous et appels téléphoniques avec le père, pu avoir une idée des difficultés qu’il rencontrait à élever seul ses enfants.

J’ai pu voir l’incompréhension, la détresse puis les efforts de ce père qui ne voyait plus ses enfants que deux fois deux heures par semaine, au foyer et en présence de travailleurs sociaux. A l’issue des quatre mois de placement, le juge des enfants a tenu une audience très pédagogique pour expliquer les progrès du père, les évolutions positives des enfants mais aussi le travail qu’il restait à effectuer pour la famille et le placement a été levé.

Quel est votre souvenir le plus difficile de ce stage?

J’ai accompagné mon maître de stage dans une prison pour un rendez-vous avec homme accusé de plusieurs viols intra-familiaux. Je me suis retrouvée face à un jeune majeur qui reconnaissait les faits qui lui étaient reprochés mais surtout qui était en grande détresse psychologique, familiale, sociale et affective.

La prison de Fresnes

Pour finir, quelques anecdotes sur l’auditeur de justice en stage avocat. L’auditeur de justice en stage avocat, c’est …

Sur le stage avocat en général :
- Quand ton maître de stage vient dans ton bureau et te dit : « j’ai un dossier super intéressant pour toi, en plus il y a des recherches à faire ».
Sur le contentieux pénal :
- Quand ton maître de stage te dit : « les clients aiment pas trop les magistrats donc on va dire que tu es élève avocat »
- Quand ton client te dit en rendez-vous qu’il n’a jamais été condamné et que tu apprends juste avant de plaider qu’il a cinq mentions sur le casier judiciaire.
- Quand tu plaides la première fois et que le Procureur de la République requiert un mandat de dépôt pour ton « client » (son emprisonnement immédiat, sans possibilité d’aménagement de peine).
Sur le contentieux des affaires familiales :
- Quand après une ordonnance de non conciliation, tu rédiges une assignation en divorce très complète et détaillée et que ta cliente te dit qu’elle ne veut plus divorcer.
- Quand tu fais des courriers pour demander des actes d’état civil dans des procédures de divorce et que ton collègue t’envoie un sms pour te dire qu’il assiste à une reconstitution de crime.
- Quand une cliente change d’avis pour la sixième fois sur les modalités de la résidence qu’elle veut pour ses enfants et que tu es chargé de rédiger la requête devant le Juge aux Affaires Familiales.
- Quand une cliente te dit qu’elle veut un divorce pour faute, que tu rédiges la requête, puis qu’elle veut divorcer par consentement mutuel, que tu rédiges la requête, puis qu’elle veut divorcer pour faute.
Sur le contentieux civil en général :
- Quand tu rédiges une assignation en expulsion de quinze pages avec de très nombreuses pièces et que, le jour où ton maitre de stage a rendez-vous avec son client pour parler de cette assignation, son client lui dit que finalement il veut changer d’avocat.

Infographie via Tuxboard

Après des vacances estivales méritées (quatre semaines), direction Bordeaux et l’Ecole Nationale de la Magistrature pour la période de scolarité : rentrée prévue le 24 août 2015.

par Marion Coudurier,
auditrice de justice à l’Ecole Nationale de la Magistrature (promotion 2015).

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