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Lors de son discours devant le Congrès le lundi 3 juillet le Président de la République a annoncé vouloir mettre fin à l’état d’urgence. Dans cette perspective et alors que le Sénat vient d’adopter un projet de loi visant à introduire dans le droit commun certaines mesures jusque là permises par ce régime exceptionnel, il nous a paru intéressant de faire une étude de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel saisi des dispositions de la loi de 1955 sur l’état d’urgence depuis novembre 2015.
A l’heure où certaines mesures de l’état d’urgence vont être introduites dans le droit commun, cette étude est d’autant plus pertinente qu’une de ces mesures a été censurée très récemment.
En effet, le 9 juin dernier, le Conseil Constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré inconstitutionnel le 3° de l’article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence permettant d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics (décision).
S’agissant de cette mesure, il est reproché au législateur de ne pas avoir assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit de mener une vie familiale normale.
Avant d’étudier le contrôle des dispositions par le Conseil, arrêtons-nous sur son fondement. En 1985, lors de l’instauration de l’état d’urgence en Nouvelle Calédonie, les parlementaires avaient saisi le Conseil Constitutionnel, contestant notamment la compétence du législateur pour établir l’état d’urgence en l’absence d’une disposition expresse de la Constitution ainsi que l’insuffisance de garanties encadrant les mesures permises par ce régime (décision).
En novembre 2015, le Conseil Constitutionnel n’a pas été saisi cette fois sur le fondement de l’article 61 de la Constitution qui prévoit le contrôle a priori d’une loi. Les lois prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence n’ont pas non plus été déférées au Conseil constitutionnel avant leur promulgation.
Pour l’ensemble des décisions qui seront étudiées ici, le Conseil Constitutionnel a été saisi uniquement sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation, dans le cadre du contrôle à posteriori et à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction.
Privé de son rôle classique de contrôle de constitutionnalité a priori, le Conseil n’a pourtant pas hésité à utiliser l’ensemble des outils dont il dispose dans le cadre de son contrôle à posteriori. En effet, non seulement le Conseil Constitutionnel a procédé à la censure de dispositions inconstitutionnelles, comme dans sa décision du 9 juin 2017, mais il a également formulé des réserves d’interprétation et utilisé son pouvoir de modulation dans le temps de ses déclarations d’inconstitutionnalité. Enfin, dans sa décision du 16 mars 2017 (décision), le Conseil a même relevé d’office un moyen qui n’avait pas été soulevé par les parties dans leur question prioritaire de constitutionnalité.
I. Le Conseil Constitutionnel face à l’état d’urgence : conforter le rôle du juge administratif et s’assurer de la sauvegarde des libertés individuelles dans des circonstances exceptionnelles
Le rôle du Conseil Constitutionnel est d’autant plus important dans le contrôle des mesures permises par l’état d’urgence que le contrôle de la Cour de Strasbourg est partiellement mis en veille par la mise en oeuvre du mécanisme de dérogation aux obligations prévues par la Convention Européenne des droits de l’Homme (CEDH) à l’article 15 (voir l’article de Nicolas HERVIEU, Etat d’urgence et CEDH: de la résilience des droits de l’homme).
Dans sa jurisprudence le Conseil Constitutionnel est venu conforter le juge administratif dans sa compétence concernant les mesures prises sur le fondement de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence (A). Mais surtout, le Conseil Constitutionnel a effectué un contrôle d’absence de disproportion des atteintes aux libertés individuelles permises par l’état d’urgence (B).
A. Le Conseil Constitutionnel assure au juge administratif sa compétence dans le contrôle des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence
Les mesures prévues par la loi de 1955 étant principalement des mesures administratives c’est le juge administratif, notamment le juge des référés, qui endosse le rôle de protection (voir l’intervention de Jean-Marc SAUVE, vice-président du Conseil d’Etat le 16 juin 2016, colloque « le juge administratif protecteur des libertés »). Dès le 11 décembre 2015, le Conseil d’Etat a fixé les conditions de son contrôle concernant les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence (décision). Une présomption d’urgence a notamment été posée lorsqu’une mesure d’assignation à résidence est en cause. Le rôle du juge est « de s’assurer du caractère nécessaire, adapté et proportionné de cette mesure dans son principe et ses modalités d’application ». Le juge administratif est également saisi aux fins d’indemnisation de préjudices subis pendant les perquisitions administratives prévues par la loi de 1955.
Nombre des questions prioritaires de constitutionnalité portées devant le Conseil Constitutionnel soulevaient comme moyen la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution. Dans l’ensemble de ces décisions le Conseil a préservé la compétence du juge administratif. Rappelons que l’article 66 de la Constitution dispose que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Ainsi le juge judiciaire est compétent pour contrôler toute mesure privative de liberté. Reste à déterminer les conditions d’une mesure privative de liberté.
Concernant la mesure de perquisition administrative d’abord, dans sa décision n°2016-536 du 19 février 2016, le Conseil considère la compétence du juge administratif justifiée par le fait que ces perquisitions ne peuvent avoir d’autre but que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions et que ces mesures n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution (décision).
Concernant l’assignation à résidence la question de la compétence du juge judiciaire se posait davantage. En vertu de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans une zone fixée par décret et à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics dans les circonscriptions territoriales. Le ministre de l’intérieur peut la faire conduire sur le lieu de l’assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie.
Pour les requérants, cet article instaure une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’aller et de venir, au droit de mener une vie privée et familiale normale ainsi qu’aux libertés de réunion et de manifestation, et méconnaît également l’article 66 de la Constitution.
Or, le Conseil, dans sa décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 (lien : cf. Considérant 68), avait déjà considéré qu’une mesure d’assignation à résidence ne comportant aucune privation de la liberté individuelle, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution est inopérant.
C’est sans surprise que, dans sa décision n° 2015-527 du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 6 de la loi de 1955 conforme à la Constitution, considérant que cette mesure relève de la seule police administrative, ne pouvant avoir pour but que de préserver l’ordre public, et qu’elle ne comporte pas de privation de liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution.
Néanmoins le Conseil a précisé les conditions dans lesquelles cette assignation à résidence doit se dérouler pour ne pas être considérée comme comportant une privation de la liberté individuelle au sens de l’article 66 : cette assignation « doit permettre à ceux qui en sont l’objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d’une agglomération » ; elle ne peut en aucun cas « avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes » assignées à résidence. Enfin, la plage horaire maximale de l’astreinte à domicile fixée à douze heures par jour, ne saurait être allongée sans que l’assignation soit alors regardée comme une mesure privative de liberté.
B. Si le Conseil Constitutionnel considère que certaines mesures prévues par la loi de 1955 sont effectivement attentatoires aux libertés publiques, il veille à ce que le législateur les accompagne de garanties suffisantes
Les libertés et droits fondamentaux sur lesquels s’appuient les requérants dans leurs moyens sont la liberté d’aller et venir, la liberté de manifestation, l’inviolabilité du domicile, le droit à un recours effectif et le droit au respect de la vie privée et familiale.
Le grief tiré de la méconnaissance des droits et libertés garantis par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est à dire la liberté d’aller et venir, est invoqué par les requérants. Effectivement, dans sa première décision du 22 décembre 2015 concernant la mesure d’assignation à résidence (décision), le Conseil Constitutionnel constate que les dispositions instaurées par cet article portent atteinte à cette liberté. Néanmoins la seule constatation d’une atteinte ne saurait entraîner automatiquement une déclaration d’inconstitutionnalité dans la mesure où la philosophie même de la loi sur l’état d’urgence est précisément de limiter, dans des circonstances exceptionnelles, certaines libertés publiques.
Le rôle du Conseil est alors de s’assurer que cette atteinte n’est pas disproportionnée et que le législateur a effectivement prévu des garanties nécessaires afin d’encadrer cette mesure. Il décide que, concernant la mesure d’assignation à résidence, celle-ci ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir. Les garanties considérées comme suffisantes sont d’abord le fait que cette mesure ne puisse être prononcée que dans un cadre exceptionnel, en l’espèce l’état d’urgence justifié par l’existence d’un péril imminent, ensuite le fait que cette mesure doit être justifiée et proportionnée aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence et enfin l’existence d’un contrôle du juge administratif qui s’assure que la mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit.
Le Conseil Constitutionnel effectue ce contrôle pour l’ensemble des mesures portant atteintes aux droits et libertés constitutionnellement garantis. Dans sa décision du 19 février 2016 précitée, le Conseil a par exemple été amené à contrôler les mesures de perquisitions et saisies administratives prévues au paragraphe I de l’article 11 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Les requérants invoquaient notamment une atteinte à la vie privée. Le Conseil Constitutionnel a considéré que les garanties encadrant cette mesure étaient suffisantes dans la mesure où « la décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées et les conditions de sa mise en œuvre doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence ; qu’en particulier, une perquisition se déroulant la nuit dans un domicile doit être justifiée par l’urgence ou l’impossibilité de l’effectuer le jour ; que le juge administratif est chargé de s’assurer que cette mesure qui doit être motivée est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit ».
Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel a censuré l’absence de contrôle du juge sur la copie de données stockées dans un système informatique auxquelles les perquisitions administratives donnent accès. Cette copie est prévue au troisième alinéa du paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955. Le Conseil considère que le législateur n’a pas prévu les garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif à valeur constitutionnel d’ordre public et le droit au respect de la vie privée. En effet, la copie des données informatiques est assimilable à une saisie. Or, dans le cadre de perquisitions administratives, aucun contrôle du juge n’est prévu afin d’autoriser l’exploitation des données collectées, y compris lorsque l’occupant du lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s’y oppose et alors même qu’aucune infraction n’est constatée. Au demeurant peuvent également être copiées des données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics si elle a fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition.
Concernant ces copies il est intéressant d’observer que le Conseil en déclarant inconstitutionnelles les conditions de celles-ci, a poussé le législateur à intervenir. Mais il n’a pas non plus hésité à contrôler les nouvelles dispositions encadrant cette mesure lors d’une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité.
En effet, suite à la décision du 19 février 2016, le législateur est intervenu : dans la loi de prorogation n°2016-987 du 21 juillet 2016, il modifie le régime de la saisie de données informatiques lors des perquisitions administratives. Conformément à la décision du Conseil Constitutionnel, le législateur prévoit une autorisation préalable du juge administratif, le juge des référés, qui se prononce dans les 48 heures, sur cette saisie. L’accès aux données saisies n’est donc possible qu’après cette autorisation d’exploitation.
Saisi de nouveau sur ces perquisitions administratives par une question prioritaire de constitutionnalité le Conseil Constitutionnel va cette fois, dans sa décision du 2 décembre 2016 (décision), contrôler le régime de conservation des données prévu par les nouvelles dispositions. S’il considère que la nouvelle rédaction offre les garanties légales attendues concernant la saisie et l’exploitation des données, ce n’est pas le cas concernant les délais de conservation de ces données.
La loi du 21 juillet 2016 modifiant l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 instaure plusieurs régimes concernant la conservation des données saisies lors des perquisitions administratives: les données informatiques dont le juge a rejeté la demande d’autorisation d’exploitation sont détruites sans délai. S’agissant des données copiées, autres que celles caractérisant la menace ayant justifié la saisie, celles ci sont détruites dans un délai de trois mois à compter de la perquisition. Les données ayant conduit à la constatation d’une infraction sont conservées selon les règles applicables en matière de procédure pénale.
En revanche, concernant les données copiées qui caractérisent une menace sans conduire à la constatation d’une infraction, le législateur n’a prévu aucun délai, après la fin de l’état d’urgence, à l’issue duquel ces données sont détruites. Le Conseil considère que cette absence de délai n’est pas conforme à la Constitution. Néanmoins, le Conseil, considérant qu’une abrogation immédiate de cette disposition entraînerait des conséquences manifestement excessives, décide de reporter la date de celle-ci afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée.
Ici le Conseil Constitutionnel utilise la modulation dans le temps de sa déclaration d’inconstitutionnalité. Mais il dispose d’autres outils dans le cadre de son contrôle qu’il n’hésite pas à utiliser lorsqu’il est saisi des dispositions de la loi sur l’état d’urgence.
II. L’éventail des outils du Conseil Constitutionnel dans le champ du contrôle de constitutionnalité des mesures permises par l’état d’urgence
A. L’utilisation par le Conseil Constitutionnel des outils de la modulation dans le temps et du relevé d’office
Le report de l’abrogation d’une disposition considérée comme inconstitutionnelle dans sa décision du 6 décembre 2016 démontre que le Conseil Constitutionnel n’hésite pas à utiliser son pouvoir de modulation dans le temps de ses déclarations d’inconstitutionnalité. Le Conseil avait déjà fait ce choix dans sa décision en date du 23 septembre 2016 (décision).
Dans cette décision, le Conseil avait conclu à l’inconstitutionnalité de l’article 11 de la loi de 1955 issu de l’ordonnance du 15 avril 1960, en vigueur du 14 novembre au 20 novembre 2015, conférant aux autorités administratives le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit. Il a considéré que le législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre l’objectif à valeur constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée en ne soumettant le recours à ces perquisitions à aucune condition et en encadrant leur mise en oeuvre d’aucune garantie.
Cependant le Conseil Constitutionnel use alors de son pouvoir de modulation dans le temps : afin d’éviter de risquer l’annulation de perquisitions et d’actes subséquents, conséquences considérées comme manifestement excessives, il décide que les mesures prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, dans le cadre de l’ensemble des procédures pénales qui leur sont consécutives, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
Le Conseil Constitutionnel dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité ne se contente pas d’étudier les moyens invoqués par les requérants, mais relève d’office un moyen qui lui semble devoir être soulevé.
Dans la question prioritaire de proportionnalité qui a donné lieu à la décision n°2017-624 en date du 16 mars 2017 (décision) la mesure d’assignation à résidence était une nouvelle fois discutée devant le Conseil Constitutionnel. Les neuf premiers alinéas de l’article 6 de la loi de 1955 prévoyant la mesure d’assignation à résidence avait été déclarée conforme à la Constitution dans la décision du 22 décembre 2015 précédemment étudiée. Ici ce sont les alinéas 11 à 14 de cet article résultant de l’article 2 de la loi de prorogation de l’état d’urgence en date du 19 décembre 2016 qui étaient mis en cause par les requérants. Il ne s’agissait plus de discuter de la constitutionnalité de la mesure en elle même mais des conditions de sa prolongation au delà des douze mois initialement prévus. L’article 2 de la loi du 19 décembre 2016 prévoyait en effet que si le principe est qu’une même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalant à plus de douze mois, le ministre de l’intérieur peut demander au juge des référés du Conseil d’Etat l’autorisation de prolonger cette mesure au-delà de cette durée.
Les requérants se fondent sur la méconnaissance par ses dispositions de la liberté d’aller et venir et de l’article 66, considérant qu’une mesure d’assignation à résidence supérieure à 12 mois constituerait une mesure privative de liberté.
Le Conseil Constitutionnel a décidé d’utiliser un autre fondement : l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC) garantissant le droit à un recours effectif. Le Conseil constitutionnel a relevé d’office le grief tiré de ce « qu’en prévoyant que la décision de prolonger une assignation à résidence au-delà de douze mois est prise après autorisation du juge des référés du Conseil d’État, alors même que la contestation de cette décision est susceptible de relever du contrôle juridictionnel du Conseil d’État, les dispositions contestées méconnaîtraient l’article 16 de la DDHC qui garantit notamment le droit à un recours juridictionnel effectif ». Le juge des référés du Conseil d’Etat devrait déterminer si « les raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics » sont de nature à justifier l’autorisation de renouveler une mesure d’assignation à résidence et serait donc amené à se prononcer sur le bien fondé de la prolongation de la mesure d’assignation à résidence. La décision du juge aurait alors une portée équivalente à celle susceptible d’être ultérieurement prise par le juge de l’excès de pouvoir saisi de la légalité de la mesure d’assignation à résidence. D’autre part, la décision d’autorisation ou de refus d’autorisation que prend le juge des référés du Conseil d’État lorsqu’il statue sur le fondement des dispositions contestées ne revêt pas un caractère provisoire. Il ressort de ces éléments que le juge des référés du Conseil d’État statuerait ainsi par une décision qui excède l’office imparti au juge des référés par l’article L. 511-1 du code de justice administrative selon lequel ce juge ne peut décider que des mesures provisoires et n’est pas saisi du principal.
Ainsi, pour le Conseil Constitutionnel « les dispositions contestées attribuent au Conseil d’État statuant au contentieux la compétence d’autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait ultérieurement avoir à se prononcer comme juge en dernier ressort. Dans ces conditions, ces dispositions méconnaissent le principe d’impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif ».
B. L’utilisation par le Conseil Constitutionnel de la réserve d’interprétation
Le Conseil Constitutionnel, lorsqu’il a considéré que la mesure d’assignation à résidence ne constituait pas une mesure privative de liberté a tout de même accompagné sa décision d’un développement encadrant les conditions de cette mesure, fixant ainsi un cadre de conduite au législateur.
Mais le Conseil Constitutionnel n’a pas hésité à utiliser le mécanisme de réserve d’interprétation pour venir indiquer les conditions de renouvellement de cette mesure d’assignation à résidence, là où le législateur n’était pas intervenu.
Dans sa décision du 16 mars 2017 précédemment évoquée, le Conseil prévoit dans son considérant 17 les garanties afin d’éviter une atteinte excessive à la liberté d’aller et venir. Le renouvellement d’une mesure d’assignation à résidence au delà de douze mois doit remplir trois conditions :
- le comportement de la personne en cause doit constituer une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ;
- l’autorité administrative doit produire des éléments nouveaux ou complémentaires ;
- la durée totale du placement sous assignation à résidence de l’intéressé, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont la mesure a été assortie doivent être prises en compte dans l’examen de la situation de l’intéressé.
Ainsi, par ce considérant, le Conseil Constitutionnel vient, subsidiairement au législateur, indiquer au juge administratif qui sera amené à contrôler le renouvellement de cette mesure, les conditions qui devront être remplies afin que celle-ci ne soit pas annulée. Dans son ordonnance en date du 25 avril 2017 le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi de deux recours contre des décisions du ministre de l’intérieur prolongeant des mesures d’assignation à résidence au-delà d’un an, a vérifié que ces conditions aient bien été étudiées (ordonnance).
*
Notons que dans l’ensemble de ses décisions, le Conseil Constitutionnel insiste sur le fait que les mesures de la loi sur l’état d’urgence qu’il contrôle s’inscrivent dans un contexte exceptionnel. En effet, les décisions débutent avec ce considérant: « Considérant que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence, qu’il lui appartient, dans ce cadre d’assurer la conciliation entre, d’une part le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ». De même, dans sa décision de censure en date du 19 février 2016 le Conseil rappelle que « les mesures prévues par la loi de 1955, en l’occurrence les perquisitions administratives, ne peuvent être ordonnées que lorsque l’état d’urgence est déclaré, soit en cas de péril imminent ou de calamité publique ». Enfin, dans sa décision QPC du 22 décembre 2015 concernant la mesure d’assignation à résidence, le Conseil a considéré que « bien que portant atteinte aux libertés individuelles, celle ci n’était pas disproportionnée dans la mesure où cette assignation ne pouvait être prononcée que lorsque l’état d’urgence a été déclaré et doit être justifiée et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence ».
Ainsi, si certaines des mesures prévues initialement dans le cadre de l’état d’urgence sont intégrées dans le droit commun, on peut s’interroger sur les modalités du contrôle qui sera effectué par le Conseil Constitutionnel. Il semble alors que ce contrôle ne sera plus un contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de ces mesures au regard des circonstances particulières justifiant l’état d’urgence. On peut alors s’interroger sur les standards, les référents qui seront utilisés et sur une éventuelle sévérité accrue du Conseil dans son évaluation de la conciliation entre les différents objectifs en présence.
par Isadora Grosser,
juriste, diplômée de l’Université Paris Ouest
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