Conseil d’Etat, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers
L’arrêt du Conseil d’Etat du 28 mars 1919 Regnault-Desroziers est un des arrêts majeurs du droit de la responsabilité administrative. En effet, la Haute juridiction reconnaît un nouveau régime de responsabilité sans faute de l’Etat, fondé sur la notion de risque. Ce régime de responsabilité pour risque est aujourd’hui un des plus importants du droit administratif.
Les faits à l’origine de cet arrêt se déroulent pendant la Première Guerre Mondiale. L’armée française entrepose alors au Fort de la Double-couronne, dans le nord de la ville de Saint-Denis, de nombreuses munitions et grenades afin de les envoyer rapidement sur le front. Le 4 mars 1916, une explosion accidentelle survient dans cet entrepôt de munitions : le fort est entièrement détruit et les dégâts sont considérables aux alentours. De nombreuses cartes postales en témoignent.

Par l’arrêt Regnault-Desroziers, le Conseil d’Etat reconnaît la responsabilité sans faute de l’Etat fondée sur le risque inhabituel qu’ont subi les riverains.
Conseil d’Etat statuant au contentieux
N° 62273
Publié au recueil Lebon
M. Marguerie, président
M. Alibert, rapporteur
M. Corneille, commissaire du gouvernement
Lecture du vendredi 28 mars 1919
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la requête présentée pour le sieur X…, industriel, demeurant …, ladite requête enregistrée au Secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 17 novembre 1916 et tendant à ce qu’il plaise au Conseil d’annuler une décision en date du 1er novembre 1916 par laquelle le Ministre de la Guerre a rejeté sa demande en réparation du préjudice que lui a causé l’explosion du Fort de la Double-Couronne, survenu le 4 mars 1916 ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que, dès l’année 1915, l’autorité militaire avait accumulé une grande quantité de grenades dans les casemates du Fort de la Double-Couronne, situé à proximité des habitations d’une agglomération importante ; qu’elle procédait, en outre, constamment à la manutention de ces engins dangereux, en vue d’alimenter rapidement les armées en campagne ; que ces opérations, effectuées dans des conditions d’organisation sommaires, sous l’empire des nécessités militaires, comportaient des risques excédant les limites de ceux qui résultent normalement du voisinage ; et que de tels risques étaient de nature, en cas d’accident survenu en dehors de tout fait de guerre, à engager, indépendamment de toute faute, la responsabilité de l’Etat ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que l’explosion du Fort de la Double-Couronne, survenue le 4 mars 1916, ait été la conséquence des opérations ci-dessus caractérisées ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que l’Etat doit réparer les dommages causés par cet accident ;
DECIDE :
Article 1er : La décision susvisée du Ministre de la Guerre en date du 1er novembre 1916 est annulée.
Article 2 : Le sieur X… est renvoyé devant le Ministre de la Guerre pour être procédé à la liquidation de l’indemnité à allouer au requérant en réparation des dommages qu’il justifiera lui avoir été causés par l’explosion du Fort de la Double-Couronne, survenue le 4 mars 1916.
Article 3 : l’Etat supportera les dépens.
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