Blanco

Tribunal des Conflits, 8 février 1873, Blanco


Souvent considéré comme l’arrêt fondateur du droit administratif moderne (cf. notre article Histoire d’un grand arrêt : Blanco, le fondateur), l’arrêt Blanco marque tout autant les étudiants en droit par les circonstances de fait qui ont amené le Tribunal des conflits à attribuer à l’ordre administratif le contentieux de la responsabilité de la puissance publique. En effet, la jeune Agnès Blanco fut « renversée et grièvement blessée par un wagonnet chargé de tabacs que conduisaient quatre ouvriers de la manufacture des tabacs de Bacalan, à Bordeaux« , selon les conclusions du commissaire du gouvernement David.

A l’époque, la fabrication et la commercialisation du tabac étaient assurées par l’Etat : il s’agissait d’un service public. La France comptait alors plus d’une dizaine de manufactures de tabacs. La plupart de celles-ci ferment avec la libéralisation du marché du tabac qui intervient à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un bâtiment refait à neuf à l’endroit de l’ancienne manufacture des tabacs à Bordeaux.

La manufacture des tabacs de Bordeaux, autour de 1870, lorsqu'a eu lieu l'accident qui couta une jambe à Agnès Blanco

La manufacture des tabacs de Bordeaux, autour de 1870, lorsqu’a eu lieu l’accident qui couta une jambe à Agnès Blanco ©delcampe.net


Tribunal des conflits statuant au contentieux

N° 00012

Publié au Recueil Lebon

M. Mercier, Rapporteur

M. David, Commissaire du gouvernement

Lecture du 8 février 1873 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu l’exploit introductif d’instance, du 24 janvier 1872, par lequel Jean Blanco a fait assigner, devant le tribunal civil de Bordeaux, l’Etat, en la personne du préfet de la Gironde, Adolphe Jean, Henri Bertrand, Pierre Monet et Jean Vignerie, employés à la manufacture des tabacs, à Bordeaux, pour, attendu que, le 3 novembre 1871, sa fille Agnès Blanco, âgée de cinq ans et demi, passait sur la voie publique devant l’entrepôt des tabacs, lorsqu’un wagon poussé de l’intérieur par les employés susnommés, la renversa et lui passa sur la cuisse, dont elle a dû subir l’amputation ; que cet accident est imputable à la faute desdits employés, s’ouïr condamner, solidairement, lesdits employés comme co-auteurs de l’accident et l’Etat comme civilement responsable du fait de ses employés, à lui payer la somme de 40,000 francs à titre d’indemnité ;

Vu le déclinatoire proposé par le préfet de la Gironde, le 29 avril 1872 ;

Vu le jugement rendu, le 17 juillet 1872, par le tribunal civil de Bordeaux, qui rejette le déclinatoire et retient la connaissance de la cause, tant à l’encontre de l’Etat qu’à l’encontre des employés susnommés ;

Vu l’arrêté de conflit pris par le préfet de la Gironde, le 22 du même mois, revendiquant pour l’autorité administrative la connaissance de l’action en responsabilité intentée par Blanco contre l’Etat, et motivé :

      • 1° sur la nécessité d’apprécier la part de responsabilité incombant aux agents de l’Etat selon les règles variables dans chaque branche des services publics ;
      • 2° sur l’interdiction pour les tribunaux ordinaires de connaître des demandes tendant à constituer l’Etat débiteur, ainsi qu’il résulte des lois des 22 décembre 1789, 18 juillet, 8 août 1790, du décret du 26 septembre 1793 et de l’arrêté du Directoire du 2 germinal an 5 ;

Vu le jugement du tribunal civil de Bordeaux, en date du 24 juillet 1872, qui surseoit à statuer sur la demande ;

Vu les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an 3 ; Vu l’ordonnance du 1er juin 1828 et la loi du 24 mai 1872 ;

Considérant que l’action intentée par le sieur Blanco contre le préfet du département de la Gironde, représentant l’Etat, a pour objet de faire déclarer l’Etat civilement responsable, par application des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil, du dommage résultant de la blessure que sa fille aurait éprouvée par le fait d’ouvriers employés par l’administration des tabacs ;

Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l’Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ;

Que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ;

Que, dès lors, aux termes des lois ci-dessus visées, l’autorité administrative est seule compétente pour en connaître ;

DECIDE :

DECIDE : Article 1er : L’arrêté de conflit en date du 22 juillet 1872 est confirmé.

Article 2 : Sont considérés comme non avenus, en ce qui concerne l’Etat, l’exploit introductif d’instance du 24 janvier 1872 et le jugement du tribunal civil de Bordeaux du 17 juillet de la même année.

Article 3 : Transmission de la décision au garde des sceaux pour l’exécution.


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