La formation à l’ENM : le stage juridictionnel, volet pénal

Cela fait maintenant deux ans que nous suivons les pérégrinations de la promotion 2015 des auditeurs de justice de l’Ecole Nationale de la Magistrature, grâce à Marion Coudurier, auditrice de justice. Elle nous propose ici un retour sur la suite de la scolarité de l’ENM, à savoir le stage juridictionnel et plus particulièrement son volet pénal.


Les auditeurs de la promotion 2015 ont été en stage juridictionnel du 29 mars 2016 au 23 décembre 2016. Après huit mois de scolarité à Bordeaux à s’entrainer sur des vrais dossiers, nous voici devant des justiciables en chair et en os (mais toujours accompagnés d’un magistrat titulaire). Les auditeurs de justice, lorsqu’ils sont en stage juridictionnel dépendent de l’Ecole Nationale de la Magistrature et d’un DCS (directeur du centre de stage).

La plupart des stages juridictionnels sont découpés en deux grands volets : un volet pénal (parquet, instruction, siège correctionnel et application des peines) et un volet civil (instance, grande instance dont affaires familiales et enfants). La durée passée dans chaque service est déterminée par l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Les juridictions sont classées en quatre groupes (le groupe 1 comprend les plus grandes juridictions). A titre d’information, Dijon (environ 150 000 habitants) est une juridiction de groupe 2. Pour ne pas être trop dépaysée, après Bordeaux, direction Dijon et les vignobles de Bourgogne, à 1 heure et 40 minutes de TGV de Paris.

Après une semaine auprès du greffe, mon stage commence par le volet pénal.

  • Le stage parquet (6 semaines)

«  Madame le procureur ou Madame la procureure ? »

Durant ce stage, les auditeurs doivent effectuer tout le travail d’un parquetier : prise de réquisitions orales à divers audiences (audience à juge unique, audience collégiale, audience du tribunal pour enfants notamment), orientation des procédures en fonction de la politique pénale du ressort (par courrier ou au téléphone après un compte-rendu des enquêteurs), rédaction de documents (soit-transmis, réquisitoires introductifs, réquisitions écrites, procès-verbaux, réquisitoires définitifs).

Durant ce stage, les auditeurs sont évalués par un CRF (coordonnateur régional de formation) lors de réquisitions prises à l’audience correctionnelle (audience à juge unique ou audience collégiale). Aujourd’hui (2ème jour de stage), c’est le jour des premières réquisitions. Avant l’audience, l’impatience se fait sentir mais aussi un peu de stress. J’enfile ma robe, je prends mes codes et mon « Crocq » (ouvrage de référence pour les parquetiers, il s’agit du guide des infractions de Jean-Christophe Crocq édité chez Dalloz ; vous entendrez souvent : « mais où est passé mon Crocq ? »).

J’ai bien préparé mes dossiers et j’ai vu les points qui posaient difficulté avec le magistrat qui m’accompagne à l’audience. C’est une audience à juge unique (ce sont les dossiers que le législateur considère comme les moins complexes qui sont jugés par un seul magistrat) : du contentieux routier, des violences aggravées et des atteintes aux biens principalement.

Un dossier retient particulièrement mon attention : un père qui élève seul ses deux enfants comparaît pour avoir donné plusieurs gifles à l’un d’eux, atteint d’un handicap. Après une journée d’absence non expliquée, l’adolescent est retourné dans sa structure spécialisée avec un bleu au visage. Il a dit qu’il était tombé mais l’enseignant ne l’a pas cru et a signalé la situation. Une enquête pénale a eu lieu et le mineur a été placé en urgence en famille d’accueil. Le père a contesté toute violence, se contredisant lors de l’enquête et invoquant une chute de l’enfant ou un jeu.

A l’audience le père, qui n’a jamais été condamné, nie toujours les violences.

Le rôle du procureur est difficile : se lever, poser des questions pertinentes au prévenu, chercher les mots adaptés pour tous (la société, cet enfant victime de violences qui est absent mais représenté par une avocate du conseil général, ce père dépassé qui a frappé son enfant alors qu’il n’aurait pas dû, qui le regrette sans doute mais qui n’arrive pas à l’admettre). Il s’agit de requérir une peine juste et convaincre le tribunal. Je requiers une peine d’emprisonnement avec sursis ; le juge prononce cette peine mais avec un quantum légèrement inférieur.

Chronique judiciaire du journal local (cliquez pour voir en grand)

  • Le stage instruction (4 semaines ; ce stage a été rallongé d’une semaine pour les auditeurs à partir de la promotion 2017)

« je suis juge d’instruction, je suis juge d’instruction ! » (bon d’accord pour quatre semaines mais quand même… )

Ce stage a pour but d’apprendre notamment la pratique de l’audition et de l’interrogatoire à l’instruction en lien avec le travail du greffier, de rédiger des ordonnances ou des commissions rogatoires, de voir des actes complexes tels qu’une confrontation, un transport, une reconstitution, de suivre des opérations en lien avec les enquêteurs (par exemple une grosse opération de lutte contre le trafic de stupéfiants, des réunions avec les enquêteurs).

En tant qu’auditrice de justice, je suis tenue au secret de l’instruction qui est garanti par le code de procédure pénale. Je ne peux donc pas parler des dossiers que j’ai lus, ni des interrogatoires et auditions que j’ai vus ou menés.

Je dirais simplement que le rôle du juge d’instruction est complexe : il dirige l’enquête et mène ses investigations à charge et à décharge. Il interroge une personne dont le procureur estime qu’il existe des indices graves ou concordants qu’elle ait commis certains faits, écoute ses explications, les confronte aux éléments matériels du dossier et effectue des vérification. Le juge d’instruction décide de placer une personne en examen (elle est officiellement suspecte au regard de la loi, ce qui lui donne des droits comme la possibilité de demander des actes ou la clôture du dossier).

Il auditionne aussi la personne partie civile (qui se plaint d’être victime d’une infraction). Son but est de rechercher la vérité, faire parler une personne alors que celle-ci ne le veut pas forcément ou que c’est dur pour elle, chercher à comprendre, fermer des portes.

  • Le stage siège correctionnel (3 semaines)

« Madame le président ? ah oui, c’est vrai, c’est moi. »

Durant ce stage, très court, les auditeurs préparent des audiences correctionnelles, les président, conduisent les délibérés et prononcent les peines à l’audience. Ils rédigent également des jugements correctionnels.

Revêtue de ma robe, je sonne et rentre dans la salle d’audience par l’arrière. Les personnes qui sont dans la salle face à moi se lèvent. Je m’assois sur l’estrade, le maître de stage à mes côtés : « bonjour, l’audience du tribunal correctionnel est ouverte, vous pouvez vous asseoir ».

L’huissier audiencier m’indique le premier dossier où toutes les personnes sont présentes. Je débute par la vérification de l’identité du prévenu, ensuite la lecture de la prévention (la raison pour laquelle la personne comparait devant le tribunal) et je résume le dossier. Il faut être synthétique sans oublier d’élément important, tout en étant objectif.

Ensuite, j’interroge le prévenu : reconnait-il les faits ? Si oui, comment les explique-t-il ? S’il ne les reconnait pas, comment explique-t-il les éléments qui ont justifié les poursuites du procureur (un objet volé trouvé en sa possession, ses empreintes sur les lieux de l’infraction, un témoin qui le reconnait, etc…). Je m’intéresse aussi à la personnalité du prévenu : a-t-il déjà été condamné ? A-t-il un emploi ou une formation ? Quelle est sa situation familiale ?

Une fois que chacun aura été entendu : prévenu, partie civile, procureur, avocat de la défense et que le prévenu a prononcé ses derniers mots, l’affaire est mise en délibéré. Les affaires s’enchaînent, nombreuses. Certaines sont renvoyées à une date ultérieure pour des raisons de procédure.

Il est tard. Le tribunal se retire pour délibérer et examiner les dossiers un par un pour se prononcer sur la culpabilité du prévenu (a-t-il commis les faits qui lui sont reprochés ?) et dans l’affirmative sur la peine à prononcer. Le tribunal décide également s’il va accorder ou non des dommages et intérêts si la victime le demande.

Ensuite le président appelle chaque prévenu et lui donne connaissance de la décision du tribunal. Il a 10 jours pour faire appel s’il conteste la décision qui a été rendue. Je me souviens d’une audience que j’ai présidé. Un conducteur alcoolisé a percuté une voiture dans laquelle se trouvait un couple avec un très jeune enfant. Les victimes ont été choquées et ont eu de légères contusions mais les deux véhicules roulaient à faible allure et par chance il n’y a pas eu de blessé grave.

Le conducteur explique qu’il a perdu son emploi, qu’il déjeunait chez des amis, qu’il a consommé plus d’alcool qu’il aurait dû et qu’il n’a pas vu le véhicule qui arrivait sur sa droite au carrefour. Le taux d’alcool dans le sang relevé est important et son casier judiciaire porte trace de plusieurs infractions au code de la route. Les victimes se constituent partie civile et demandent des dommages et intérêts, expliquant notamment que depuis l’accident leur enfant a très peur des voitures.

Après en avoir délibéré avec mon maître de stage, j’ai prononcé une peine de sursis avec mise à l’épreuve à l’encontre du conducteur, lui faisant obligation d’effectuer des soins en rapport avec l’alcool ainsi que de rechercher activement un emploi ou une formation et je l’ai condamné au paiement de dommages et intérêts envers les victimes.

Durant ce stage, les auditeurs sont également évalués lors d’une présidence d’audience correctionnelle à juge unique.

  • Le stage application des peines (4 semaines – ce stage a été rallongé d’une semaine pour les auditeurs à partir de la promotion 2017)

« Prison ou pas prison ? »

Le respect des obligations des condamnés en milieu ouvert ou fermé est assuré par le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui réfère directement et régulièrement au juge d’application des peines via un logiciel (« APPI » de son petit nom). L’auditeur tient des entretiens avec des condamnés pour leur expliquer leurs obligations ou les rappeler à l’ordre en cas de non-respect.

Il préside des débats contradictoires en milieu ouvert pour savoir si la personne a respecté durant le délai qui lui était imparti les obligations auxquelles le tribunal l’avait condamné, par exemple effectuer un travail d’intérêt général, respecter une obligation de soin ou de travail ou payer des jours-amende au trésor public.

En milieu fermé, il s’agit de décider ou non de l’octroi d’un aménagement de peine en examinant au cas par cas si le projet présenté par la personne détenue lui permet de préparer son insertion ou sa réinsertion afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions.

L’auditeur assiste à la commission de la commission d’application des peines en établissement pénitentiaire (durant laquelle le juge de l’application des peines accorde notamment des permissions de sortir aux détenus, des réductions de peine supplémentaires s’ils manifestent des efforts sont faits en détention pour leur réinsertion ou retire des crédits de réduction de peine en cas de mauvais comportement en détention ).

La matière nécessite de la rigueur juridique car les règles sont complexes et les évolutions législatives fréquentes mais aussi beaucoup d’humanité. Les publics rencontrés présentent souvent des difficultés qu’il s’agit d’accompagner : problèmes d’addictions, troubles psychiatriques et précarité sociale notamment.

Il s’agit cependant également de veiller à l’individualisation de la peine mais également à son effectivité en sanctionnant le condamné en cas de non-respect de ses obligations légales.

par Marion Coudurier,
auditrice de justice à l’Ecole Nationale de la Magistrature (promotion 2015).


Pour plus d’informations sur l’ENM :



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