Elections sénatoriales et réformes institutionnelles

Ce Dimanche 24 Septembre 2017, 76 359 grands électeurs étaient appelés aux urnes afin de procéder à l’élection de 170 sénateurs. Pour cette occasion, la Salle des conférences du Sénat s’est transformée afin d’accueillir les sénateurs, députés, professeurs de droit et journalistes dans l’attente des résultats de cette élection peu suivie du grand public.

Les Chevaliers des Grands Arrêts ont pu, comme en 2014, grâce à la bienveillance du Sénat, assister à cette journée électorale dans le but de vous informer sur les modalités de ces élections et d’interroger sénateurs et professeurs de droit sur les enjeux institutionnels de ces élections sénatoriales. 

I – Modalités des élections sénatoriales

Seule la moitié des 348 sénateurs de la Chambre haute était concernée par ce renouvellement. En effet, avant 2003, les sénateurs disposaient d’un mandat de neuf années et le Sénat était renouvelé par tiers tous les trois ans. La loi organique n°2003-696 du 30 juillet 2003 a cependant réduit la durée du mandat des sénateurs à six ans avec un renouvellement par moitié tous les trois ans. Pour ce renouvellement de 2017, sur les 1996 candidats âgés de 24 ans révolus (âge minimum requis depuis la loi organique n°2011-410 du 14 avril 2011), 97 sénateurs sortants briguaient un nouveau mandat et 69 d’entre eux furent réélus (tous les résultats sont disponibles sur le site Sénatoriales 2017).

Le Sénat, selon les dispositions de l’article 24 alinéa 4 de la Constitution « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Pour ce faire, l’élection des sénateurs a lieu au suffrage indirect. En effet, ce sont les grands électeurs (députés, conseillers régionaux, conseillers départementaux et, surtout, les conseillers municipaux qui représentent environ 95% du collège électoral) qui élisent les membres de la Chambre haute. Le scrutin est majoritaire dans les départements où, la démographie étant faible, moins de trois sièges sont à pourvoir. En revanche, un mode de scrutin à la représentation proportionnelle est prévu dans les départements élisant trois sénateurs ou plus.

Les résultats de ce renouvellement par moitié du Sénat a permis à la droite et au centre de renforcer la majorité acquise en 2014. Les socialistes connaissent une réduction de leur nombre d’élus qui est la conséquence des échecs aux élections municipales, régionales et départementales en 2014 et 2015 pendant le quinquennat de François Hollande. Le mouvement « En marche » quant à lui, ne parvient pas à réaliser la percée espérée dans la foulée des élections législatives.

II – Conséquences des élections sénatoriales sur les futures réformes institutionnelles

Au-delà de la déception pour le mouvement « En Marche », l’élargissement de la majorité sénatoriale en faveur de la droite pourrait accroître les difficultés de l’exécutif, tout particulièrement, en ce qui concerne les futures réformes institutionnelles annoncées par le Président de la République à l’occasion de son discours devant le Congrès le 3 juillet dernier.

Emmanuel Macron a en effet, à cette occasion, esquissé devant les parlementaires réunis en Congrès son programme en matière de réforme des institutions.

A – La réduction du nombre de parlementaires

La première mesure annoncée est, selon le président de la République, « une mesure depuis longtemps souhaitée par nos compatriotes […] : la réduction du nombre de parlementaires ». Or, comme le souligne le Professeur Jean-Philippe Derosier, « on ne peut pas réduire le nombre de députés sans réduire le nombre de sénateurs pour une raison constitutionnelle qui est l’équilibre au Congrès ». Cette mesure permettrait, selon lui, que « les parlementaires soient plus investis dans leurs missions parlementaires » et « de réaffecter les moyens ainsi économisés aux nouveaux parlementaires avec plus de collaborateurs et de meilleures conditions de travail ».

Les sénateurs que nous avons interrogés, s’ils se montrent favorables à la diminution du nombre de parlementaires, sont également attentifs à la nécessité de préserver la représentation des territoires. Ainsi Bernard Delcros, sénateur du Cantal et membre de la commission des finances, nous indiquait que la diminution du nombre de parlementaires devait certes tenir compte « d’un critère de démographie » mais également veiller « à ce que les territoires ruraux ne soient pas pénalisés ». Didier Maus s’inquiète également de l’égalité de représentation : « Si on diminue le nombre de parlementaires, on va augmenter le nombre de départements à un député. Puisque constitutionnellement, l’interprétation que l’on donne actuellement c’est qu’on ne peut pas avoir des députés interdépartementaux. Ce qui veut dire que l’on va accroître l’inégalité de représentation entre les petits départements et les grands départements ». Jean-Marie Bockel, sénateur du Haut-Rhin et membre de la commission des affaires étrangères, nous a toutefois fait remarquer que les sénateurs n’étaient que 322 avant la réforme de 2003 et que cette réduction ne faisait, en somme, que répondre à une inflation antérieure.

Didier Maus relativise cependant les chances de succès d’une telle réforme : « Moi je n’ai jamais vu des parlementaires se faire hara-kiri. Si on fait une diminution drastique du nombre de députés, ça veut dire que mécaniquement, il y aura au moins une centaine de députés de la majorité qui, même si les conditions politiques sont bonnes, ne sont pas réélus. Est-ce qu’ils accepteront de voter leur mort politique ? ».

Une telle diminution du nombre de parlementaires ne serait, cependant, pas soumise à une révision de la Constitution mais relèverait de la loi organique en vertu des dispositions de l’article 25 al. 1er de la Constitution. Une telle loi organique serait ainsi soumise aux conditions de procédure de l’article 46 de la Constitution.

Article 25 de la Constitution :
Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités. (…)

L’hémicycle, le 28 septembre 2014.

B – La limitation du cumul dans le temps des mandats parlementaires et des mandats locaux

Autre enjeu des futures réformes institutionnelles, la limitation du cumul dans le temps des mandats parlementaires et des mandats locaux.

Après l’interdiction du cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur par la loi organique n°2014-125 du 14 février 2014 – applicable pour les sénateurs à compter du 1er octobre prochain – , et l’interdiction du cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen par la loi n°2014-126 du 14 février 2014, le président de la République, dans son discours devant le Congrès, considérait que la limitation dans le temps du cumul des mandats parlementaires était « la clef de voûte d’un renouvellement qui ne se produira pas sous la pression de l’exaspération citoyenne mais deviendra le rythme normal de la respiration démocratique ». Cette limitation dans le temps aurait également vocation à s’appliquer, comme cela fut envisagé dans les premières semaines du quinquennat, aux mandats locaux. Se montrant favorable à une telle limitation, le sénateur Jean-Marie Bockel considère qu’une telle réforme doit néanmoins être accompagnée, « dans le même temps », d’une réflexion « sur le statut (…) et le devenir des élus » dans la mesure où « il y a toujours un peu de crainte que des gens de bonne qualité soient moins attirés par le Parlement s’il n’y a pas un minimum de sécurité ».

Le Sénateur Bernard Delcros, quant à lui, considère également qu’une telle limitation ne doit pas être adoptée sans précaution : « Je suis plutôt favorable à la limitation du nombre de mandats dans le temps mais avec là aussi une précaution à prendre. Concernant les petites collectivités, notamment les petites communes – j’arrive du Cantal, je suis Maire d’un petit village – je sais que c’est souvent difficile dans les petites communes de trouver des bonnes volontés, des personnes qui ont à la fois les compétences, le temps, l’envie. Donc je pense qu’il faut qu’on mette des seuils de population. Je pense, d’une façon générale, qu’on ne peut pas apporter des réponses uniformes à des situations qui sont différentes ». Le Professeur Derosier est également attentif à cette difficulté, tout en se montrant sceptique quant au fond de la mesure : « J’ai toujours considéré qu’il ne fallait pas que le législateur intervienne à la place de l’électeur. […] Si l’électeur veut réélire son représentant, je ne vois pas pourquoi la loi doit le lui interdire. Si on regarde les statistiques, si on regarde la vie politique, les députés et sénateurs qui font plus de trois mandats de façon consécutive sont assez rares. Et donc, faire une loi seulement pour ces personnalités-là, je ne suis pas sûr que ce soit vraiment nécessaire. Et surtout, c’est une loi qui s’appliquerait à d’autres mandats, notamment pour les maires, et il y a des problèmes de vocation, de motivation. Parfois le Maire est là depuis de très nombreuses années parce qu’il n’y a personne qui est motivé ou en mesure de prendre sa succession à la Mairie. ».

C – La réduction de la navette parlementaire

Enfin, nous avons interrogé nos interlocuteurs sur la volonté de l’exécutif et du Président de l’Assemblée Nationale, François de Rugy, de réduire la navette parlementaire à une seule lecture, contre deux lectures actuellement selon la procédure législative ordinaire, afin d’accélérer le temps législatif.

Si Didier Maus relativise la portée d’une telle révision, il se montre toutefois soucieux de la qualité du travail législatif : « La procédure accélérée a été généralisée de fait sous le quinquennat de Monsieur Hollande. La quasi-totalité des grands textes ont été fait en procédure accélérée. Ce qui, honnêtement, n’est pas conforme à l’esprit de la Constitution. […] Moi je suis très hostile à cette idée qu’il faut légiférer à toute vitesse. […] Il faut résister un peu à la pression de la vitesse de la lumière. Mais c’est difficile. Surtout quand c’est le Président de l’Assemblée Nationale lui-même qui envisage la réduction des pouvoirs de son Assemblée, ce qui est, quand même, une grande nouveauté. ». Le Sénateur Bernard Delcros se montre également soucieux du débat entre les deux assemblées : « Je comprends l’intérêt qu’il peut y avoir à limiter dans le temps l’examen des textes de loi, mais, en même temps, les parlementaires sont là aussi pour prendre le temps d’étudier des choses, pour pouvoir amender, pour pouvoir ensuite discuter avec l’Assemblée. »

Madame Michèle André, sénatrice du Puy-de-Dôme et Présidente de la commission des finances, souligne cependant que de nouvelles réformes sont sans doute nécessaires, les avancées de la révision constitutionnelle de 2008 n’ayant pas été suffisamment exploitées, et évoque la possibilité de renforcer le rôle des commissions parlementaires : « Dans la réforme de 2008, il y avait de bonnes choses qui n’ont pas été beaucoup utilisées. Il y en avait une qui était intéressante. C’était le travail en commission. La commission examine et le texte est étudié à partir d’elle. La question délicate, c’est faut-il remettre dans le dialogue les amendements rejetés en commission ? […] Ici, au Sénat, les commissions ont toujours eu une grande capacité à réellement faire exister le débat. La deuxième question, c’est le rôle de la Commission mixte paritaire. Les CMP c’est très productif, très intelligent, très utile. […] Vous savez, les groupes qui déposent autant d’amendements qu’il y a de départements, ce n’est pas très astucieux. Ça s’appelle de la flibusterie. C’est drôle comme dans une cour d’école ou un amphi étudiant, mais globalement ce n’est pas très responsable ».

Enfin, pour le Professeur Derosier, cette réflexion sur la procédure législative doit être l’occasion d’une réflexion plus large, notamment autour du rôle des commissions parlementaires : « Je pense qu’il faut entamer une réflexion plus profonde sur la procédure législative. Pourquoi ne pas prévoir une possibilité d’adoption de textes en commission comme c’est déjà prévu, de façon un petit peu expérimentale, au Sénat ? Pourquoi ne pas l’étendre à l’Assemblée ? […] Pourquoi ne pas prévoir, plutôt que la discussion générale qui débute chaque projet de loi, une forme de lecture préalable lorsque le projet est déposé ? Une première forme de discussion générale qui diminuerait d’autant la discussion classique pour avoir la première température et lancer un premier débat en surfant sur l’actualité de l’examen en Conseil des ministres et du dépôt sur le bureau d’une des deux assemblées. De toute façon, actuellement, la lecture unique est pratiquement le droit commun puisque la procédure accélérée est quasi-systématique. Cela n’est pas choquant en soi à la condition, encore une fois, de réfléchir plus largement à la procédure parlementaire et de ne pas seulement se borner à supprimer la deuxième lecture. ».

*

Si certaines de ces réformes pourront être réalisées par la loi, d’autres nécessiteront une révision constitutionnelle. Cela impose, selon les dispositions de l’article 89 de la Constitution, une adoption en termes identiques par les deux assemblées et, si le Congrès est réuni, une majorité des 3/5e des suffrages exprimés au Congrès.

Article 89 de la Constitution :
(…)
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. (…)

L’extension de la majorité sénatoriale de droite risque de rendre plus difficile l’adoption d’une telle révision et impose, obligatoirement, d’amples négociations entre les groupes parlementaires. Comme le souligne la sénatrice Michèle André « Quand on veut faire de grandes choses, on a besoin d’alliés. […] Si le Congrès réuni à Versailles ne donne pas de majorité […] c’est referendum. C’est cela qui est annoncé par l’exécutif. Un referendum, pour un Président de la République, c’est très dangereux. Parce qu’en général, les Français ont la tendance, terrible, à ne pas regarder la question et à dire non.».

En l’état, la seule chose certaine est que ces élections sénatoriales vont compliquer les ambitions de l’exécutif en matière institutionnelle.


Pour en savoir plus :

Pour rappel, vous retrouverez sur notre site le dossier spécial que nous avions réalisé en 2014 sur les élections sénatoriales :



Catégories :Actualités, Droit constitutionnel

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