La nouvelle était tombée lors du conseil fédéral d’Europe Ecologie – Les Verts du 22 septembre dernier : le parti écologiste se prononçait contre la ratification du traité budgétaire européen. La nouvelle a provoqué quelques remous au sein du parti membre de la majorité gouvernementale et qui compte, faut-il le rappeler, deux ministres au sein du gouvernement, à savoir Cécile Duflot et Pascal Canfin. La nouvelle a aussi provoqué l’émotion des éditorialistes du journal Le Monde, qui se sont insurgés dans leur production du 25 septembre 2012 contre le « jeu de dupe » des ministres verts. Selon les éditorialistes, il fallait que le pouvoir exécutif tire les conséquences du refus du parti écologiste de soutenir la ratification du traité demandée par le gouvernement en limogeant les deux ministres issus des rangs d’EELV. Ceux-ci ont toutefois, soutenu en cela par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, immédiatement rejeté une telle issue. Il est vrai que la prise de position du parti vert ne porte pas à conséquence dans la mesure où la droite votera sans surprise pour un traité négocié par le gouvernement précédent.
Pour autant ces contorsions politiques peuvent laisser songeur les juristes attachés aux canons du régime parlementaire. Peut-on réellement considérer qu’il y a une place au gouvernement pour un parti qui ne soutient pas la politique du gouvernement ?
La contradiction des écologistes a déjà été soulevée de toutes parts : ceux-ci s’apprêtent à ne pas voter le Pacte budgétaire européen, alors qu’ils seront amenés à voter en faveur du projet de loi de finances 2013 qui en tirera les conséquences. Sans doute aussi seront-ils amenés à voter le projet de loi organique mettant en œuvre la « règle d’or » issu du traité budgétaire. Mais ratifier le traité budgétaire lui-même, ça non !
Pourtant ce traité budgétaire n’est actuellement rien moins que le socle de la politique européenne du gouvernement et sa nouvelle référence en matière budgétaire. Politique gouvernementale que EELV, en tant que parti appartenant à la majorité parlementaire et intégré au gouvernement, est censé soutenir. Bien entendu le parti peut toujours changer d’avis et désapprouver la politique du gouvernement. Mais alors la cohérence du régime parlementaire lui commande de retirer aussi sa participation dans la mesure où il a retiré son soutien. Au lieu de l’application de ces règles de base du régime parlementaire, on assiste à une scène de vaudeville où les ministres écologistes clament haut et fort leur solidarité avec le gouvernement, tandis que leur parti ne votera pas le projet du gouvernement tout en clamant tout aussi haut et tout aussi fort que les ministres EELV ont toute leur place au gouvernement.
Il existe dans la Constitution du 4 octobre 1958 un outil pour faire face à ces atermoiements parlementaires. Ou plus exactement il existait. L’article 49 alinéa 3 prévoyait en effet que le premier ministre pouvait engager la responsabilité du gouvernement sur un projet de loi. Dès lors le projet de loi était considéré comme adopté sauf si une motion de censure était déposée dans les 24 heures. Dès lors le vote pour ou contre le texte était transformé en vote pour ou contre le gouvernement, qui pouvait ainsi renforcer la cohérence de la majorité parlementaire en la mettant face à ses responsabilités. Il faut d’ailleurs noter que le mécanisme avait été pensé par des hommes politiques issus de la IVe République ayant fait l’amère expérience des majorités insaisissables. Toutefois, passant pour trop désobligeant à l’égard des parlementaires dont il forçait le vote, l’article 49 alinéa 3, symbole du parlementarisme rationalisé, a été à son tour rationalisé par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Depuis cette révision, l’article 49 alinéa 3 ne peut plus être employé que pour les projets de loi de finances ou projets de loi de financement de la sécurité sociale, ou encore pour un autre projet ou proposition de loi par session. La plupart des commentateurs avaient vu d’un bon œil la limitation de cette épée de Damoclès pesant sur les parlementaires, tandis que d’autres s’étaient tout de même inquiétés des risques que faisait peser la quasi-disparition de ce mécanisme pour la solidité de la majorité parlementaire.
Les actuelles contorsions du parti écologiste et de ses ministres éclairent ce débat d’un jour nouveau, tout en confirmant les craintes des plus orthodoxes des défenseurs du texte de 1958. On voit en effet un parti refuser de voter un projet du gouvernement tout en lui maintenant sa confiance. C’est-à-dire refuser à un gouvernement les moyens de gouverner tout en lui maintenant sa confiance. Soit provoquer la paralysie du pouvoir exécutif par la disparition de sa majorité, schéma courant sous la IVe République et qui a justifié l’insertion de l’article 49 alinéa 3 dans la Constitution de la Ve République. Certes le parti vert n’est pas à lui seul en mesure de provoquer la paralysie du pouvoir exécutif. Mais la logique qu’il emploie est aujourd’hui la même que celle qui a causé au régime parlementaire de graves difficultés.
Avec un peu d’imagination, on pourrait espérer que la situation prenne un tour comique. Imaginons un instant le gouvernement utiliser l’article 49 alinéa 3 pour le projet de loi ratifiant le TSCG. Dès lors les écologistes « qui-soutiennent-le-gouvernement-mais-pas-le-traité » seraient bien en peine de déposer une motion de censure contre le gouvernement. Et quand bien même une telle motion était déposée, ils se garderaient bien de la voter. A contrario la situation serait des plus cocasses sur les bancs de la droite, amenée à voter pour la motion de censure parce qu’elle ne soutient pas le gouvernement alors que dans le même temps elle est favorable au traité budgétaire…
Mais trêve de politique fiction. Les Verts n’aiment pas les institutions de la Ve République, c’est leur droit. Mais il n’est pas certain qu’ils servent leur cause en nous ramenant aux errements des régimes précédents. Ici le vernis de la modernité en politique ressemble bien plus à un bond de cinquante ans en arrière.
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