Tribune : Donner un sens à la démocratie !

Qu’est ce que la démocratie ? Ce vocable est employé par les journalistes, les acteurs politiques et par les juristes, sans qu’aucun ne sache exactement ce dont il s’agit. Pour preuve, il suffit d’ouvrir le lexique de termes juridiques Dalloz pour s’en rendre compte. Sous l’entrée « démocratie », on peut apercevoir la démocratie directe, la démocratie libérale, la démocratie médiatisée, la démocratie participative, la démocratie pluraliste, la démocratie populaire, la démocratie représentative et la démocratie semi-directe. Nous noterons qu’ils auraient pu encore ajouter la démocratie environnementale ou la démocratie locale, expressions à la mode mais dont ne savons pas vraiment ce qu’elles ont de démocratique. Cela ne nous renseigne finalement que très peu sur ce qu’est la démocratie. Reprenons depuis le début. 

Première étape : la définition. La démocratie est un terme à l’étymologie grecque, un composé des notions de « demos », le peuple, et de « kratos », le pouvoir. La notion de peuple n’a rien à envier à celle de démocratie quant au flou entourant sa définition. Que doit-on entendre par le vocable de « peuple » ? Est-ce une notion liée à celle de citoyenneté ? Est-elle à rapprocher d’une considération territoriale ? Le peuple, est-ce le corps électoral ou bien est-ce plus large ? Autant de questions dont les réponses prêtent à débat. On pourrait avancer, sans prendre trop de risques, que la notion de peuple serait protéiforme. Cela signifierait que l’on refuse de faire un choix entre ses différentes acceptations, chacun choisissant celle correspond le mieux à l’usage qu’il entend en faire. Selon que l’on se place en démocratie représentative ou directe, le peuple serait l’électorat ou bien l’ensemble des citoyens. Selon cette dernière acceptation, les élections présidentielles et législatives en France ne seraient pas démocratiques, puisque seul le corps électoral désigne nos représentants. Par conséquent, la notion de « demos » ne nous apporte aucun éclairage concernant ce qu’est la démocratie.

Dès lors, tentons notre chance avec la seconde notion, celle de « kratos ». Qu’est-ce que le pouvoir ? Ce serait la faculté de gouverner, de décider. La distinction entre gouvernant et gouverné s’impose donc. Nous revient alors à l’esprit la phrase restée célèbre de Lincoln, lors de l’adresse de Gettysburg en 1863 :

The government of the people, by the people and for the people.

Vous noterez au passage que le terme de « gouvernement » a été traduit en français par celui de « pouvoir », ce qui ne manque pas de souligner la proximité sémantique de ces deux termes. Pour en revenir à l’adresse d’Abraham Lincoln, le peuple serait donc gouvernant et gouverné. Ce double aspect justifie la diversité des épithètes accolés à la notion de démocratie. Le peuple gouverné importe peu ici, seul nous intéresse le peuple gouvernant. Ainsi, si le peuple gouverne directement, on parlera de démocratie directe. S’il gouverne au moyen de représentants, il s’agira d’une démocratie représentative, ou démocratie élective. Au sein de cette dernière, selon que les représentants se constituent en une multitude de partis politiques ou une très grande multitude de partis, il s’agira d’une démocratie pluraliste ou d’une démocratie médiatisée. On notera que la démocratie participative se différencie de la démocratie directe en ce que cette dernière implique la superposition du peuple gouvernant et du peuple gouverné, alors que la première n’induit que la consultation du peuple gouverné par le peuple gouvernant.

Semble apparaître enfin un semblant de définition. Néanmoins, il suffit d’invoquer la diversité d’emploi de la notion de démocratie pour que l’édifice s’écroule. Qu’est-ce qu’un démocratie populaire ? L’occurrence de la référence au peuple ne saurait dissimuler la triste réalité : une démocratie populaire est, le plus souvent, un régime totalitaire. Voici une démocratie où le peuple n’est que gouverné. De même, existe une démocratie pluraliste, c’est-à-dire une démocratie où la pluralité des partis politiques permet une représentation sincère des opinions du peuple par ses représentants. S’il existe une démocratie pluraliste, il doit aussi exister une démocratie non-pluraliste, non ? Sinon quel serait l’intérêt d’ajouter ce qualificatif ? S’il existe peu de partis politiques, voire un seul, peut-on encore parler de démocratie ? Nous ne sommes pas très éloignés, ici, des régimes totalitaires. Enfin, plusieurs thèses et ouvrages, ainsi qu’un colloque organisé par le Conseil d’état, portent sur la démocratie environnementale. Par un raccourci malheureux, l’un des domaines d’application de la démocratie est devenu l’un de ses qualificatifs. Si le pouvoir peut s’appliquer en matière environnementale, il apparaît hâtif de parler de démocratie environnementale. Ou alors, nous pourrions également évoquer la démocratie économique, la démocratie culturelle, la démocratie agricole, la démocratie scolaire, etc.… Nous pourrions décliner à l’infini la démocratie, ou du moins en autant de notions que nous disposons de ministères. Ne sacrifions pas la démocratie sur l’autel de la communication, ne sacrifions pas son sens pour mobiliser et agiter le peuple.

Si l’on s’intéresse à ce qui est démocratique, nous nous écarterons encore un peu plus de son sens originel. Ainsi, un débat peut-être démocratique, tout comme une procédure peut l’être. On peut également faire référence à ce qui est en voie de devenir démocratique, c’est-à-dire ce qui se démocratise. Nous vous indiquons tout de suite un article intéressant de Télérama, daté d’août 2013, relatif à l’échec de la démocratisation culturelle. On peut encore relever nombre d’occurrences dans les discours politiques de la notion de démocratie, occurrences qui viennent polluer le sens profond de celle-ci. Un dernier exemple paraît topique : il a été question de modifier la Constitution française afin d’y faire figurer la notion de démocratie sociale. Toutefois, personne ne saurait dire quel est l’intérêt d’une telle démarche, ni quel sens cela aurait.

Cessons cette mascarade absurde consistant à conférer un label de démocratie à tout ce qui nous semble légitime ! Mettons un terme à cette illusion, à cette croyance ! Doit renaître un concept nu de tous ces qualificatifs qui nuisent à sa compréhension véritable. A propos d’un tout autre sujet, Georges Burdeau avait considéré qu’adjoindre des qualificatifs à une notion ne peut que priver celle-ci de sa signification. La démocratie est morte ! Vive la démocratie !


Cette tribune est née de l’écoute de la brillante intervention du Pr. Bruno Daugeron, lors du colloque à l’Université de Nanterre de juin 2013 – La démocratie, de l’aube au crépuscule.



Catégories :Droit constitutionnel, Libertés fondamentales et droits de l'homme, Tribunes

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3 réponses

  1. Je suis tout a fait d’accord avec votre point de vue sur la démocratie notamment lorsque vous citez Georges Burdeau qui, d’après vous, « avait considéré qu’adjoindre des qualificatifs à une notion ne peut que priver celle-ci de sa signification. La démocratie est morte ! Vive la démocratie ! ». Alors ,si la définition de la démocratie telle que conçue par les juristes et politistes (The government of the people, by the people and for the people) ne rend pas tout a fait compte de la réalité du concept,Est ce qu’il n’est pas possible de revisiter la conception sociologique de la démocratie avec notamment Robert D et Raymond Aron qui, contrairement aux juristes, définissent la démocratie comme étant la situation dans laquelle les conflits sociaux sont institutionnalisés. C’est a dire ici, il ne s’agit nullement de la soumission d’une minorité à une majorité, comme c’est souvent le cas dans la conception juridique de la démocratie,(la démocratie directe, la démocratie libérale, la démocratie médiatisée, la démocratie participative, la démocratie pluraliste, la démocratie populaire, la démocratie représentative et la démocratie semi-directe) mais plutôt une situation, un état, ou régime, un pays dans lequelle chaque groupe de pression exprime effectivement ses revendications, ses aspirations dans le respect de la diversité: Démocratie apaisée ou Associés riveaux!!!!

  2.  » Les avantages procurés par la démocratie sont surtout formels, liés à la procédure publique et contradictoire qui accompagne la prise de décision. »

    – Yves ROUCAUTE. La république contre la démocratie. PLON.
    – Dominique ROUSSEAU. La Cinquième République se meurt, vive la démocratie. Odile JACOB.

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