Quoi de mieux pour se plonger dans la rentrée juridique qu’une bonne audience de Questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel ? Bien évidemment il faut être motivé pour se présenter (relativement) de bonne heure rue de Montpensier, s’enfermer dans une salle de projection quasi déserte et sans fenêtre, et visionner pendant deux heures une audience par ailleurs retransmise en streaming sur internet.
Mais délaissant ces inconvénients, un groupe d’étudiants motivés a défié toute rationalité pour faire sa rentrée 2011 sous les auspices de notre juridiction suprême.
Effectivement, on ne nous avait pas menti, pour le touriste moyen il n’y a pas grand chose à voir. Les « audiences publiques » au Conseil sont retransmises dans une pièce close et sans charme, dont la contenance n’est d’ailleurs pas prévue pour drainer les foules. La seule curiosité locale consistant en la photographie de groupe des membres du Conseil Constitutionnel affichée dans le couloir, permettant au badaud égaré dans cette salle de projection de savoir quel est le casting du film à l’affiche.
Le public est quant à lui clairsemé. Un groupe d’étudiants donc, qui était là par curiosité, passion ou masochisme suivant les personnalités. Un autre groupe qui lui avait sans doute une raison d’être là, bien qu’elle ne nous soit pas apparue. Quelques égarés aussi.
Ensuite, c’est comme au cinéma, sauf que c’est en direct et que la lumière reste allumée. Quatre audiences sont au programme de la matinée. Schématiquement le président Jean-Louis Debré commence par ouvrir l’audience. S’ensuit un récapitulatif de la procédure par la greffière, puis la plaidoirie des avocats, l’intervention du représentant du Secrétariat Général du Gouvernement, et enfin Jean-Louis Debré clôt l’audience. L’on ne fait d’ailleurs qu’apercevoir les membres du Conseil constitutionnel qui a aucun moment ne prennent la parole (hormis Jean-Louis Debré). La plupart du temps la caméra est centrée sur l’orateur (avocat ou représentant du SGG).
La première audience concernait l’article 530-1 du Code de procédure pénale et l’existence d’amende-plancher en cas de contestations. Priorité est donnée à l’avocat porteur de la QPC, qui semble passablement ému à l’idée de prendre la parole devant le Conseil Constitutionnel. D’ailleurs sa prise de parole déclenche quelques émotions parmi nos voisins (« il ne va tout de même pas plaider ! ») apparemment accoutumés aux procédures administratives où l’on voit rarement d’un bon oeil les avocats faire des effets de manches… L’avocat s’en prend au « contentieux inversé » des amendes et en appelle à la CEDH. La parole est ensuite donnée à un jeune et placide représentant du SGG qui va expliquer en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire que rien ne lui semble anormal dans cet article 530-1. Conformément à la possibilité que lui laisse la procédure (le dernier mot revient toujours à la défense), l’avocat tente encore quelques phrases pour insister, au grand malheur d’une partie de l’assistance probablement déjà pressée d’en finir. Enfin le Président Debré suspend l’audience et la retransmission du même coup.
La séquence reprend sur le deuxième audience, ou une avocate s’en prend à l’article 22-31-1 du Code de procédure pénale et au législateur qui aurait voulu contourner les règles constitutionnelles de la non-rétroactivité in pejus à propos de la qualification d’inceste, écornant au passage les « lois d’affichage ». L’exposé semble emballant mais là encore on ne voit que l’oratrice, la glace derrière elle (qui ne nous montre rien puisqu’un exemplaire de la Constitution a été obligeamment placé dessus pour éviter tout effet miroir), et le représentant du SGG (qui hésite cruellement entre regarder la caméra, le plafond, ou la fenêtre). Du coup, aucun moyen de savoir si les membres du Conseil constitutionnel sont réceptifs à la plaidoirie ou s’ils feuillettent le dernier bouquin de Jean-Louis Debré. Et là-encore le SGG dans son rôle de jeune premier de la classe vient faire lustrer ses boutons de manchette au pupitre en nous expliquant que tout est constitutionnel dans l’article 222-31-1 du Code de procédure pénale.
Puis vient la troisième audience, concernant, tenez-vous bien, la responsabilité du producteur en matière de communication audiovisuelle. Producteur signifiant ici, celui qui prend l’initiative d’ouvrir un service de communication en ligne, par exemple un blog… Originalité de l’audience, un avocat est venu plaider pour son client devant le Conseil Constitutionnel la conformité à la Constitution de la disposition attaquée. Un premier avocat nous explique donc que le régime de responsabilité du producteur (responsable de plein de droit de tous les contenus et commentaires publiés sur son site) était injustement stricte au regard du régime de responsabilité du directeur de la publication (qui depuis 2009 n’est pas responsable tant qu’il n’a pas connaissance du contenu délictueux). Le second avocat venant répondre à cela que les blogs ou forums incapables de se modérer n’ont qu’à prendre un directeur de la publication. « Pourquoi diable ne pas désigner de directeur de la publication ? » s’exclame l’avocat. Voilà un avertissement qui tombe à pic pour les Chevaliers des Grands Arrêts qui devraient selon cet avocat sans tarder songer à recruter pour s’éviter toute sueur froide… Entre ces deux avocats, notre fringant SGG se sent en trop. Il prend tout de même la parole pour indiquer sans surprise que le texte visé est constitutionnel mais que le régime du producteur doit s’aligner sur le régime du directeur de la publication. Affirmation paradoxale dont il se sort en révélant que la notion de producteur mise au point par la Cour de cassation est postérieure à la loi de 2009. Dieu merci on va donc sans doute pouvoir s’épargner un directeur de la publication… Jean-Louis Debré conclut cette audience de haut vol par une boutade : « Heureusement que notre site n’est pas un forum ».
Enfin vint la quatrième et dernière audience. Pour être franc, nous commencions à sérieusement décrocher. Pour le peu que l’on en voyait, les membres du Conseil Constitutionnel aussi, M. Michel Charasse s’étant même éclipsé. Le représentant du SGG continue de compter les verres d’eau devant lui. Cette fois l’audience concerne l’article 990 E du Code général des impôts. Je renonce à expliquer ici une taxe sur les immeubles de société dont je n’ai pas saisi la teneur exacte. Un avocat gominé tente de nous apitoyer sur le sort de pauvres citoyens taxés à la fois par l’ISF et l’article 990 E. A l’écran, les gens baillent, le représentant du SGG s’ennuie ferme, et dans la salle le public décroche. Jetant ses dernières forces dans la bataille, l’avocat va jusqu’à invoquer la probité de son client, George Davis, selon lui une « légende vivante de la mode outre-manche », « sauveur de Marks and Spencer », donnant à de nombreuses oeuvres caritatives et gentil avec les enfants. Je ne sais ce qu’il en est dans la salle d’audience, mais dans la nôtre, l’hilarité est générale. L’ambiance n’a guère le temps d’être refroidie par le représentant du SGG tant il expédie rapidement et sans surprise son argumentaire sur la constitutionnalité du texte.
La caméra nous montre une dernière vue d’ensemble. Le président Debré sent l’occasion d’un dernier bon mot et s’exclame « Si Joxe était là… » La retransmission coupe brutalement, nous privant de la seconde (et malheureusement essentielle) partie de la boutade. La frustration est totale. Décidément, la publicité des audiences au Conseil Constitutionnel est encore bien limitée.
* Merci à Marion X pour la pertinence de ses initiatives, et à Guillaume Y pour la façon toute particulière qu’il a de marquer les esprits.
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Rassurez-vous, prochainement le Conseil sera équipé d’une nouvelle salle de séance, plus grande et plus moderne, pouvant accueillir le public.
C’est une bonne nouvelle, car il est vrai que la salle actuelle de retransmission est assez triste. Le Conseil Constitutionnel aura alors enfin vraiment mérité son titre de juridiction à part entière avec des vraies audiences « publiques ». J’espère que vous nous tiendrez informés de ces changements.