Le caractère prioritaire de la Question Prioritaire de Constitutionnalité

Daniel Vorndran / DXR

La Cour de cassation – Daniel Vorndran / DXR

« La question de constitutionnalité est effectivement préalable, sans quoi elle pourrait rester sans réponse, au risque de ruiner le mécanisme en pratique, et plus fondamentalement de méconnaître ce qui en fait l’essence même » (Nicolas MOLFESSIS, Auditions devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Rapport n°1898, CR n°63). Ce caractère prioritaire doit être recherché, non pas dans le texte même de l’article 61-1 de la Constitution, mais dans l’article 23-2 de la loi organique n°2009-1521 du 10 décembre 2009 qui dispose que :

« En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. »

Le contrôle de constitutionnalité de la loi est donc prioritaire sur le contrôle de conventionnalité. Cette priorité a pu être regardée comme nécessaire à la survie de la procédure de l’article 61-1 de la Constitution. Le juge ordinaire pouvant exercer directement le contrôle de conventionnalité de la loi, la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (ci-après « QPC ») aurait pu être délaissée car incertaine et causant nécessairement un allongement la procédure. Egalement, cette priorité contribuait à nourrir l’idée que la Constitution demeure au sommet de la hiérarchie des normes. Toutefois, se pose la question toute particulière du droit de l’Union européenne. En effet, la Cour de justice des communautés européennes (ci après « CJCE) » avait estimé, dans son arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, que :

« Le juge national a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes [européennes] en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle−ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel. »

En réalité, la question de la priorité de la procédure introduite par l’article 61-1 de la Constitution ne se pose que lorsque le requérant soulève à la fois l’inconstitutionnalité et la non conformité au droit de l’Union européenne d’une disposition législative au regard de droits et libertés protégés à la fois par la Constitution et le droit de l’Union.

Dans ce cas de figure, le juge national est « pris entre deux feux » : s’il utilise le mécanisme de la QPC, il sera privé de sa faculté d’écarter immédiatement la loi française estimée inconventionnelle au regard du droit de l’Union européenne. En revanche, s’il use de cette faculté, il reniera le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité.

Cette question était déjà posée avant l’adoption de la loi organique, le gouvernement avait d’ailleurs intégré dans le projet de loi organique une réserve visant à prendre en considération la spécificité du droit de l’Union européenne et à faire exception à la priorité de la QPC. Finalement, les débats ont eu raison de cette réserve, de sorte que le texte de la loi organique ignore finalement la spécificité de l’Union européenne. Aussi, s’est donc posée la question de la compatibilité du mécanisme QPC avec le droit de l’Union. L’interrogation était en réalité double : De quel type de priorité s’agit-il ? La CJUE, saisie d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité du mécanisme QPC avec le droit de l’Union jugerait-elle le mécanisme inconventionnel ? Sans doute de la nature de la priorité dépendrait la conventionnalité du mécanisme QPC. En effet, si la priorité signifiait primauté du droit constitutionnel interne sur le droit de l’Union, le mécanisme paraît fondamentalement contraire au droit de l’Union. En revanche, si la priorité signifiait simplement un ordre procédural – le contrôle de la QPC a lieu avant le contrôle de conventionnalité, mais ne l’ébranle en rien – alors le mécanisme de la QPC semble compatible avec les exigences du droit de l’Union. Pour répondre à ses interrogations, la CJUE devait être amenée à se prononcer. C’est la Cour de cassation qui lui donna cette faculté de s’exprimer. Sous quelles conditions la priorité du mécanisme de la QPC est-elle conforme au droit de l’Union européenne ? La lecture de la conformité au droit de l’Union du mécanisme QPC n’a pas été identique du point de vue du droit interne (I) et du point de vue du droit de l’Union européenne (II).

I – Le point de vue interne : la fronde de la Cour de cassation contre la QPC

C’est la Cour de cassation qui, saisie de doutes sur la conformité du mécanisme QPC au droit de l’Union, a posé une question préjudicielle à la CJUE. Le raisonnement qu’a tenu la Cour de cassation pour poser sa question « avant dire droit » nous renseigne sur ses craintes vis-à-vis du dispositif QPC (A). Cette angoisse a provoqué une réaction du Conseil constitutionnel qui rappelle qu’il n’est pas juge de la conventionnalité des lois, faisant ainsi réponse au raisonnement de la Cour de cassation (B).

A – Les craintes de la Cour de cassation : entre vitesse et précipitation

A l’origine de la fronde de la Cour de cassation, était en cause une affaire dont les faits sont les suivants : deux ressortissants étrangers avaient fait l’objet d’un contrôle d’identité sur le fondement de l’article 78-2 du Code de procédure pénale. Le préfet avait pris, à leur encontre, un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de maintien en rétention administrative. Ce dernier avait sollicité une prolongation de la rétention devant le juge des libertés et de la détention. A ce stade, les deux protagonistes (M. Melki et Abdeli) ont soulevés une QPC portant sur la constitutionnalité de l’article 78-2 du Code de procédure pénale (CPP). La question a été transmise à la Cour de cassation.

Les requérants soutenaient que l’article 78-2 du CPP était contraire à l’article 88-1 de la Constitution. Ils soutenaient que la disposition violant un Traité européen, elle violait nécessairement la Constitution. La Cour de cassation a reformulé l’argumentation des requérants en énonçant qu’ils avaient à la fois posé une question de constitutionnalité et de conventionnalité. C’est cette extension artificielle de l’argumentation des requérants qui a permis à la Cour de cassation de poser une question préjudicielle à la CJUE. Mais l’on peut considérer ici que « la formation spéciale a confondu vitesse et précipitation » (Denys SIMON et Anne RIGAUX, « La priorité de la QPC : harmonie(s) et dissonance(s) des monologues juridictionnels croisés », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°29, octobre 2010). Le choix de cette affaire pour poser une question préjudicielle à la CJUE a ainsi été critiqué puisque la Cour de cassation a reformulé l’argumentation des requérants au-delà du litige sans que cela ne soit nécessaire à sa résolution.

Dans son arrêt du 16 avril 2010, Melki et Abdeli, la Cour de cassation présente ses arguments à l’appui de sa question préjudicielle tendant à savoir si la procédure QPC était conforme au droit de l’Union.

Dans un premier temps, elle soutient que le caractère prioritaire du mécanisme QPC ne permet pas au juge national de poser une question préjudicielle à la CJUE. Cet argument est critiquable à deux niveaux. D’une part, la Cour est précisément en train de poser une question préjudicielle à la CJUE alors qu’elle agit comme filtre de la QPC. D’autre part, la procédure QPC impose simplement un « ordre de passage », une priorité procédurale : d’abord la QPC, ensuite la question préjudicielle.

Dans un second temps, elle soutient que le Conseil constitutionnel contrôle la conformité des lois au droit de l’Union européenne. La Cour de cassation en tire comme conséquence qu’en raison de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel (article 62 de la Constitution), elle ne pourra plus soumettre une question préjudicielle à la CJUE si le Conseil s’est déjà prononcé. Or, cet argument est erroné et provoquera une mise au point ultérieure de la part du Conseil constitutionnel. D’une part, l’article 62 précise que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours », or une question préjudicielle n’est absolument pas un recours. D’autre part, le juge constitutionnel est incompétent pour apprécier la conventionnalité d’une loi en raison de la célèbre jurisprudence « IVG » de 1975.

En définitive, selon la Cour de cassation, le contrôle de conventionnalité du juge ordinaire risque d’être paralysé car la QPC empêcherai un contrôle de conventionnalité avant le transfert de la QPC, et après si le Conseil constitutionnel se prononce sur la conventionnalité d’une loi.

Le Conseil constitutionnel a réagi à cette argumentation pour « donner une véritable leçon de droit », dans un obiter dictum, à la Cour de cassation. Cette réponse, donnée à l’occasion d’une affaire pendante devant lui, est l’illustration d’un certain « dialogue des juges » – ou en l’espèce d’une opposition frontale entre deux lectures du mécanisme QPC.

B – La résistance du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat

Le Conseil constitutionnel a profité d’une affaire pendante devant lui, au cours de laquelle les requérants avaient soulevé l’inconventionnalité de la loi en se fondant précisément sur l’arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010. La loi qui lui était alors déférée n’avait aucun rapport avec l’affaire Melki Abdeli, puisqu’il s’agissait de la loi relative à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Dans sa décision DC du 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence classique en matière de contrôle de conventionnalité des lois : l’article 55 de la Constitution n’impose pas que la conformité des lois aux conventions soit contrôlée par le Conseil constitutionnel. Par conséquent, le Conseil constitutionnel est incompétent pour effectuer le contrôle de conventionnalité.

C’est au considérant 11 de sa décision que le Conseil constitutionnel « se met en roue libre » pour répondre à la Cour de cassation, il sort du cadre du litige qui lui est soumis et énonce que « Le moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité ». En instaurant une priorité, la loi organique a conforté la jurisprudence IVG. En effet, déjà en 1975, le Conseil énonçait qu’ « une loi contraire à un Traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ». Par conséquent, en instaurant une priorité, la loi organique a maintenu ce double contrôle soumis à deux juges différents. Cela semble donc incohérent de demander au Conseil constitutionnel de contrôler la conventionnalité d’une loi ! Aussi, au considérant 12 de sa décision, le Conseil énonce que l’examen d’un grief d’inconstitutionnalité « relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ». C’est une précision qu’il n’avait pas opérée en 1975.

Au considérant 13, le Conseil constitutionnel rappelle une évidence : une fois que le Conseil aura jugé la loi constitutionnelle, rien n’empêchera le juge ordinaire de pratiquer son contrôle de conventionnalité – et le cas échéant de poser une question préjudicielle à la CJUE. Il poursuit en reconnaissant que la priorité peut, dans certains cas spécifiques, être nuancée : Le juge peut statuer sans attendre la réponse de la QPC si la loi prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en urgence. De plus, le juge peut prendre toutes les mesures provisoires et conservatoires.

Enfin, au considérant 16, le Conseil constitutionnel énonce que l’article 88-1 de la Constitution ne signifie pas que violer le Traité de Lisbonne (ou plus généralement un Traité de l’Union européenne) signifie violer la Constitution. Derrière l’article 88-1 de la Constitution ne se cache pas la permission d’un contrôle de conventionnalité déguisé.

Le Conseil d’Etat viendra au soutien du Conseil constitutionnel dans son arrêt du 14 mai 2010, Rujovic. Comme le Conseil constitutionnel, il se met en « roue libre » pour participer à ce dialogue des juges en statuant ultra petita :

« Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge administratif, juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne, en assure l’effectivité, soit en l’absence de question prioritaire de constitutionnalité, soit au terme de la procédure d’examen d’une telle question, soit à tout moment de cette procédure, lorsque l’urgence le commande, pour faire cesser immédiatement tout effet éventuel de la loi contraire au droit de l’Union ; que, d’autre part, le juge administratif dispose de la possibilité de poser à tout instant, dès qu’il y a lieu de procéder à un tel renvoi, en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. »

En définitive, la lecture de la procédure de la QPC par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat permet de garantir l’effectivité du contrôle de conventionnalité et donc la spécificité du droit de l’Union. En effet, La CJUE n’est qu’un élément de l’ordre juridictionnel européen :

« Le droit communautaire reste lettre morte s’il n’est pas dûment appliqué dans les États membres, y compris par les juges nationaux, qui sont par conséquent la clé de voûte du système juridictionnel de l’Union européenne et jouent un rôle fondamental et indispensable dans la création d’un ordre juridique unique européen […] dans le sens d’une participation plus étroite et d’une responsabilisation plus grande des juges nationaux dans la mise en œuvre du droit communautaire. » (Résolution du Parlement européen du 9 juillet 2008 sur le rôle du juge national dans le système juridictionnel européen (2007/2027(INI)).

Cela s’explique par la dynamique de la construction européenne : une dynamique d’intégration (« une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Union »). Aussi, la CJUE a-t-elle consacré l’applicabilité directe du droit européen et sa primauté sur l’ensemble du droit national (CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos c. Administration fiscale, aff. 26/62, Rec., p. 1, et CJCE, 15 juillet 1964, Flaminio Costa c. ENEL, aff. 6/64, Rec., p. 1141), ainsi que l’obligation pour le juge national de laisser inappliquée toute disposition interne contraire au droit de l’Union européenne (CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances c. Simmenthal, aff. 106/77, Rec., p. 629). Or, le mécanisme de la QPC permet de garantir ces exigences puisqu’il ne jouit que d’une priorité procédurale et ne constitue pas un blocage du contrôle de conformité des lois au droit européen : le juge national peut toujours écarter la loi contraire au droit de l’Union.

Il convient maintenant d’examiner la réponse de la CJUE à la question préjudicielle que lui a posée la Cour de cassation, et de constater que si le caractère prioritaire de la QPC n’est en principe pas contraire aux exigences du droit de l’Union, il doit être nuancé dans certains cas spécifique.

II – Le point de vue de l’Union européenne : l’absence de caractère absolu de la « priorité » de la procédure QPC

La CJUE était confrontée à deux lectures de la procédure QPC, celle de la Cour de cassation d’un côté et celle du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel de l’autre. Il faut dès à présent relever que, pour la CJUE, se prononcer sur la validité au regard du droit de l’Union européenne d’un mécanisme constitutionnel précisé par une loi organique est lourd de sens et pouvait être perçu comme une intrusion dans la sphère la plus solennelle du droit national.

Dans son arrêt de Grande chambre du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, la CJUE n’invalide pas le principe de la procédure QPC. Toutefois elle prononce deux réserves quant à son caractère prioritaire. D’une part, si le juge estime devoir saisir la CJUE d’une question préjudicielle en interprétation ou en appréciation de validité, il doit pouvoir écarter le caractère prioritaire de la QPC (A). D’autre part, le juge national devra écarter le caractère prioritaire de la QPC s’il estime devoir transmettre une question préjudicielle à la CJUE concernant la conformité d’une directive transposée au droit de l’Union européenne (B).

 A – La faculté pour le juge national d’écarter la priorité de la QPC

La CJUE juge que serait incompatible avec le droit de l’Union européenne, toute disposition du droit interne qui ferait obstacle à la pleine efficacité des normes du droit de l’Union européenne. Aussi, serait inconventionnel un dispositif qui paralyserait le contrôle de conventionnalité du juge ordinaire et lui empêcherait de poser une question préjudicielle à la CJUE. La CJUE énonce donc deux principes.

D’une part, au §52 de son arrêt, elle pose le principe selon lequel, afin d’assurer la primauté du droit de l’Union, le juge national doit être libre de saisir, à tout moment de la procédure, et même à l’issue du contrôle de constitutionnalité, la CJUE de toute question préjudicielle qu’il trouve nécessaire.

D’autre part, au §53, elle précise que si le droit national prévoit une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité qui empêcherait le juge national de laisser immédiatement inappliquée une disposition législative qu’il estime contraire au droit de l’Union, le juge doit rester libre d’adopter toute mesure nécessaire pour assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et de laisser inappliquée, à l’issue de la procédure incidente, ladite disposition législative s’il la juge contraire au droit de l’Union.

La procédure QPC est donc conforme au droit de l’Union :

  • Si elle n’empêche pas le juge national de saisir la CJUE d’une question préjudicielle avant comme après sa mise en œuvre. Le caractère prioritaire de la QPC est donc mis en échec. Mais, cela reste une simple faculté [et non une obligation], ce qui permet au juge national de transmettre la QPC avant de poser une question préjudicielle à la CJUE.
  • Si elle n’empêche pas le juge national de prendre des mesures provisoires permettant d’assurer la protection juridictionnelle des droits conférés par l’Union.
  • Enfin si elle n’empêche pas le juge national de laisser inappliquée toute disposition nationale qu’il estime contraire au droit de l’Union.

Au final, peu importe la chronologie, l’important reste que le droit de l’Union soit respecté et que le contrôle de conventionnalité soit efficace.

Suite à cet arrêt de la CJUE, la Cour de cassation a décidé de ne pas renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel. Elle a ainsi exprimé un ordre de priorité inédit : La priorité revient à la conformité de la disposition au droit de l’Union, et en cas de non conformité, aucune QPC ne pourra être transmise. Cela s’explique par le fait que la Cour de cassation n’avait pas la possibilité d’adopter des mesures provisoires permettant d’assurer au moins provisoirement la protection juridictionnelle des droits de l’Union.

B – L’obligation pour le juge national d’écarter la priorité de la QPC

Toujours dans son arrêt du 22 juin 2010, la CJUE énonce qu’il existe, dans certains cas, une obligation pour le juge national d’écarter la priorité de la QPC. C’est le cas lorsqu’une loi se borne à transposer une directive impérative, puisque celle-ci est considérée comme transparente. En effet, la loi et la directive sont alors identiques dans leur contenu. Or, il ne revient pas au Conseil constitutionnel de juger des directives, mais exclusivement à la CJUE. Cela revient à écarter la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel selon laquelle il n’est pas compétent pour contrôler la constitutionnalité d’une disposition législative qui se contente de tirer les conséquences d’une directive de l’Union européenne qui est inconditionnelle et précise (il revient au juge de l’Union européenne de contrôler que la directive respecte bien les droits fondamentaux garantis par le TUE), sauf si est en cause une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France (Décision n°2004-496 DC du Conseil constitutionnel du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique).

La CJUE cherche à éviter que le Conseil constitutionnel puisse censurer une loi transposant une directive impérative, puisque cette situation empêcherait les juridictions ordinaires de la saisir d’une question préjudicielle en appréciation de validité pour qu’elle se prononce sur la validité de la disposition contestée au regard du droit de l’Union.

Par conséquent, la CJUE exige qu’avant le contrôle incident de constitutionnalité, les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnels internes, soit tenues d’interroger la CJUE sur la conformité de la loi de transposition d’une directive inconditionnelle. Par exception au principe, si une juridiction du fond est saisie d’une QPC portant sur une loi de transposition d’une directive inconditionnelle, alors la saisine de la CJUE d’une question préjudicielle en validité n’est plus qu’une faculté et non une obligation.

Selon la jurisprudence classique du Conseil constitutionnel, sa compétence est extrêmement limitée en ce qui concerne les lois de transposition (« qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises »). Dans sa décision QPC du 17 décembre 2010, le Conseil constitutionnel réaffirme le principe dans le cadre de la procédure QPC, ce qui signifie que les requérants ont deux choix. Ils peuvent respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel et ainsi démontrer que la loi de transposition est contraire à une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, mais ils peuvent aussi choisir de respecter la jurisprudence de la CJUE et demander à ce que soit posée une question préjudicielle à la CJUE avant qu’une éventuelle QPC ne soit transmise au Conseil constitutionnel en ce qui concerne une loi de transposition d’une directive.


Par Noëmie Hervé,

Master 2 droit des contentieux publics à Cergy (2013/2014),
en Préparation aux concours administratifs à l’IPAG de Rennes.



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2 réponses

  1. Merci pour ces éclairages nécessaires pour ceux qui ne pratiquent pas le droit public… Mais la décision du 4 avril 2013 du Conseil constitutionnel, dans laquelle il accepte de former une question préjudicielle, ne change pas l’état du droit? Et en particulier l’obligation de rejeter la priorité d’une QPC lorsqu’est en cause une loi de transposition qui reprend de manière inconditionnelle et précise les dispositions d’une directive?
    Merci d’avance.

  2. Dans sa décision QPC du 4 avril 2013, le Conseil devait contrôler la constitutionnalité d’une disposition du code de procédure pénale (CPP) au regard de l’article 88-2 de la constitution. Or, la disposition du CPP ne faisait que reprendre une décision-cadre de juin 2000, et l’article 88-2 de la constitution disposait que « La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l’Union européenne ».
    Pour contrôler la constitutionnalité de la disposition du CPP, le conseil constitutionnel devait donc vérifier qu’elle respectait bien l’article 88-2 de la constitution. Mais, le Conseil n’est pas compétent pour interpréter le droit de l’Union, seule la CJUE peut le faire (par le biais d’une réponse à une question préjudicielle en interprétation). En réalité, ici la constitution était presque « transparente », et pour que la loi soit constitutionnelle il fallait qu’elle respecte le droit de l’Union (en raison de l’article 88-2 de la constitution). Le Conseil a donc posé une question à la CJUE pour lui demander d’interpréter l’accord-cadre, afin qu’il puisse vérifier si les dispositions légales lui étaient bien conformes. Mais, ici le Conseil n’effectue pas un contrôle de conventionnalité de la loi, mais bien un contrôle de constitutionnalité de celle-ci (la conformité de la loi à l’accord-cadre conditionnant sa constitutionnalité). En d’autres termes, l’interprétation de la décision-cadre est un préalable nécessaire au contrôle de constitutionnalité qu’effectue le Conseil.
    A mon sens donc, cette décision ne remet pas en cause l’office du juge constitutionnel, ni la priorité de la QPC. Simplement, il s’agit de la première question préjudicielle que le Conseil ait posée à la Cour de justice.

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