Le Sénat, une simple chambre d’enregistrement ?

Profitant du changement de coloration politique du Sénat, le groupe socialiste a présenté une proposition de loi visant à rendre obligatoire la scolarité dès l’âge de 3 ans. Le gouvernement, étant opposé à cette idée, invoqua l’article 40 de la Constitution. Celui-ci dispose qu’une proposition de loi est irrecevable si elle induit une charge financière supplémentaire pour l’Etat. Les débats ont alors été vifs. Reprenant ce qui semblait être le fond de la pensée du Ministre Luc Chatel, le sénateur David Assouline s’exclama : « vous venez de dire qu’un Sénat quand il est à gauche, n’a plus la parole ». Outre la syntaxe, cette exclamation mérite d’être critiquée, ou tout du moins discutée.

L’existence du Sénat n’était pas une évidence par le passé. En 1946, il perdit son nom pour devenir le Conseil de la République. Nous dûmes attendre 1958 pour qu’il retrouve son nom et une place importante parmi les institutions républicaines. L’évolution qui fut la sienne reflète les questionnements qui ont eu lieu sur le thème du bicamérisme. Bien avant 1946 et 1958, les tenants du monocamérisme s’opposèrent aux promoteurs du bicamérisme. Ainsi, on se souvient de l’intervention de Georges Clémenceau, sénateur de 1902 à 1920. « Pendant une partie de ma vie, plus près de l’histoire que de la réalité, j’ai eu foi en la chambre unique, émanation directe du sentiment populaire. J’en suis revenu. Les évènements m’ont appris qu’il fallait donner au peuple le temps de la réflexion : le temps de la réflexion, c’est le Sénat ». Repris ensuite par Alain Poher à plusieurs reprises lors de son discours de fin de législature en 1977, ce qualificatif de chambre de réflexion resta attaché au Sénat. Dès lors, on opposa aux élans débridés que Marcel Prélot prêtait à l’Assemblée nationale, la sagesse et la réflexion que Clémenceau reconnut au Sénat.

La relation entre les deux chambres composant le Parlement a toujours été particulière. Le bicamérisme introduit dans tout système un lien complexe entre les deux assemblées. On peut distinguer selon que le bicamérisme est inégalitaire ou égalitaire. La première proposition veut que les deux assemblées ne soient pas placées sur le même plan par la Constitution. L’une des deux détient plus de prérogatives que la seconde chambre, ce qui permet d’éviter un blocage de la procédure législative. On retrouve ce système en Allemagne, en Angleterre ou encore en France. A contrario, le bicamérisme égalitaire implique que les deux chambres aient les mêmes pouvoirs. Aucune des deux ne doit pouvoir imposer sa volonté à l’autre assemblée. On peut voir des exemples de ce système en Italie ou en Belgique avant 1993. Toutefois, cette relation n’est pas un binôme mais « un jeu à trois » selon Didier Maus. Le gouvernement, dans son rôle d’initiateur des textes législatifs, dispose d’une influence capitale dans le bon fonctionnement du mécanisme. Il est notamment très présent au sein des conférences déterminant l’ordre du jour des assemblées. Enfin, la Constitution lui confère des compétences lui permettant de faire aboutir les projets ou propositions de loi quand cela parait justifié.

Concernant le rôle propre au Sénat, on peut se remémorer le discours de fin de législature de 1977 d’Alain Poher. Il martela ceci : « le Sénat ne sera jamais une chambre d’enregistrement », puis continua en considérant que « le Sénat est d’abord et avant tout une chambre de réflexion ». L’application de cette sagesse au travail législatif signifie que l’on puisse s’opposer ou modifier les textes qui paraissent inopportuns ou inadéquates. Cette assemblée de sages doit donc être en mesure de censurer les textes dès lors qu’elle estime cela nécessaire. Or, et on va le voir, le Sénat ne peut pas bloquer la procédure législative.

Comment le Sénat peut-il s’opposer aux textes qui lui sont soumis ? Si le Sénat est une chambre de réflexion, il doit pouvoir s’opposer à certains textes. Quelles sont les modalités de cette opposition ?

Selon Didier Maus, « il y a une réalité : l’impossibilité de contourner le Sénat ». Pourtant il n’a pas le pouvoir de bloquer la procédure législative. Messaoud Saoudi (maitre de conférences à Lyon) soutient que « le Sénat considère le temps d’avantage comme un allié que comme un ennemi ». Il est vrai que la principale arme du Sénat face au bloc majoritaire est la temporisation de la procédure (I). Cependant, cette procédure est « un jeu à trois », il faut aussi prendre en considération les prérogatives du gouvernement au sein de la Haute assemblée. Bien que son pouvoir soit certain, on va pouvoir constater que l’influence du pouvoir exécutif est relative (II).

I. L’arme du Sénat : la temporisation de la procédure

La vie parlementaire s’est accélérée et la charge de travail a augmenté selon une même courbe. Cette évolution est liée au rôle du gouvernement qui a fait de la loi son outil principal pour réagir face aux situations. Dès lors que l’on presse le Parlement de voter les lois rapidement, l’arme la plus efficace du Sénat est la temporisation de la procédure législative. Il ne peut bloquer la loi, donc il freine sa conception. On parle de politique d’obstruction. Pour cela, il dispose d’armes usuelles (A), comme l’amendement et les motions de procédure, mais aussi d’armes spéciales (B).

A. Les armes usuelles : amendements et motions

Ce sont les articles 48 à 50 du règlement du Sénat à propos des amendements et les articles 44 et 45 du règlement pour les motions de procédure. Ces dispositions visent à encadrer des prérogatives qui sont offertes aux sénateurs, afin d’éviter les excès et les abus. Toutefois, il n’a pas été question de restreindre leur efficacité en tant qu’éléments usuels de la politique d’obstruction.

Aucune définition de la notion d’amendement n’est clairement donnée par la Constitution ou le règlement du Sénat. Ce dernier, à son article 48, dispose simplement que les amendements doivent remplir certaines conditions : document écrit, signature d’un des auteurs, sommairement motivé, déposé sur le Bureau du Sénat en vue de sa transmission à la commission et de sa publication. Toutefois, si cette dernière condition n’est pas remplie, l’amendement peut tout de même être examiné en séance publique. Enfin sur le fond, il doit s’appliquer au texte, ce qui signifie avoir un lien même indirect avec celui-ci en première lecture, et un lien direct en deuxième ou troisième lecture.

Ce pouvoir est amplement mis en œuvre par les sénateurs. Pour exemple, en 1986, le Sénat eut à se prononcer sur la loi relative à la liberté de communication. 1580 amendements furent déposés à cette occasion. Pour chaque amendement, on peut distinguer quatre orateurs : l’auteur de l’amendement, un sénateur opposé à l’amendement, la commission et le gouvernement. Chaque intervenant dispose de cinq minutes à la tribune. Aucune explication de vote n’est autorisée par la suite. Cela signifie que, concernant cette loi de 1986, plus de 131 heures ont été nécessaires afin d’entendre chaque orateur, soit plus d’une semaine. A cela il faut encore ajouter l’organisation du vote et son déroulement, ce qui ralentit encore d’avantage la procédure législative. En 1986, on put compter 8 552 amendements déposés, dont 900 adoptés, soit 10%. En 2008, un peu moins de 7 000 amendements furent déposés. En 2010-2011, 8 337 amendements furent déposés, dont 7 000 par les seuls groupes parlementaires. Par cette prérogative, on peut donc voir que le Sénat peut ralentir le temps législatif. Selon l’expression de Jean Mastias (maitre de conférences à Paris I), « La capacité d’obstruction se déploie ». Pour le gouvernement, le risque est double : la dénaturation du texte et l’abandon par impatience.

Pour ralentir et ainsi tenter de décourager le gouvernement, le Sénat dispose d’autres outils : les motions de procédure. L’article 44 du règlement du Sénat distingue quatre motions de procédure :

  • L’exception d’irrecevabilité. Il s’agit de dénoncer la non-conformité d’une disposition débattue vis-à-vis d’une norme constitutionnelle, législative ou réglementaire. Elle entraine le rejet du texte si elle est adoptée.
  • La question préalable. Il s’agit de s’opposer à l’ensemble du texte ou de cesser la délibération. Son adoption entraine le rejet du texte.
  • La motion préjudicielle ou incidente. Il s’agit de « subordonner un débat à une ou plusieurs conditions en rapport avec le texte en discussion ». Le débat sera repoussé tant que les conditions n’auront pas été remplies.
  • Le renvoi en commission. Les sénateurs estiment au travers de cette motion que le rapport de commission n’est pas complet ou constate son manquement. La sanction est la suspension du débat et le renvoi en commission.

Les deux dernières motions (motion préjudicielle et renvoi en commission) ont une portée un peu moins importante en ce qu’elles ne peuvent porter sur les textes inscrits à l’ordre du jour prioritaire du gouvernement, contrairement à la question préalable et à l’exception d’irrecevabilité. Chacune ne peut être sollicitée qu’une seule fois au cours d’un même débat. Cependant, elle nécessite l’organisation d’un vote. En cas d’adoption, la procédure sera retardée. La fin de l’article 44 précise que quatre orateurs peuvent prendre la parole durant quinze minutes. Il s’agit de l’auteur de la motion, d’un sénateur opposé à la motion, de la commission et enfin du gouvernement. Ensuite, le représentant de chacun des cinq groupes parlementaires dispose de cinq minutes pour les explications de vote. En cas d’adoption de la motion, le débat sur la loi sera reporté. Le risque alors est l’enterrement de la loi. Ainsi, le 10 mai 2001, une loi relative aux magistrats des chambres régionales des comptes a été soumise au débat sénatorial. Elle ne fut adoptée qu’en novembre 2001, suite à une modification en faveur du Sénat.

B. Les armes spéciales : l’ordre du jour et la prise de parole

L’ordre du jour du Sénat est fixé par la Conférence des présidents. Elle réunit le Président du Sénat, les vices présidents, les présidents de commissions permanentes, les présidents de commissions spéciales, les présidents de groupe ainsi que les ministres intéressés. Cette conférence est régie par l’article 29 du règlement du Sénat. Le calendrier mensuel est divisé en quatre semaines, et la conférence a pour mission de programmer l’étude des lois. Depuis la réforme du 23 juillet 2008, deux semaines sont consacrées aux projets de loi, une semaine aux propositions de loi. La dernière semaine permet le contrôle et l’évaluation de l’action du gouvernement. Dès lors que le gouvernement n’est plus le maitre incontesté de l’ordre du jour, il existe une véritable négociation de l’ordre du jour. Ainsi, les sénateurs peuvent empêcher l’inscription à l’ordre du jour d’un projet ou d’une proposition de loi, ce qui repousse son examen de plusieurs semaines. De même, si le gouvernement veut à tout prix faire voter un texte avant la fin de la semaine, alors même que l’ordre du jour est déjà saturé, il est possible que le Sénat lui refuse cela. Ce fut le cas en 1984, lorsque Etienne Dailly rappela au ministre Labarrère que « quant aux horaires, dès lors que nous siégeons les mardi, jeudi et vendredi, c’est à nous de décider si nous tenons ou ne tenons pas d’autres séances ». Le texte en question fut finalement retiré par le gouvernement. Cet épisode montre bien à quel point la politique d’obstruction via l’ordre du jour peut être efficace.

Néanmoins, une fois le texte inscrit à l’ordre du jour, son examen débute par une discussion générale. L’article 42-5 du règlement du Sénat dispose ainsi que « après la clôture de la discussion générale, le Sénat passe à la discussion des articles ». Cette discussion générale permet à chaque sénateur, ayant préalablement demandé la parole au Président de séance, de partager durant 45 minutes son point de vue sur l’opportunité de la loi, sur la justification de la loi, … Cette étape précède l’examen article par article. Cependant, les sénateurs ont remarqué qu’aucune limite n’a été fixée quant à la durée de la discussion générale. Il est simplement dit qu’une fois cette phase achevée, la deuxième phase débute. Il a alors été pensé à une pratique notamment utilisée aux Etats Unis, qui est le filibustering. Le 19 septembre 1991, une loi relative au mode d’élection des sénateurs fut présentée au Sénat. En plus de Jacques Larché, rapporteur, 80 sénateurs s’inscrivirent afin de prendre la parole. Si chacun avait pris la parole, un peu moins de 61 heures auraient été nécessaires. Le texte fut finalement retiré. Le Sénat a le pouvoir de temporiser dans son palais, ce qui est une arme redoutable. Oui le Sénat n’a pas le pouvoir de bloquer la procédure législative, mais il peut tellement la temporiser, la retarder qu’il vient à bout de la patience du gouvernement. Arnaud Tardan considère qu’il s’agit d’une « sorte de véto exercé par le Sénat grâce à une habile temporisation ». Cette qualification de véto peut toutefois paraitre excessive et, de ce fait, injustifiée.

« Au prix d’un peu de patience, le gouvernement peut toujours la faire aboutir ». Arnaud Tardan, évoquant ici la procédure législative, met en avant le fait que l’absence d’un pouvoir de véto est compensée par d’autres procédures parlementaires. En effet, la temporisation exercée par les sénateurs provoque une nuisance tout aussi dérangeante. Cependant, le gouvernement bénéficie d’un certain pouvoir au Sénat, bien que différent de celui qu’il détient à l’Assemblée nationale. Une relative influence du gouvernement fait que ce Sénat n’est pas entièrement souverain en son palais.

II. L’influence relative du gouvernement

Contrairement à son rôle à l’Assemblée nationale, le gouvernement a peu de pouvoir sur le déroulement de la procédure législative au Sénat. La Haute assemblée est entrée, bien que plus tardivement que l’assemblée du Palais Bourbon, dans le fait majoritaire. Il subit donc une influence certaine mais relative du pouvoir exécutif (A). Ce portrait risquerait de pêcher par excès si nous ne montrions pas que la règle reste le consensus, l’entente. La sauvegarde d’une bonne relation reste un gage d’efficacité (B).

A. L’influence indirecte du pouvoir exécutif

Quand le gouvernement veut forcer le vote des députés, il dispose d’instruments très persuasifs, tels que l’article 49 de la Constitution (hormis le 49-4). Devant le Sénat, ces outils ne sont d’aucune utilité puisque la Constitution les confère au pouvoir exécutif pour les exercer devant l’Assemblée nationale. Toutefois, le gouvernement peut restreindre le temps de débat en usant de la procédure accélérée, ancienne procédure d’urgence. De la même manière, il peut interrompre les débats en demandant l’intervention d’une commission mixte paritaire, voire du dernier mot de l’Assemblée nationale.

La procédure de l’article 44-3 de la Constitution permet de soumettre le texte de loi à un seul et unique vote. Cet article dispose ainsi que « si le gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement ». En réalité, on peut aussi ajouter les amendements débattus en commission. Si le gouvernement estime que le Sénat ralentit de manière excessive la procédure ou s’il a besoin d’un vote rapide, il peut réduire le débat parlementaire d’une assemblée à un seul vote. Si l’aspect fort peu démocratique de cette pratique n’est pas notre sujet, il apparait que cette procédure est d’usage courant. Ainsi, sur la période 1963-1968, le gouvernement eut recours à cette procédure 71 fois. Durant la législature 1993-1994, un texte de loi sur cinq était examiné suite à la mise en œuvre de cette procédure. En 2008, cette procédure fut utilisée à l’encontre de 28 propositions ou projets, et seulement 18 en 2010. Cette manière d’agir réduit les pouvoirs du Sénat en ce qu’il ne pourra pas faire valoir ses amendements devant les députés. La majorité des projets de loi sont déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale, ce qui implique que le Sénat vote sans que les amendements sénatoriaux ne puissent être examinés par les députés, en cas de procédure accélérée. C’est notamment pour cela que le Sénat n’apprécie guère cette pratique. Son influence est réduite à l’enregistrement d’un texte. Il faut tout de même rappeler que les conférences des présidents peuvent s’opposer à cette procédure. Cette situation ne s’est réalisée qu’une seule fois, ce fut à propos de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales.

L’article 44-3 de la Constitution a une seconde conséquence. Si les deux assemblées ne se sont pas accordées sur le même texte dès la première lecture, une commission mixte paritaire est réunie. Ordinairement, elle n’intervient qu’en cas de désaccord suite aux deux lectures. L’article 45 de la Constitution dispose qu’il s’agit d’une faculté du premier ministre ou des présidents des deux assemblées réunis, cela induit qu’il n’y a aucune obligation. La Commission mixte paritaire est composée de sept membres de chaque assemblée, désignés par leurs pairs. Ils ont la charge de trouver un terrain d’entente et de rédiger un texte dont on espère qu’il sera adopté par le parlement. En cas de désaccord persistant ou en cas d’échec de la Commission mixte paritaire, le premier ministre a la possibilité de demander à l’Assemblée nationale de se prononcer en dernier lieu. Reprenant son texte ou celui de la commission, les députés ont le dernier mot. C’est l’article 45 de la Constitution qui fonde le bicamérisme inégalitaire français. En cas de désaccord entre les chambres, c’est l’Assemblée qui aura autorité. Entre 1963 et 1968, le gouvernement eut recours à cette procédure pour 45% des textes, alors que durant la période 1974-1980, ce taux chuta à 0,8%. En 1981, il atteignit 26%, et ce jusqu’en 1986. Cela représente 140 lois. Durant la législature 1986-1987, ainsi que 2008-2009, il n’y eu aucune application de la procédure. Cette procédure permet de voir que le Sénat n’a pas de pouvoir de véto du fait du dernier mot revenant à l’Assemblée, mais les statistiques montrent que son utilisation dépend des relations qu’entretient le Sénat avec le gouvernement.

Enfin, ces deux procédures ne peuvent être exercées au moment de l’examen des lois organiques et constitutionnelles, puisque la Constitution exige le vote des deux chambres dans les mêmes termes. L’article 46 prévoit qu’en cas de désaccord persistant, les députés peuvent se prononcer en dernier lieu seulement s’ils votent la loi à la majorité absolue. Au surplus, le gouvernement peut décider de recourir au référendum constitutionnel. Ce fut le cas en 1962, ce qui créa des tensions importantes entre le Sénat et le Président de la République, ainsi que son gouvernement. Il n’existe pas de pouvoir de véto concernant ces textes.

L’utilisation par le gouvernement des outils que lui confère la Constitution doit néanmoins se faire avec raison et non par impulsion. Le bon fonctionnement des mécanismes institutionnels supposent une bonne relation entre les acteurs.

B. La sauvegarde d’une bonne relation, un gage d’efficacité

L’histoire sénatoriale de la Vème République montre que, dès lors que le Sénat est choyé, il agit avec efficacité. Le pouvoir de blocage de la procédure législative du Sénat est une problématique qui ne se réalise qu’en raison des tensions entre le pouvoir exécutif et le Sénat. C’est la raison pour laquelle il fut qualifié de « systématiquement hostile » durant les années 1960. Sur les 71 procédures accélérées de la période 1963-1968, le Sénat en rejeta 56. Au contraire, durant la période 1974-1981, le gouvernement a prêté une attention soutenue aux sénateurs, notamment par les multiples déclarations de politique générale devant la Haute assemblée. De la même manière, le premier ministre ne sollicita à aucun moment la procédure du dernier mot des députés au cours de la législature 1986-1987, et une seule fois en 1993-1994. Ces périodes sont remarquables en ce que le mécanisme législatif ne se bloqua que de manière exceptionnelle. De plus, le Sénat se sent essentiel à la procédure législative, il s’estime utile en tant que chambre de réflexion quand ses amendements sont repris et votés par l’Assemblée nationale. Durant la première législature, 25% des amendements ont été repris alors qu’en 1986-1987 ou en 1993-1994, 85 à 90% des amendements furent repris. Alain Poher évoqua « une réactivation du bicamérisme ».

A la question de savoir si le Sénat peut bloquer la procédure législative, il faut se demander quelles seraient les raisons de le faire dès lors qu’une entente constructive s’est instaurée entre les trois institutions concernées. Aucune, il n’y aurait aucune raison de le faire. Comme le rappelle Patrick Le Lidec, « l’efficacité des instruments à disposition du gouvernement repose plutôt sur la rareté relative de leur usage ». En effet, plus le gouvernement va utiliser ses pouvoirs au Sénat, et moins les sénateurs seront enclins à aider le pouvoir exécutif. Il y a une recherche du compromis, il doit y avoir une recherche du compromis. Les désaccords se règlent ainsi le plus souvent au sein de la Commission mixte paritaire. Cette dernière permet de trouver un accord et d’éviter le recours à la procédure du dernier mot. Pascal Jan en vint à constater ceci : « le procédure du dernier mot a concrètement disparu ». Cela induit que, bien que la Constitution instaure un bicamérisme inégalitaire en droit ; dans les faits, un bicamérisme égalitaire s’est mis en place. Cette situation est tout de même fragile car un changement politique ou un incident politique suffirait à instaurer un climat d’hostilité. A ce propos, on a pu voir que le changement de majorité au Sénat crée lentement des tensions. En effet, les sénateurs ont voté une loi revenant sur un texte voté par la majorité sénatoriale précédente, à propos des intercommunalités. Le choix des sénateurs de ralentir ou non la procédure législative dépend désormais des appartenances politiques.

On a parlé de bicamérisme, on a parlé d’opposition ou de composition entre le Sénat et le bloc majoritaire, Assemblée nationale et gouvernement. Avec l’apparition du fait majoritaire et avec sa propagation aux sénateurs, peut-on encore opposer Sénat et Assemblée nationale ? Ne serions-nous pas plus proche de la réalité si l’on opposait la majorité et l’opposition au sein du parlement ? Car désormais les stratégies s’élaborent entre parlementaires du même parti politique, s’efforçant de profiter au mieux des avantages de chaque chambre. Pour imager mon propos, voici une citation de M. Rebsamen, président du groupe socialiste au Sénat, « il faut trouver une articulation entre un groupe qui s’oppose à l’Assemblée et un groupe qui propose au Sénat ». De la même manière, M. Baroin a eu des mots un peu forts à l’Assemblée ces derniers jours à l’encontre de l’opposition à propos des élections sénatoriales.

Enfin, en guise de conclusion, une citation reprise par Nicolas Boileau pourrait parfaitement illustrer le travail du Sénat :

« Hatez vous lentement et,
Sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier
Remettez votre ouvrage »



Catégories :Dissertations, Droit constitutionnel, Droit parlementaire

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2 réponses

Rétroliens

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