Le Conseil d’Etat transmet au Conseil Constitutionnel la QPC relative au caractère public des parrainages pour l’élection présidentielle

Le 22 décembre 2011, Mme Le Pen a saisi le Conseil d’Etat d’une requête tendant à l’annulation du rejet du Premier Ministre d’abroger l’article 7 du décret n°2001-213 du 8 mars 2011 relatif aux modalités de publication des présentations (communément appelées « parrainages ») des candidats à l’élection présidentielle. Ce décret est un décret d’application de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 qui dispose notamment au dernier alinéa du I de son article 3 que : « Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature« . Au soutien de sa demande, Mme Le Pen a présenté un mémoire tendant à la transmission au Conseil Constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de cette disposition. Par une décision n°355137 en date du 2 février 2012, le Conseil d’Etat a transmis cette question au Conseil Constitutionnel.

Mme Le Pen soutenait que ces dispositions étaient contraires à plusieurs droits et libertés garantis par la Constitution. Elle invoquait 4 dispositions constitutionnelles :

  • L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents« .
  • Le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret« .
  • Le dernier alinéa de l’article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation« .
  • L’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie« .

Les dispositions de loi du 6 novembre 1962 avait déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil Constitutionnel n° 76-65 DC du 14 juin 1976. Cependant, Mme Le Pen soutenait qu’un changement de circonstances était intervenu, ce qui légitimait la transmission au Conseil Constitutionnel. Elle soutenait notamment, comme le relève le Conseil d’Etat dans sa décision, que « ce changement de circonstances résulte de ce que le parrainage est devenu un véritable soutien politique, des difficultés du recueil des signatures pour les candidats qui ne sont pas membres des grands partis politiques, des pressions révélées notamment par les médias, du processus de décentralisation et d’intercommunalité, qui accentue la dépendance des maires des petites communes à l’égard des collectivités de grande taille, et de l’introduction du quinquennat, qui modifie les rapports entre les pouvoirs et renforce le rôle des partis politiques« .

En défense, le gouvernement opposait que les conditions prévues pour la transmission d’une QPC n’étaient pas réunies, puisque les dispositions contestées n’étaient pas applicables au litige, qu’aucun changement de circonstances n’était intervenu et que la question n’était ni nouvelle, ni sérieuse.

Le Conseil d’État effectue une vérification de ces conditions. Il remarque en premier lieu que les dispositions de la loi soulèvent une question non dénuée de rapport avec le litige et qu’elles sont bien applicables au litige. Cette solution parait évidente. Le décret n°2001-213 a été pris en application de cette loi. Ainsi, en cas d’abrogation de la loi pour inconstitutionnalité, cette abrogation priverait de base légale le décret qui devrait être abrogé.

Le Conseil d’État reconnait ensuite qu’il y a bien eu un changement de circonstances depuis le contrôle de constitutionnalité effectué par le Conseil Constitutionnel en 1976 : « que si le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 76-65 DC du 14 juin 1976, a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, les changements ayant affecté la vie politique et l’organisation institutionnelle du pays depuis cette date justifient que la conformité à la Constitution du dernier alinéa du I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 puisse être à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel« . Il retient donc l’argumentation de Mme Le Pen sur ce point.

Enfin, et c’est sûrement le point le plus important, le Conseil d’État considère que la question est nouvelle. En effet, il remarque à juste titre que Mme Le Pen invoque le dernier alinéa de l’article 4 de la Constitution sur le pluralisme politique qui a été introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. La question est légitime : si la loi qui impose de publier les parrainages conduit, en pratique, à limiter le pluralisme politique, cette loi n’est-elle pas contraire à la Constitution qui énonce clairement que « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ?

Le Conseil Constitutionnel tranchera cette question très rapidement. En effet, au vu du calendrier serré, le Conseil a publié un communiqué assurant que sa décision sera rendue avant le 22 février, date de l’examen en Conseil des ministres du décret de convocation des électeurs ouvrant le début de la période de recueil des « parrainages » pour l’élection présidentielle.


Pour plus d’informations :



Catégories :Actualités, Contentieux constitutionnel, Droit constitutionnel

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2 réponses

  1. Très bon article !
    Clair et concis, un délice.

Rétroliens

  1. Les vidéos de la semaine : Conseil Constitutionnel, ENA et Conseil d’Etat « Les Chevaliers des Grands Arrêts

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