Le régime des réclamations ouvertes contre la liste des candidats à l’élection présidentielle

Le 19 mars, le Conseil Constitutionnel a arrêté la liste des candidats à l’élection présidentielle. 10 candidats ont recueilli les 500 présentations nécessaires. Si les conditions relatives à ces « parrainages » sont bien connues, si le feuilleton de la QPC Mme. Le Pen a été très suivi médiatiquement, beaucoup ignorent l’existence d’un recours ouvert contre la liste des candidats. Il est institué par l’article 8 du décret du 8 mars 2001 n°2001-213: « Le droit de réclamation contre l’établissement de la liste des candidats est ouvert à toute personne ayant fait l’objet de présentation. Les réclamations doivent parvenir au Conseil constitutionnel avant l’expiration du jour suivant celui de la publication au Journal officiel de la liste des candidats. Le Conseil constitutionnel statue sans délai. » Par ce décret, le Conseil Constitutionnel applique le rôle qui lui est dévolu par l’article 58 de la Constitution : « Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin. » 4 réclamations ont été déposées cette année : elles ont toutes été rejetées par des décisions du 22 mars 2012. Celles-ci nous en apprennent plus sur le régime juridique de ce recours spécial.

La recevabilité du recours : la décision M. Richard Nowak

M. Nowak a déposé sa réclamation le 21 mars 2012. Néanmoins, celle-ci était manifestement irrecevable. En effet, comme cela est précisé à l’article 8 du décret du 8 mars 2001, seules les personnes ayant fait l’objet d’au moins une présentation peuvent former un recours contre la liste des candidats. On est donc ici dans le cadre d’un recours spécial ouvert uniquement aux candidats évincés, qui fait forcément penser au recours ouvert par la jurisprudence Société Tropic Travaux Signalisation du Conseil d’Etat de 2007.

Les moyens opérants : la décision M. Patrick Bourson

Dans cette deuxième décision, le Conseil Constitutionnel rejette la réclamation de M. Patrick Bourson. Cette fois-ci, ce n’est pas la recevabilité de la réclamation qui est mise en cause (on suppose donc que M. Bourson a reçu au moins une présentation) mais bien l’absence de moyen recevable. En effet, le Conseil Constitutionnel énonce :

«  2. Considérant qu’il appartient au Conseil constitutionnel, lorsqu’il arrête, en application des dispositions du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 susvisée, la liste des candidats à l’élection du Président de la République, de contrôler le nombre et la validité des présentations, de s’assurer de la régularité des candidatures et du consentement des candidats, de constater le dépôt du pli scellé exigé pour leur déclaration de situation patrimoniale et de recevoir leur engagement de déposer, en cas d’élection, une nouvelle déclaration ; que la procédure instituée par les dispositions de l’article 8 du décret du 8 mars 2001 susvisé, qui ouvre à toute personne ayant fait l’objet de présentations le droit de former une réclamation contre l’établissement de la liste des candidats à cette élection, a pour seul objet de permettre aux demandeurs qui s’y croient fondés de contester la régularité de la décision prise au regard des conditions énoncées ci-dessus ;

3. Considérant qu’à l’appui de sa réclamation, M. BOURSON ne formule aucun grief tiré de ce que la liste des candidats à l’élection du Président de la République, arrêtée par la décision du Conseil constitutionnel du 19 mars 2012, aurait été établie dans des conditions contraires à celles énoncées par le paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 susvisée ; que, par suite, sa réclamation doit être rejetée « 

Ainsi, les moyens susceptibles d’être soulevés sont limitatifs : seuls les moyens tirés de la contrariété au paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection au suffrage universel direct du Président de la République sont opérants devant le Conseil Constitutionnel. Ce sont donc les seules conditions relatives aux parrainages qui peuvent être contestées :

  • Les conditions relatives aux personnes compétentes pour donner une présentation ;
  • La condition relative au délai d’envoi au Conseil Constitutionnel des présentations ;
  • La condition selon laquelle doivent figurer des élus d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département ou d’une même collectivité d’outre-mer ;
  • La réalité du consentement des candidats ;
  • La communication, sous pli scellé, d’une déclaration de situation patrimoniale du candidat et de l’engagement d’en déposer, en cas d’élection, une après l’élection et une autre avant la fin du mandat.

Dans la décision Bourson, le Conseil Constitutionnel constate donc qu’aucun moyen tiré de la violation d’une de ces conditions n’est soulevé. Dans des décisions précédentes (décision du 7 avril 2002 Larrouturou et décision du 22 mars 2007 Nekkaz), le Conseil Constitutionnel avait déjà rejeté des moyens fondés sur des faits et non sur les conditions applicables à la liste, mais il n’avait jamais énoncé de façon explicite les moyens opérants. Avec cette décision, sa jurisprudence est donc clarifiée.

La personnalité des moyens : La décision M. Jean-Marie Matagne

La décision Jean-Marie Matagne est intéressante, malgré le rejet qu’elle contient. En effet, M. Matagne a formé, comme en 2002 (à la seule différence des candidats visés), une réclamation au motif que « les candidatures de MM. Nicolas Sarkozy et François Hollande seraient invalides en ce que leur programme ne comporterait pas l’engagement d’abolir les armes nucléaires« . Ce moyen est bien entendu inopérant. Néanmoins, la réclamation pose la question de savoir si un candidat ayant bénéficié d’au moins une présentation peut contester la décision arrêtant la liste non pas en tant qu’elle ne comporte pas son nom mais en tant qu’elle comporte le nom d’un concurrent. La décision du Conseil Constitutionnel n’est pas explicite sur cette question, puisque le considérant est assez obscur (il adopte la même rédaction en 2012 qu’en 2002) :

«  3. Considérant qu’il suit de là que les allégations du requérant, selon lesquelles les candidatures de MM. Nicolas Sarkozy et François Hollande seraient invalides en ce que leur programme ne comporterait pas l’engagement d’abolir les armes nucléaires, ne peuvent être utilement présentées à l’appui d’une réclamation formée, en application de l’article 8 du décret du 8 mars 2001 susvisé, pour contester la régularité de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a arrêté la liste des candidats à l’élection du Président de la République ; « 

La question n’est donc pas tranchée. On peut se demander toutefois si elle ne l’a pas été dès 1969. En effet, dans la décision Ducatel c/ Krivine du 17 mai 1969, le Conseil Constitutionnel avait statué sur une réclamation posée par Louis Ducatel en vertu de l’article 7 du décret n°64-231 du 14 Mars 1964, identique à l’article 8 du décret du 8 mars 2001. Il avait à cette occasion examiné le moyen soulevé : M. Ducatel, candidat inscrit sur la liste et ayant recueilli les parrainages suffisants, contestait l’inscription d’Alain Krivine sur la liste des candidats au motif que celui-ci effectuait alors son service militaire. En effet, l’article L. 45 du Code électoral énonçait alors la règle selon laquelle « nul ne peut être élu s’il ne justifie avoir satisfait aux obligations de la loi sur le recrutement de l’armée« . Le Conseil Constitutionnel a rejeté la réclamation, en estimant que « toute limitation à l’exercice d’un droit civique ne peut s’interpréter que restrictivement » et qu’ainsi M. Krivine, qui avait répondu à l’appel sous les drapeaux, ne pouvait pas être regardé comme n’ayant pas satisfait aux obligations de la loi sur le recrutement de l’armée.

Ainsi, en acceptant d’examiner le moyen et en interprétant la loi de telle sorte, le Conseil a accepté de connaître d’un moyen soulevé par un candidat contre l’inscription d’un autre candidat. On peut donc penser qu’il en va de même pour toute personne à qui la réclamation est ouverte. Ainsi, le recours parait plus ouvert : il suffit d’une présentation déposée au Conseil Constitutionnel pour pouvoir former un tel recours contre n’importe quel candidat autorisé à participer à l’élection présidentielle.

Un exemple ordinaire de réclamation : la décision Corinne Lepage

C’est finalement la décision la plus connue qui apporte le moins d’élément sur le régime des réclamations ouvertes contre la liste des candidats. Dans cette décision, le Conseil Constitutionnel constate seulement qu’il n’a reçu que 476 présentations pour Corinne Lepage et que donc il n’y a pas lieu de vérifier leur validité, le nombre étant de toute façon insuffisant :

 » 3. Considérant que ne peuvent figurer sur la liste des candidats à l’élection du Président de la République que les personnes ayant fait l’objet d’au moins cinq cents présentations par les citoyens élus habilités ; que quatre cent soixante-seize présentations de la candidature de Mme Corinne LEPAGE à l’élection du Président de la République ont été adressées au Conseil constitutionnel dans le délai prévu par le deuxième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 susvisée ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner la validité de ces présentations, la requête de Mme LEPAGE doit être rejetée « 

Vers une procédure de réclamation impartiale ?

La précision du régime juridique par les 4 décisions du 22 mars 2012 permettent de s’interroger sur l’intérêt même de cette procédure. Le Conseil Constitutionnel est-il vraiment impartial lorsqu’il statue sur les réclamations déposées devant lui ? Il serait illusoire de considérer que la procédure de réclamation constitue un véritable recours juridictionnel. Il s’agit tout au plus d’un recours gracieux auprès de l’autorité qui a pris la décision d’arrêter la liste des candidats. La limitation des moyens opérants est opportune mais en réalité renforce cette absence d’impartialité : seul le Conseil Constitutionnel, à la fois juge et partie, a la possibilité matérielle de contrôler que les conditions relatives aux présentations sont respectées. Aucun juge impartial ne peut en connaître.

Ce régime est-il conforme aux exigences conventionnelles de la Convention EDH ? La question reste en suspens. Mais il apparaitrait intéressant de faire évoluer la formule des réclamations (cela nécessiterait toutefois une réforme constitutionnelle, mécanisme un peu lourd pour modifier un recours utilisé à peine 5 fois tous les 5 ans !). Si le Conseil Constitutionnel pourrait continuer à arrêter la liste des candidats, on peut imaginer le Conseil d’État statuer sur les réclamations, dans les mêmes conditions de recevabilité, de moyens et d’examen que le Conseil Constitutionnel. Ainsi les apparences seraient sauves. Et les suspicions levées. Car la composition politique du Conseil Constitutionnel pourrait poser des questions en cas de non-inscription de certains candidats : l’exemple des réactions qui ont suivi le rejet de certaines candidatures à l’élection présidentielle sénégalaise par le Conseil Constitutionnel local est là pour nous le prouver.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’ensemble des décisions relatives à l’élection du Président de la République depuis 1962 sur le site du Conseil Constitutionnel.



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