Deux mois de formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature

Nous continuons aujourd’hui nos articles sur la formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature avec un nouveau retour d’expérience de la part de Marion Coudurier, auditrice de justice à l’ENM. Cette fois il est question des deux premiers mois de formation à Bordeaux, après les différents stages qui avaient eu lieu au premier semestre 2015.


La promotion 2015 des auditeurs de justice a fait sa rentrée à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) le 24 août 2015 pour sa période de scolarité qui dure jusqu’au 18 mars 2016.

Direction Bordeaux, ville classée au patrimoine de l’UNESCO avec ses cannelés, son vin et les personnes qui disent tout le temps « gavé » (pour les novices, cela veut dire « beaucoup » ou « très ». Exemple : « aujourd’hui, il fait gavé beau »). Aussi, quand vous achetez quelque chose dans un commerce, on vous demande si vous voulez « une poche » (comprendre « un sac »).

Bordeaux

A proximité notamment : le bassin d’Arcachon, la dune du Pilat et les vignes de Saint-Emilion (pour les week-ends où il n’y a pas trop de jugements à rédiger ou alors ceux où vous en avez marre de travailler). 

Comment sont organisés les enseignements  à l’ENM ?

Les enseignements sont dispensés aux auditeurs de justice de 9h à 12h15 puis de 14h à 19h ou 17h15 chaque jour, du lundi au vendredi.

Les enseignements sont répartis en huit pôles (de nombreux enseignements touchant plusieurs pôles) :

  • processus de décision et formalisation de la justice civile,
  • processus de décision et formalisation de la justice pénale,
  • environnement judiciaire,
  • humanités judiciaires,
  • communication judiciaire,
  • administration de la justice,
  • vie économique,
  • dimension internationale de la justice.

Il existe trois formats principaux pour les enseignements.

Les auditeurs de justice sont répartis en directions d’étude (DE) d’environ vingt personnes. Pour la promotion 2015, il y a quatorze DE. (A l’ENM, vous entendrez souvent : « De toute façon, la meilleure DE c’est la mienne. Les enseignants sont super intéressants et les auditeurs très sympas ». En vrai, la meilleure direction d’étude est la DE n°5).

Les directions d’étude sont composées pour représenter des profils les plus diversifiés possibles : des auditeurs issus des différents concours et des anciens professionnels (anciens avocats, juristes, greffiers, greffiers en chef, huissiers de justice, policiers, gendarmes, fonctionnaires, professionnels du secteur public et privé, etc…) ainsi qu’un élève-avocat (l’Ecole Nationale de la Magistrature a conclut un partenariat avec les écoles de formation des barreaux et certains élèves avocats peuvent venir suivre les enseignements de l’école pendant cinq mois).

Les DE sont animées par des magistrats. Certains sont des magistrats qui, après avoir travaillé plusieurs années en juridiction, sont rattachés directement à l’Ecole Nationale de la Magistrature. Ils sont également chargés d’élaborer les séquences d’enseignements correspondant à leur spécialité et à leur pôle. Ce sont les coordonnateurs de formation (CDF).

Ensuite, il y a les magistrats enseignants associés (MEA). Ce sont des magistrats qui sont actuellement en poste en juridiction et qui viennent occasionnellement à l’ENM pour animer des directions d’étude. Ils sont associés à la formation.

Les DE sont préparés en amont par les auditeurs de justice, notamment avec la lecture de fascicules pratiques et de dossiers réels pour lesquels il faudra rédiger des projets de jugement. Les DE comportent généralement deux phases : une phase théorique et une phase pratique.

Lors de la première phase, le magistrat donne un apport théorique sur le thème de la séance avec des exemples qu’il a rencontré en juridiction et répond aux questions des auditeurs de justice. Lors de la deuxième phase, un exercice pratique est réalisé. Souvent il s’agit d’un travail par groupe de cinq auditeurs (par exemple la rédaction de cas pratiques ou d’un projet de jugement par groupe de quatre ou cinq auditeurs) puis d’une restitution par groupe et une correction collective. (A l’ENM, vous entendrez souvent «pour demain, il faut encore que je prépare ma DE » ou « tu as vu, pour demain il y a encore 150 pages à lire pour la DE parquet »).

Certains cours sont organisés en ateliers (regroupement de plusieurs directions d’étude ou regroupement des auditeurs par ordre alphabétique). Il existe enfin des conférences, dispensées simultanément à toute la promotion dans le grand amphithéâtre par des professionnels. Outre les magistrats, il peut s’agir de médecins, policiers ou gendarmes, psychologues, chercheurs, journalistes, économistes, etc.

Quel a été le programme des deux premiers mois de formation ?

 Après quelques conférences, dès la première semaine les directions d’étude commencent. Il s’agit tout d’abord du pénal, à savoir les règles de compétence et les cadres d’enquête pour le procureur de la République ainsi que les règles qui gouvernent la saisine du juge d’instruction.

Lors de la deuxième semaine, au programme notamment de la médecine légale et une journée consacrée à la police technique et scientifique avec des ateliers tels que balistique, explosifs, reconstitution de scène de crime, interprétation des tâches de sang ou recueil des empreintes digitales. Débute aussi l’étude de la fonction de juge des enfants dans son volet « protection de l’enfance » qui est l’assistance éducative. Après une conférence sur le principe de la contradiction, il s’agit également d’entamer les directions d’étude de droit civil et la rédaction du jugement civil.

ENM-police scientifique

Les ateliers police technique et scientifique (photos ENM)

Durant la troisième semaine, après les DE de pénal (la qualification au parquet, la conduite de l’information et les stratégies d’enquête pour le juge d’instruction), deux jours ont été consacrés à la place de la victime dans le procès pénal. Quatrième semaine, il s’agit de voir notamment les principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs ainsi que les modes de saisine du juge des enfants. L’étude de la rédaction du jugement civil se poursuit. La dernière journée est consacrée aux spécificités du recueil de la parole de l’enfant.

La cinquième semaine, ont notamment lieu des directions d’étude instruction (le statut et les droits des parties, les interrogatoires et auditions de partie civile). A été organisé un atelier sur le recueil de la preuve pénale. Les auditeurs de justice ont notamment visionné une vidéo d’environ cinq minutes durant laquelle un homme se rend dans une supérette où il tire sur une femme avec une arme à feu. Immédiatement après, il a été demandé aux élèves magistrats de décrire ce qui a été vu (le déroulé précis de la scène, la description physique de l’auteur et de la victime).

Il était très intéressant de voir que la mémoire, même à court terme, n’est pas très fiable. Cet atelier permet de relativiser la valeur probante des témoignages réalisés dans les enquêtes pénales, surtout lorsqu’ils sont effectués longtemps après les faits. Le dernier jour a été consacré à des ateliers d’éthique et de déontologie.

Durant la sixième semaine, les directions d’étude et atelier sur la rédaction du jugement civil se poursuivent avec notamment l’étude de la motivation et des règles de preuve. Une conférence a été consacrée à la sociologie de la délinquance et une journée aux techniques d’entretien utilisées en procédure pénale ainsi qu’à l’égard des personnes vulnérables.

Durant la semaine suivante, l’étude de la motivation du jugement se poursuit avec un exercice pratique. Sont dispensées également notamment une conférence sur l’expertise civile et une intervention de plusieurs membres du Conseil Supérieure de la Magistrature.

Durant la semaine huit, il ne s’agit presque que de directions d’étude : parquet (le traitement en temps réel), instruction (les interrogatoires et auditions de parties civiles avec de premières simulations d’interrogatoires, les atteintes aux libertés et mesures coercitives), les tutelles et l’autorité parentale. Quelques conférences en droit de la famille sont également organisées (l’évolution de l’autorité parentale et les grandes mutations de la famille).

Zoom sur la fonction de juge des enfants

Juge des enfants est l’une des fonctions qui est proposée à l’issue de la formation aux auditeurs de justice.

Créée en 1945, le juge des enfants traite de deux problématiques qui se rejoignent (comme on le voit dans le film « la tête haute ») : l’enfance en danger (on parle d’ « assistance éducative ») et l’enfance délinquante (contentieux pénal).

Les grands principes qui guident l’action du juge des enfants sont posés par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, notamment la primauté de l’éducatif sur le répressif, l’existence de juridictions et de procédures spécialisées, la recherche de l’intérêt de l’enfant et l’adhésion (autant que possible) des familles.

Au sein du conseil départemental, un service recueille les informations concernant les risques de danger pour les enfants (on parle d’ « information préoccupante »).

En matière d’assistance éducative, le juge des enfants peut être saisi notamment par le procureur de la République (c’est le cas le plus fréquent), les services sociaux, les parents ou le mineur.

Le juge des enfants intervient si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises (article 375 du code civil).

Il peut notamment ordonner une mesure d’investigation afin d’avoir plus d’éléments sur une famille, demander à ce qu’un éducateur vienne en aide à une famille ou encore, si c’est indispensable, placer un enfant.

Antoine Garapon, ancien juge des enfants, explique que le juge des enfants a une fonction tutélaire, c’est-à-dire qu’il s’occupe des personnes en difficulté en prononçant des mesures concernant les autres dans leur personne, ce qui crée une relation singulière entre le juge et la personne à protéger.

Il indique que le juge des enfants va, en écoutant le mineur et sa famille, évaluer la situation puis prendre une décision en associant les personnes concernées à celle-ci. Le but du juge des enfants est, selon ses termes, de « protéger sans diminuer », ce qui constitue un défi énorme pour le juge.

par Marion Coudurier,
auditrice de justice à l’Ecole Nationale de la Magistrature (promotion 2015).


Pour plus d’informations sur l’ENM :



Catégories :Formations / Cursus / Concours, Métiers du Droit

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