La formation à l’ENM : la semaine d’échanges européens

Nous continuons aujourd’hui nos articles sur la formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature avec un nouveau retour d’expérience de la part d’auditrices de justice de la promotion 2015. Cette fois il est question de la semaine d’échanges européens dans le cadre de la formation initiale des magistrats.


Les locaux du bureau de la procureure générale de Bucarest

Les locaux du bureau de la procureure générale de Bucarest

L’Ecole Nationale de la Magistrature propose, dans le cadre d’un partenariat conclu et financé par le réseau européen de formation judiciaire, à certains auditeurs de justice de participer à un échange européen. Il s’agit de partir une semaine dans un pays européen à la rencontre des magistrats, futurs juges/procureurs et formateurs judiciaires des Etats membres de l’Union européenne.

Ensuite, l’Ecole Nationale de la Magistrature accueille durant une semaine à Bordeaux les futurs juges et procureurs européens. Le but est d’appréhender de manière concrète le travail quotidien de nos homologues européens et d’échanger sur les différents systèmes juridiques et les bonnes pratiques.

92 auditeurs de justice de la promotion 2015 sont partis à l’étranger dans le cadre de cet échange du 15 au 22 novembre 2015 dans les pays suivants : Allemagne, Pologne, Roumanie, Belgique, Pays-Bas, Autriche, République Tchèque, Italie, Bulgarie et Slovaquie. 7 auditeurs ont effectué une semaine d’échange en Suisse dans le cadre d’un autre programme.

  • Hortense LEMESLE (HL) a passé sa semaine d’échange aux Pays-Bas.
  • Nawelle BABA-AÏSSA (NB) s’est rendue à Münster, en Allemagne.
  • Marion COUDURIER (MC) a été à Bucarest, capitale de la Roumanie.

Quel a été le programme de votre semaine d’échange ?

HL : Les premiers jours nous avons échangé sur nos différents systèmes civils et pénaux avec les participants à l’échange. Nous avons également eu une introduction au système hollandais. Nous avons eu la chance de visiter Eurojust et la cour pénale internationale. Nous avons également rencontré des juges hollandais en allant dans les tribunaux. J’ai découvert avec étonnement que certaines affaires pénales qui seraient traitées très rapidement en comparution immédiate en France étaient traitées en prenant le temps. J’ai beaucoup apprécié discuter et échanger avec mes homologues européens sur leur pratique, leurs expériences et leurs visions de la justice.

NB : Nous avons commencé par une visite de la ville et nous avons fait la connaissance de nos correspondants allemands, qui étaient juges en fonction. On se rendait régulièrement au « Landgericht » (tribunal de grande instance) pour assister à des audiences, civiles et pénales. Nous avons également fait la visite de la cour d’appel de Hamm, de Düsseldorf (marché de Noël et visite du parlement régional) et d’une prison de Münster.

Une salle du parlement régional de Dusseldorf

Une salle du parlement régional de Dusseldorf

 

MC : Nous avons assisté à des audiences civiles et pénales au tribunal d’instance et à la cour d’appel (où par exemple les magistrats siègent à deux, et non trois comme en France, sauf en cas de désaccord). Nous avons réalisé une simulation de procès civil dans un litige international de garde d’enfants ainsi qu’une simulation de procès pénal avec application d’un mandat d’arrêt européen. Nous avons assisté à des conférences sur la cybercriminalité ainsi que sur l’identification des auteurs de crimes. Nous avons visité l’institut de police technique et scientifique et avons été reçus par la procureure générale de Bucarest. Nous avons également visité le Parlement, deuxième plus grand bâtiment civil au monde. Le dernier jour nous avons échangé sur l’éthique des magistrats en Europe et dans le monde, avec notamment l’intervention d’une juge fédérale américaine.

Pouvez-vous nous expliquer le système de formation des magistrats dans le pays où vous étiez?

HL : La formation hollandaise des magistrats est différente de la nôtre. La durée de la formation varie en fonction des besoins et du parcours antérieures des élèves magistrats. La scolarité peut durer jusqu’à 6 ans. Mais il s’agit d’une formation en alternance. Les élèves sont en juridiction sous la responsabilité d’un maître de stage et se rendent quelques jours par mois à l’école.

Ce qui est intéressant, c’est qu’au Pays Bas, les élèves doivent choisir entre le parquet et le siège de façon définitive car ils ne peuvent pas ensuite passer de l’un à l’autre.

NB : Le système de formation allemand est basé sur la polyvalence. Pour accéder à la magistrature, les candidats suivent une formation commune aux professions juridiques et doivent réussir un examen d’Etat. Ils ne sont pas spécialisés. Ma correspondante, par exemple, était à la fois juge d’instruction et juge d’instance.

MC : le système de formation des magistrats roumains est très proche du système français. Les futurs juges et procureurs passent un concours pour intégrer le NIM, qui est l’équivalent de l’Ecole Nationale de la Magistrature en Roumanie. Ils suivent une année de formation théorique commune avec des enseignements dispensés par des magistrats et la réalisation de simulations d’audience. En fonction de leur classement, ils choisissent entre les fonctions de juge ou de procureur ainsi que la ville dans laquelle ils vont exercer. La deuxième année consiste en une formation pratique dans les tribunaux sous le contrôle des magistrats avant de prendre pleinement leurs fonctions à l’issue des deux ans.

Racontez-nous un événement marquant au cours de votre séjour

HL : Les visites d’Eurojust et de la Cour Pénale Internationale m’ont vraiment marqué. Cela m’a permis de comprendre plus concrètement le dispositif d’Eurojust, son fonctionnement et son utilité. C’était également très impressionnant de découvrir la salle d’audience de la Cour Pénale Internationale et l’ampleur du travail et des recherches accomplies pour un procès.

Le bâtiment d’Eurojust et de la Cour Pénale Internationale

NB : Ce qui m’a frappée, c’est surtout les moyens mis à disposition des magistrats allemands : aucune audience surchargée, des audiences longues et des magistrats qui explicitent beaucoup le sens de leurs décisions.

MC : J’ai été marquée par l’immensité du palais du Parlement (dont nous n’avons pourtant visité que 5%!). Construit en 1984 par Ceausescu, il abrite aujourd’hui la chambre des députés et le Sénat de Roumanie (mais aussi un théâtre et deux abris antiatomiques). Surplombant la ville, le bâtiment de style néo-classique et aux nombreuses colonnes de marbre est gigantesque : 270 sur 240 mètres pour une hauteur de 86 mètres. Il contient 1 100 pièces réparties sur 12 étages, soit 350 000 mètres carrés.

Le palais du Parlement à Bucarest

Quel a été pour vous l’apport de cette semaine d’échange ?

HL : Cette semaine m’a permis d’entrevoir la diversité des pratiques européennes, des systèmes. Elle m’a aussi permis de percevoir que dans certains pays, beaucoup de moyens sont mis à disposition de la justice. Dans certains pays, la cour européenne des droits de l’Homme estime même qu’il y a trop de magistrats !

NB : Cette semaine m’a permis de découvrir un système judiciaire assez différent du nôtre, ce n’est pas tous les jours qu’on l’occasion de se comparer à d’autres pays ! Cela prend une dimension particulière lorsqu’on est sur place et qu’on peut voir concrètement à quoi ressemble une journée d’audience civile ou pénale, questionner des magistrats en fonction sur leurs conditions de travail, ce qu’ils voudraient changer, ce dont ils sont fiers, etc.

MC : Cette semaine a été très enrichissante, autant d’un point de vue humain qu’intellectuel. Elle nous a permis d’échanger avec nos homologues européens sur les différents systèmes juridiques, les différents systèmes de formation des magistrats ainsi les différentes problématiques qui touchent la justice en Europe telles que l’insuffisance de moyens matériels, le manque de magistrats ou encore les délais de jugement souvent trop importants. Il s’agit de l’illustration que malgré nos différences nous avons tous une culture judiciaire commune, à savoir notamment le sens du service public, l’importance des obligations déontologiques ainsi que la primauté du justiciable.


Pour plus d’informations sur l’ENM :



Catégories :Formations / Cursus / Concours, Métiers du Droit

Tags:, , , , ,

4 réponses

Rétroliens

  1. La formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature : 4 mois de scolarité – Les Chevaliers des Grands Arrêts
  2. La formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature : 6 mois de scolarité – Les Chevaliers des Grands Arrêts
  3. Le stage pénitentiaire vu par des auditeurs de justice – Les Chevaliers des Grands Arrêts
  4. La formation à l’ENM : le stage juridictionnel, volet pénal – Les Chevaliers des Grands Arrêts

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.