La formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature : 4 mois de scolarité

Cela fait maintenant plus d’un an que nous suivons les pérégrinations de la promotion 2015 des auditeurs de justice de l’Ecole Nationale de la Magistrature, grâce à Marion Coudurier, auditrice de justice. Elle nous propose ici un retour sur la suite de la scolarité à Bordeaux, entre directions d’études, découvertes des différents métiers et ouverture sur le monde judiciaire.


A la fin du deuxième mois de formation, les auditeurs de justice de la promotion 2015 ont été conviés à la projection en avant-première du film L’Hermine, suivie d’un débat en présence de l’équipe pédagogique de l’ENM ainsi que de son directeur, Xavier RONSIN, du réalisateur du film, Christian VINCENT et d’Olivier LEURENT, magistrat et président de chambre à la cour d’appel de Versailles.

Le film, qui se déroule dans le Pas-de-Calais, met en scène Fabrice LUCHINI en qualité de président de cour d’assises particulièrement rigide et sévère.

 Il doit présider une session où un homme est mis en cause pour avoir frappé à mort son bébé. L’un des jurés tirés au sort se trouve être une femme dont il était amoureux plus jeune et qu’il avait perdue de vue, incarnée par Sidse Babett KNUDSEN (qui a obtenu en 2016 le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour sa contribution dans ce film).

 Faut-il condamner ce père, complètement mutique durant les débats, à une lourde peine de réclusion criminelle pour avoir tué son enfant ? Le rôle des différents acteurs du procès pénal est très bien illustré : prévenu, avocat général, président, magistrats professionnels et jurés, greffier.

 Ce film soulève différentes questions telles que la notion de vérité judiciaire ou encore la tension omniprésente de la cour d’assises, juridiction au combien particulière où les débats sont oraux et où, à chaque parole, le verdict, et avec lui la vie de plusieurs personnes (celle de l’accusé mais aussi de sa famille, celle de la victime et de ses proches quand elle est présente), peut basculer.

Conduire les débats ainsi que les retrouvailles avec cette femme vont permettre à Fabrice LUCHINI de se trouver lui aussi changé par ce procès et de regagner en humanité.

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Après les deux premiers mois de scolarité qui ont débuté le 24 août 2015 (voir article correspondant), la formation théorique de la promotion 2015 des auditeurs de justice à l’Ecole Nationale de la Magistrature se poursuit jusqu’aux vacances de Noël 2015.

Vue de la cour de l’ENM

A gauche, la tour des Minimes qui a notamment servi à enfermer et torturer des personnes uniquement parce qu’elles étaient juives ou homosexuelles et qui est là pour rappeler aux auditeurs de justice qu’être magistrat signifie toujours respecter les règles du procès équitable (propos tenus par Xavier RONSIN, le 2 février 2015, lors de l’accueil de la promotion 2015).

Si comme moi ami parisien, ou tout du moins nordiste, vous vous êtes dit « je vais vivre six mois à Bordeaux, le sud, il fait beau, c’est trop bien », c’était une grave erreur. Vous avez imaginé boire un verre de Saint-Emilion ou d’Entre-deux-mers sur une terrasse ensoleillée après les conférences ; vous finirez à manger des planches de charcuterie et de fromages à l’intérieur d’un bar à vins.

En directions d’études, les outils principaux sont les fascicules et fiches rédigés par les coordonnateurs de formation ainsi que les codes (code civil ou pénal et code de procédure correspondant) mais un élément indispensable pour se rendre à l’école est le parapluie. Vous l’aurez compris : à Bordeaux, il pleut !

Quel a été le programme des troisième et quatrième mois de formation ?

Les enseignements se poursuivent, de fin octobre à fin décembre à Bordeaux avec toujours des conférences, ateliers et des directions d’études. Le soir ou le week-end, les jugements ou ordonnances à rédiger sont toujours au rendez-vous.

La neuvième semaine débute par des simulations de juge d’instruction. L’une des particularités et l’un des atouts de l’ENM est l’organisation de simulations d’audience où les auditeurs de justice s’entrainent à leurs futures fonctions de magistrats sur des dossiers réels qui ont déjà été jugés.

Leurs collègues se prêtent au jeu et incarnent les justiciables, le greffier ou l’avocat. La prestation de l’auditeur de justice est observée par un magistrat ainsi que par un psychologue. Chaque auditeur devra effectuer une simulation d’interrogatoire ou d’audition de partie civile sur divers dossiers : tentative de meurtre, agression sexuelle, violences avec arme ou détention d’images pédopornographiques.

La fin de semaine est notamment consacrée à des directions d’études juge des enfants et siège pénal où il sera étudié la saisine du tribunal et la préparation de l’audience pénale.

Durant la dixième semaine, deux jours sont consacrés aux modes alternatifs de règlement des conflits. Il s’agit de pointer du doigt le fait que la recherche de solutions négociées permet une meilleure acceptation de celles-ci et une pacification des relations entre les justiciables.

Durant la fin de semaine, les auditeurs ont notamment assisté à une conférence d’Etienne RIGAL, magistrat et vice-président en charge du tribunal d’instance de Villefranche-sur-Saône, sur la précarité, à des ateliers sur le contentieux routier ainsi qu’à un atelier comptabilité.

L’atelier comptabilité

(non, il ne s’agit pas d’un Monopoly mais d’une formation pratique dispensée par un expert-comptable pour apprendre à maitriser les bases de la comptabilité des entreprises, notamment les notions de bilan ou de compte de résultat)

La semaine suivante est consacrée à la rédaction du réquisitoire définitif (l’acte rédigé par le procureur de la République à la fin d’une instruction où il donne son avis au juge d’instruction sur l’opportunité de renvoyer la personne mise en examen devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises pour qu’elle soit jugée) et aux peines.

Sont également organisés des ateliers concernant la coopération internationale en matière pénale et une présentation de la Cour Européenne des droits de l’homme par André POTOCKI, juge français à Strasbourg.

Durant la douzième semaine est notamment étudiée en matière civile la rédaction du dispositif. Il s’agit de la fin du jugement qui commence par le «PAR CES MOTIFS» qui constitue la décision du juge. Il est très important que celui-ci soit rédigé de façon rigoureuse et précise pour que la partie gagnante puisse au besoin obtenir l’exécution forcée du jugement si la partie perdante ne s’exécute pas spontanément.

Ont également lieu des enseignements consacrés aux frais et dépens ainsi que deux directions d’études sur les réponses pénales à la disposition du parquet. Le parquet étant la « gare de triage des procédures » (c’est lui qui décide des suites à donner à une enquête pénale), il s’agit d’un pouvoir important du parquet.

La semaine suivante est consacrée aux échanges européens (voir article dédié). Les auditeurs qui ne partent pas à l’étranger suivront des enseignements en matière de Common Law.

Ensuite, la treizième semaine a débuté par des conférences sur l’islam, la radicalisation et la laïcité. Seront également évoqués au cours de cette semaine en directions d’études les baux d’habitation ainsi que les atteintes aux libertés durant l’instruction.

Durant la semaine suivante certains auditeurs de justice se rendront dans des écoles du service public : gendarmerie nationale, pompiers, commissaires de police, école nationale des greffes et école nationale de l’administration pénitentiaire. Ces échanges sont réservés aux auditeurs qui ne sont pas partis à l’étranger. Les autres auditeurs restent à Bordeaux pour suivre des enseignements sur la Common Law et la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Ensuite est étudiée la réparation du préjudice corporel, l’audience pénale et le jugement correctionnel. Des directions d’études sont consacrées au contentieux des mineurs : le parquet des mineurs, la clôture de l’information par le juge des enfants et les mesures éducatives, l’audience de jugement pénal des mineurs. Le soir ou durant le week-end, les auditeurs ont trois jugements à rédiger : un jugement siège pénal, un réquisitoire définitif et un jugement d’assistance éducative.

Durant la seizième semaine, est vue la clôture de l’information judiciaire. Débutent les enseignements d’application des peines avec l’étude des peines restrictives de liberté. Des conférences sont consacrées à la prévention de la récidive ainsi qu’aux addictions. Comme cadeau de Noël, le 22 décembre les auditeurs de juge sont soumis à la rédaction en six heures d’une ordonnance de règlement. 

Zoom sur la fonction de juge d’instruction

Juge d’instruction est l’une des fonctions qui est proposée à l’issue de la formation aux auditeurs de justice. En juin 2014, il y avait 505 juges d’instruction sur 8 355 magistrats.

L’instruction est une phase d’enquête contradictoire utilisée dans les affaires les plus graves (elle est obligatoire en matière de crimes et facultative pour les délits) ou les plus complexes. En 2013, il y a eu plus de 17 500 ouvertures d’informations judiciaires.

Le juge d’instruction est saisi par le procureur de la République par le biais d’un réquisitoire introductif (il s’agit d’une pièce de procédure qui lui indique sur quelles infractions il doit enquêter). Le juge d’instruction élabore une stratégie d’enquête. Il procède à des interrogatoires ainsi que des auditions (le terme « interrogatoire » est réservé à la personne mise en examen ; la personne mise en examen est celle contre qui il existe des indices graves ou concordants d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés ; en un mot, c’est une personne suspecte). L’audition concerne une partie civile (= une personne qui se dit victime d’une infraction) ou un témoin.

Le juge d’instruction a le pouvoir d’organiser des confrontations, transports ou encore des reconstitutions. Il rédige des commissions rogatoires (ce sont des ordres donnés aux policiers ou gendarmes d’effectuer certains actes d’enquête, par exemple identifier certaines personnes, les entendre, effectuer des écoutes téléphoniques) Il ordonne également des expertises de toute nature : expertises psychiatriques, psychologiques, génétiques, médicales ou encore balistiques notamment.

A l’issue de ses investigations, il demande son avis au procureur de la République puis décide ou non de renvoyer la personne mise en examen depuis un tribunal ou une cour d’assises afin que celle-ci soit jugée pour les faits qui lui sont reprochés. En 2013, 74% des informations judiciaires se sont soldées par un renvoi devant le tribunal correctionnel, 7% par un renvoi devant une cour d’assises et 7% par une ordonnance de non-lieu.

Le juge d’instruction veille à mener ses investigations dans des délais raisonnables. En 2013, la durée moyenne d’une instruction était de 26,6 mois.

Le juge d’instruction est l’une des particularités du système juridique français. Cette fonction est absente des pays de tradition de Common Law. Le juge d’instruction a été supprimé en Allemagne, Italie et en Suisse. Il existe néanmoins toujours dans les pays suivants : Belgique, Luxembourg, Espagne, Portugal, Pays-Bas, Grèce ou encore au Cambodge.

C’est une fonction prestigieuse qui implique de lourdes responsabilités. En effet, depuis la loi du 15 juin 2000, le juge d’instruction n’a plus le pouvoir d’incarcérer les personnes mises en examen. Néanmoins, c’est le juge d’instruction qui saisit le juge des libertés et de la détention à qui cette faculté de décider d’une détention provisoire a été confiée (sous certaines conditions restrictives, le juge des libertés et de la détention peut également être saisi par le procureur de la République).

par Marion Coudurier,
auditrice de justice à l’Ecole Nationale de la Magistrature (promotion 2015).


Pour plus d’informations sur l’ENM :



Catégories :Formations / Cursus / Concours, Métiers du Droit

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