Ne pas oublier…

À l’école et à l’université, on nous apprend que la liberté d’opinion, la liberté d’expression est un des droits fondamentaux les plus précieux qu’il existe. En droit, on récite les 17 articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et notamment son article 11 :

« Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

On l’évoque brièvement en première année, quand on aborde le bloc de constitutionnalité. On en parle plus longuement en 3e année, en cours de libertés fondamentales. On assiste parfois à des débats agités au sein de nos TD, quand on évoque les restrictions légales à ce droit, fondement de notre démocratie. On y étudie parfois la conception américaine du « freedom of speech », issue du premier amendement de la Constitution américaine. On détaille les différents textes qui la garantissent en droit interne… Certains se spécialisent dans ce domaine, mais ne nous mentons pas, nous sommes beaucoup à oublier rapidement notre cours.

Finalement, la liberté d’expression, c’est un droit acquis de longue date, pense-t-on. C’est d’ailleurs un droit qu’on retrouve dans 184 constitutions dans le monde (sur 194 selon le site Constitute). La liberté de la presse est même prévue expressément par 154 d’entre elles. Alors, certes, on débat longuement de ses limites, comme on a pu le faire en 2011 en France et même plus récemment, mais on se dit qu’on a quand même bien avancé depuis le 18e siècle.

On oublie parfois un peu vite que comme tous les droits fondamentaux, il n’est jamais totalement acquis. Chaque jour des personnes sont arrêtées, emprisonnées, violentées, assassinées parce qu’elles ont voulu porter haut et fort leur voix. Au final, on n’y pense que trop rarement. L’assassinat du mercredi 7 janvier 2015 est là pour nous le rappeler.

Pour nous rappeler que cette liberté d’expression n’est jamais totalement acquise, que certains tenteront toujours de mettre à mal ce droit élémentaire. Qu’il nous appartient de veiller à ce qu’elle s’applique, en France, comme ailleurs. Qu’il est nécessaire de se battre chaque jour pour qu’il ne soit pas possible d’assassiner des citoyens pour avoir exprimé leurs opinions, quelles qu’elles soient.

L’Association Française de Droit Constitutionnel a publié un communiqué qui dit bien mieux ce que je souhaite partager avec vous aujourd’hui :

« Il est des ignominies devant lesquelles l’Association française de droit constitutionnel ne peut rester muette.

Au-delà de l’horreur, l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo ce matin est pour le constitutionnaliste un attentat contre la liberté d’expression, fondement de la société démocratique et droit le plus précieux parce que condition d’exercice de tous les autres droits et libertés.

Quand on veut tuer cette liberté, la promouvoir, la défendre et la garantir est, ici et ailleurs une exigence constitutionnelle commune à tous les peuples. »

Depuis quelques mois, je suis fonctionnaire. Je n’ai jamais été aussi fier de l’être que ce soir. Oh, je sais bien que mon rôle n’a rien à voir avec celui des deux policiers assassinés hier… Je sais bien que contrairement à eux je ne prends pas de tels risques chaque jour en me mettant derrière mon bureau.

Mais j’ai l’impression, en exerçant ma profession, que j’œuvre, à mon petit niveau, pour la France. Je suis sûrement un jeune idéaliste qui va vite déchanter… Mais demain, lorsque j’arriverai au travail, que je passerai devant ce beau drapeau tricolore en berne, que je me recueillerai avec mes collègues devant lui à midi, je n’oublierai pas ce qu’il représente.

Non, il ne faut pas oublier ce que l’on nous a appris.

DDHC


par Nicolas Rousseau,Nicolas Rousseau
diplômé de Sciences Po et de l’Université Paris Panthéon-Assas,
ancien chargé d’enseignement en droit public à l’Université de Cergy-Pontoise.



Catégories :Tribunes

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1 réponse

  1. « Je suis Charlie » veut bien dire pour tous que, contrairement à ce qu’expriment les lâches tueurs, nous avons le droit de caricaturer Mahomet comme d’autres personnages ; c’est notre liberté d’expression qui est en jeux et plus largement notre justice, notre droit et notre démocratie.

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